Une commission d’enquête parlementaire remet à l’ordre du jour la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le sport

À l’Assemblée nationale, une commission d’enquête parlementaire s’est fixé l’objectif “d’identifier les défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif”, notamment en ce qui concerne les violences sexistes et sexuelles, thème qui s’est rapidement imposé comme sujet central des discussions. Comme de nombreux autres dirigeants, Serge Lecomte, président de la Fédération française d’équitation (FFE), et Frédéric Bouix, délégué général de la FFE, ont été auditionnés mercredi 22 novembre afin de présenter leur politique en la matière et ses premiers résultats.



Le rapport de la commission d'enquête parlementaire, approuvé le 19 décembre dernier, sera publié le 16 janvier 2024.

Le rapport de la commission d'enquête parlementaire, approuvé le 19 décembre dernier, sera publié le 16 janvier 2024.

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La lutte contre les violences sexistes et sexuelles au sein du mouvement sportif a été remise à l’ordre du jour par une commission d’enquête parlementaire relative à “l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif en tant qu’elles ont délégation de service public”. À l’initiative de Sabrina Sebaihi, députée EELV-NUPES des Hauts-de-Seine, celle-ci a vu le jour après approbation de la Conférence des présidents le 20 juin 2023, été officiellement constituée le 5 juillet et mené ses premières auditions le 20 juillet. 

Si les travaux de cet organe devaient plus largement porter sur “les enjeux de corruption, les phénomènes de discrimination dont le sexisme, l’homophobie, le racisme, ainsi que les dysfonctionnements allant jusqu’au harcèlement sexuel”, comme l’a précisé Béatrice Bellamy, députée Horizons de Vendée et présidente de cette commission, les discussions ont en grande partie traité de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Un objectif devenu “prioritaire” pour le ministère de Sports depuis le mouvement #MeToo, initié par la puissante prise de parole de la patineuse Sarah Abitbol. “Il serait vain de nier les difficultés après les révélations qui ont émaillé l’actualité récente. Les clubs sportifs comptent de trop nombreuses victimes de violences physiques, sexuelles ou psychologiques, souvent très jeunes et vulnérables face au système”, a notamment déclaré Stéphane Mazars, député Renaissance de l’Aveyron et rapporteur de la loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024, lors de l’examen de la recevabilité de cette proposition de résolution, adoptée le 14 juin à l’unanimité. “La commission d’enquête doit permettre de recenser les dysfonctionnements des fédérations, – espérons-le – de libérer la parole, de déceler les non-dits et de faire toutes les propositions utiles pour remettre le projet sportif, éducatif et citoyen au cœur de l’action des fédérations et des clubs.”



Quatre-vingt-dix auditions menées

Entamées le 20 juillet, les auditions ont d’abord été consacrées aux victimes, associations dédiées et journalistes, afin que les députés emmagasinent des récits avant d’inviter ministres, présidents de fédérations et dirigeants sportifs à répondre à leurs questions. Au total plus de quatre-vingt-dix auditions ont été menées, dont celles, attendues, de Gilles Moretton, président de la Fédération française de tennis, Gwenaëlle Noury, présidente de la Fédération française des sports de glace, Philippe Diallo, nouveau président de la Fédération française de football, ou encore David Lappartient, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et l’Union cycliste internationale, Fabien Canu, directeur général de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP), et Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques. Parmi les auditions ayant suscité bon nombre de réactions au sein du mouvement sportif, on peut notamment citer celle de Jean Lapeyre, directeur juridique de la Fédération française de football, qui a reconnu avoir été au courant “du comportement inapproprié” de Noël Le Graët, ancien président visé depuis mi-janvier par une enquête pour harcèlement moral et sexuel, ou encore celle de James Blateau, président de la Fédération française de gymnastique, recadré après-coup par la ministre pour avoir fait part de son “impuissance” à suspendre les entraîneurs mis en cause dans des affaires de violence.



Le bilan chiffré des actions de la FFE

Le 22 novembre, ce fut au tour de Serge Lecomte, président de la Fédération française d’équitation, ainsi que de Frédéric Bouix, délégué général, de se plier à l’exercice, qui a duré plus d’une heure et demie (voir la vidéo complète ici ou en bas d’article). Cette audition a notamment conduit les deux représentants de la FFE à dresser un bilan de la politique fédérale en la matière et à présenter des chiffres. Depuis 2020, année où une procédure de signalement des cas de violences sexistes et sexuelles a été créée par la FFE (à retrouver ici), quatre-vingt-trois signalements ont été enregistrés. “Certains peuvent concerner le même individu”, a précisé Frédéric Bouix. Vingt-neuf ont été enregistrés en 2020, dix-huit en 2021, dix-neuf en 2022, et dix-sept en 2023. “La fédération ne conserve aucun signalement, quelle que soit la suite qu’elle y donne, commission disciplinaire ou pas”, a ajouté le délégué général de la FFE, affirmant ainsi que tous sont systématiquement remontés au ministère des Sports. Ce dernier a également mis en place une cellule de signalement d’écoute (écrire à [email protected]), sous l’impulsion de Roxana Maracineanu, ancienne ministre des Sports.

Tous ces signalements n’ont toutefois pas fait l’objet de mesures conservatoires. “La commission disciplinaire s’est réunie une fois en 2018, cinq fois en 2021 et deux fois en 2022 pour des sujets liés aux violences sexuelles. Elle ne l’a pas fait en 2023, mais le fera en 2024 avec deux dossiers en cours.” Selon le délégué général, les huit sessions recensées ont respectivement conduit à une suspension de compétition de six mois, une suspension de licence de quinze ans, une suspension de licence en attente d’une décision judiciaire, une suspension avec sursis en attente d’une décision judiciaire, une suspension de licence compétition de cinq ans, dont deux avec sursis, une suspension d’organisation de concours d’un an, une relaxe, et une suspension de trois ans, dont deux avec sursis, d’un officiel de compétition. “Ces décisions sont publiées dans le bulletin officiel de la FFE, la REF, quand il s’agit de mesures définitives sans possibilité de recours, et sauf avis contraire de la commission”, a rappelé Frédéric Bouix. La majorité de ces sanctions ont effectivement été rendues publiques dans différents numéros de la REF (disponibles gratuitement ici), au chapitre Décisions juridiques. 

Au cours de cet échange, il a également été fait mention du partenariat avec l’association Colosse aux pieds d’argile, scellé en mars 2021 et reconduit pour trois ans en 2022. “Il consiste à des formations et sensibilisations sur les violences sexuelles à destination de l’encadrement fédéral, du comité fédéral, des comités régionaux, des salariés de la FFE et de l’ensemble des membres des commissions juridiques et disciplinaires, y compris le personnel de bureau”, a présenté le délégué général. “Aussi, depuis la fin du second trimestre 2023, nous demandons le bulletin numéro 3 du casier judiciaire (qui comporte les condamnations pour crimes et délits supérieures à deux ans d’emprisonnement sans sursis, prononcées en France ou à l’étranger, ndlr) à l’ensemble des salariés de la FFE.”



Des cas concrets au cœur des échanges

Parmi les différents cas présentés, seul un a fait l’objet de l’activation de l’article 40 du Code de procédure pénale. Celui-ci dispose qu’une autorité constituée comme la FFE doit obligatoirement faire part d’un crime ou d’un délit au procureur de la République. “Le seul signalement au procureur que nous avons effectué concerne un officiel de compétition qui a eu des ‘relations sexuelles’ avec une mineure de seize ans, élève d’une maison familiale. Cela n’a pas été suivi de poursuites car les parents de la victime n’ont pas déposé plainte”, a expliqué le délégué général. De fait, l’agresseur présumé a été suspendu en tant qu’officiel de compétition en attendant une décision définitive de la commission disciplinaire, prévue début 2024. 

À plusieurs reprises pendant l’audition, il a été question du cas de Loïc Caudal, révélé par Mediapart en 2020 et dont GRANDPRIX avait rendu compte (lire ici et ici). Loïc Caudal, ancien moniteur d’équitation, avait été conservé dans les effectifs de la FFE en tant qu'agent d'entretien et chauffeur du camion fédéral malgré deux condamnations pour atteinte sexuelle sur une mineure en 2013 et agressions sexuelles sur trois mineures en 2017. Des faits survenus avant son intégration à l’effectif fédéral, alors qu’il était salarié d’un centre équestre dont la gestion est confiée à une société dirigée par Serge Lecomte. “M. Caudal a répondu à une offre d’emploi comme agent d’entretien. Au moment de cette embauche, la FFE, en tant qu’employeur, n’avait pas connaissance du jugement”, a déclaré Frédéric Bouix, distinguant l’employeur FFE représenté par lui-même et Serge Lecomte, ancien employeur de M. Caudal. Au fil des questions répétées, Serge Lecomte et Frédéric Bouix ont reconnu avoir l’un et l’autre pris connaissance de l’une des deux condamnations de Loïc Caudal alors que ce dernier était encore en poste au sein de la FFE. Les députés se sont alors émus qu’aucune mesure n’ait été prise à ce moment-là. Frédéric Bouix a assuré que le jugement concerné n’indiquait pas de mesures d’éloignement des personnes mineures pour le mis en cause mais que “la Fédération prendrait des mesures conservatoires si la situation se représentait aujourd’hui”. Pour Serge Lecomte, “la loi n’imposait pas d’appliquer une mesure conservatoire nouvelle à quelqu’un qui avait été jugé et qui avait purgé sa peine et de nouvelles sanctions ne pouvaient être qu’en conformité avec le droit du travail”. 

Les explications apportées par Serge Lecomte, comme par d’autres présidents dirigeants de Fédérations ont souvent été jugées insuffisantes par les députés de la commission d’enquête parlementaire. Dans un entretien au journal 20 minutes, la rapporteur Sabrina Sebaihi n’a pas mâché ses mots pour évoquer les dysfonctionnements présents au sein de nombreuses fédérations sportives. “C’est la quintessence de l’ancien monde au sein du mouvement sportif. […] Ce qu’on a découvert dépasse largement ce pour quoi la commission avait été créée. Le plus grave de mon point de vue est qu’on a eu face à nous des dirigeants qui pensent qu’ils n’ont pas de compte à rendre.” Et de continuer: “Il faut envoyer un signal fort pour expliquer que le travail d’une commission d’enquête est extrêmement sérieux, que ce qu’ont vécu les victimes est grave, et que quand on est président d’une fédération sportive, on a des responsabilités. Dont celle de dire la vérité.” 

Cette commission, dont le rapport et les conclusions seront publiés le 16 janvier, a pour objectif d’identifier des dysfonctionnements au sein des différents organismes du monde du sport français, puis de “formuler des propositions pour surmonter ces défaillances de manière à ce que le sport redevienne un vecteur d’émancipation populaire et que chacune et chacun puisse le pratiquer en toute quiétude”. Désormais, “plus personne ne pourra dire: ‘On n’était pas au courant de ce qui n’allait pas’ ou ‘Tout va bien.’ Ce n’est plus possible”, conclut Sabrina Sebaihi.