Kevin Staut et Marie Valdar Longem ont comparu devant le tribunal de Lisieux pour des faits de violences conjugales
Jeudi, Kevin Staut a comparu devant le tribunal judiciaire de Lisieux, en Normandie, pour des faits de violences conjugales survenus en février dernier à Bordeaux, sur Marie Valdar Longem, son ex-compagne, renvoyée elle aussi devant la justice pour le même délit présumé ainsi que pour accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données. Dans un souci d’équité entre les deux prévenus, voici un compte-rendu complet de cette audience, dont le délibéré sera rendu le 22 février.
Le jeudi 18 janvier, Kevin Staut et Marie Valdar Longem ont répondu à la convocation du tribunal judiciaire de Lisieux. Le Normand y était renvoyé pour des faits de violences conjugales sur Marie Valdar Longem, son ex-compagne et également cavalière professionnelle, contre laquelle il avait porté plainte pour le même délit présumé, ainsi que pour accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données – un téléphone mobile, en l’espèce. Les faits, que tous les deux reconnaissent, mais dont ils ne présentent pas la même version, se sont déroulés dans la nuit du 2 au 3 février 2023 en marge du Jumping international de Bordeaux.
Après l’appel des parties mené par la juge, le substitut du Procureur de la République de Lisieux, Christophe Bogliolo, a tenu à réaffirmer que “quelles que soient les qualités professionnelles de Kevin Staut et de Marie Longem, ils seront jugés comme n’importe qui”. Un rappel évident mais important aux yeux du représentant du ministère public, les deux protagonistes étant en lice pour les Jeux olympiques de Paris 2024 – l’une en individuel, l’autre par équipes –, comme l’a d’ailleurs signalé Me Fanny Colin, avocate de Kevin Staut, en préambule: “Kevin Staut, c’est une vie de trente ans de sacrifices, avec les JO en ligne de mire”.
“Je maintiens ma version”, Kevin Staut
Après ces premiers échanges, Kevin Staut a été le premier appelé à la barre. “Après une soirée dans un domaine viticole, une dispute entre M. Staut et Mme Longem a éclaté sur le trajet. Ils sont arrivés vers 22h45 à l’hôtel. Mme Longem a profité du sommeil de M. Staut pour fouiller dans son téléphone”, résume la juge, mentionnant que les deux cavaliers s’accordent sur le déroulé de ce début de soirée. La Norvégienne a effectivement admis avoir subtilisé le téléphone du cavalier, qu’elle soupçonnait d’entretenir d’autres relations.
Pour le reste, “je maintiens ma version”, déclare le Normand. “Marie Longem m’a sauté dessus et s’est assise sur mes jambes. J’ai été violemment réveillé par une douleur au genou gauche, sans prédire si cela a été fait exprès (le cavalier souffre d’une faiblesse au genou gauche depuis plusieurs années, ce dont la Norvégienne était avertie, ndlr). J’ai vu qu’elle avait mon téléphone entre les mains. J’ai souhaité quitter ‘MA’ chambre car cette dispute me semblait sans issue. Je me suis rhabillé, j’ai pris mes affaires, et j’ai redemandé mon téléphone à Marie Longem. Comme elle ne voulait pas me le rendre, je lui ai attrapé les poignets pour le récupérer, et elle m’a poussé contre le mur. Elle a collé son nez contre moi et nous nous sommes cogné la tête. Elle a saigné du nez, mais n’a pas perdu connaissance. Comme elle était encore énervée, j’ai quitté la chambre. Je ne lui ai pas fait de doigt d’honneur. Comme il n’y avait plus de chambre disponible dans l’hôtel, je suis allé m’allonger dans un couloir, mais je n’arrivais pas à dormir donc je suis retourné dans ma chambre. Elle était partie.” Pour rappel, le 8 février, le médecin de Kevin Staut aurait constaté des contusions et griffures au niveau du dos et une blessure au genou, lui prescrivant des examens complémentaires et une incapacité temporaire totale (ITT) de quinze jours. Le cavalier assure également avoir boité le lendemain de cette altercation, premier jour du Jumping international de Bordeaux, dont il a disputé les trois jours de compétition.
“Je ne l’avais jamais vu comme ça”, Marie Longem
Ce fut ensuite au tour de Marie Longem de répondre aux questions de la juge, après que cette dernière a rappelé la version des faits de la Norvégienne: “Le 3 février, vers une heure du matin, Mme Longem a pris le téléphone de M. Staut pendant qu’il dormait. Elle l’a réveillé en lui mettant sur le doigt sur la poitrine et en lui montrant le téléphone. Il l’a maintenue par les poignets et lui a donné un coup de tête. Il l’a laissée inconsciente et a quitté la chambre en faisant un doigt d’honneur. Elle a envoyé une photo de son visage ensanglanté à plusieurs en écrivant “Kevin hit me” (“Kevin m’a frappée”, ndlr). Elle s’est ensuite rendue dans la chambre d’une amie, Wilma Hellström (cavalière suédoise, ndlr), en pleurant. Elle a voulu porter plainte le soir-même, mais on l’en a dissuadée. Elle a donc porté plainte le 4 février en Norvège pour violence et dénonciation calomnieuse, puis en France le 20 février, ainsi qu’à la Fédération équestre internationale (FEI)le 7 février.” Comme le rappellera son avocat, Me Antonin Lévy, la Norvégienne n’a pas été en mesure de déposer plainte le soir-même, les policiers du commissariat de Bordeaux où elle s’est rendue ne disposant pas ce soir-là de “personnel compétent ou en mesure de traduire” de l’anglais au français…
“La version de Kevin Staut n’est pas correcte”, a ensuite déclaré la victime présumée, soutenue dans la salle par plusieurs cavaliers et amis dont Grégory Wathelet, Katharina Offel et Julia Hargreaves Lynch. “Je ne l’ai jamais attaqué. Je ne lui ai jamais sauté dessus, ni ne me suis assise sur ses genoux. Pendant qu’il dormait, j’ai effectivement pris son téléphone. Je l’ai ensuite réveillé. Il s’est levé, énervé, a attrapé le téléphone de manière agressive en m’attrapant les bras. Je ne l’ai pas poussé, je l’ai repoussé après qu’il m’a attaqué. Et il m’a asséné un coup de tête. Son expression du visage disait tout. Je ne l’avais jamais vu comme ça. J’ai eu très peur. J’ai perdu connaissance un court instant. J’étais choquée, j’avais peur, et j’étais dans un pays étranger dont je ne parlais pas la langue, donc je n’ai pas appelé la police. En plus, je n’avais jamais eu de problèmes avec la police auparavant donc j’avais peur. J’ai préféré aller au commissariat moi-même.” Pour rappel, Marie Longem s’est vu prescrire une incapacité temporaire (IT) de travail de deux jours par son médecin, qui a aussi relevé “un traumatisme crânien ainsi qu’un état de stress aigu, des troubles de l’alimentation ainsi que des signes dépressifs”.
Steve Guerdat entendu comme témoin
Après avoir interrogé Kevin Staut et Marie Longem, la juge a indiqué que différents témoins avaient été entendus durant l’enquête, dont la directrice de l’hôtel bordelais où les faits sont survenus. Celle-ci a indiqué aux forces de police avoir “reçu un coup de téléphone de quelqu’un disant que son amie avait été victime d’une agression. Une femme est ensuite descendue à la réception en pleurant pour dire qu’elle avait été victime de violences de la part de son conjoint. Elle n’avait pas de traces de sang”, relate ainsi la juge. Les bandes sonores auxquelles la police a eu accès ont confirmé cet appel.
Puis, à la surprise générale, Steve Guerdat a été invité à la barre en tant que témoin. Après avoir juré de la main droite de ne dire que la vérité, le multimédaillé a relaté ses souvenirs du Jumping international de Bordeaux, auquel il participé: “Le vendredi matin, je suis allé au concours aux alentours de midi pour monter mes chevaux. Au paddock, je me suis retrouvé avec Kevin Staut. Nous avons échangé. Nous n’étions pas particulièrement proches, mais étions en contact via le Club international des cavaliers de saut d’obstacles(IJRC, dont Kevin Staut était le président jusqu’en décembre 2023, ndlr), dont je suis membre (du conseil d’administration, ndlr). Nous avons parlé de la fête de la veille, à laquelle je n’étais pas allé. Il m’a dit qu’il “avait bien rigolé et qu’il y avait du bon gin”. Vingt-cinq minutes après, une cavalière suédoise est venue me voir aux écuries, comme elle savait que j’étais membre de l’IJRC, pour me dire qu’il y avait eu une bagarre la veille et que Kevin avait tapé Marie. Je lui ai dit que le mieux était que Marie m’appelle, ce qu’elle a fait le soir-même. Elle m’a expliqué que Kevin lui avait mis un coup de tête et l’avait insultée. Dans la même journée, j’ai parlé à Henk Nooren, chef d’équipe de la France, qui avait entendu les versions de Marie et de Kevin. Il m’a dit que les versions correspondaient à 85/90%, mais que Kevin l’avait vécu différemment. Moi, je ne suis ni juge ni avocat, donc je ne pouvais pas faire grand-chose. Mais, depuis cette histoire, j’ai toujours refusé de m’asseoir à la même table que lui (ce qui explique l’absence du Suisse à l’assemblée générale de l’IJRC, début décembre à Genève, ndlr). Quand j’ai entendu qu’il se faisait passer pour la victime, j’ai trouvé que c’était se foutre de la gueule du monde… C’est pourquoi je suis là aujourd’hui. Je ne trouve pas ça normal, et j’ai été choqué. Sa petite-amie vient exprès des États-Unis pour le voir, ça finit en bagarre et il quitte la chambre alors qu’elle saigne du nez… Il ne s’est même pas inquiété! Et puis, je venais de voir Kevin, dont les boxes étaient situés à côté des miens, et il avait l’air de passer une journée tout à fait normale! Il ne boitait pas (mais il portait un strap sous le pantalon, selon son avocate, ndlr).”
Ensuite, le Suisse a brièvement évoqué la relation que Kevin Staut a entretenu avec Pénélope Leprevost durant dix ans, comme l’avait fait plus tôt l’avocate du prévenu en produisant un écrit de la cavalière normande attestant que “Kevin Staut n’était pas colérique et n’avait jamais eu de geste violent envers elle”. “Avec Pénélope Leprevost, ils s’insultaient souvent, des noms d’oiseau fusaient et ça partait en cacahuète”, a déclaré Steve Guerdat, interrogé par la juge. “C’est un secret de polichinelle dans notre milieu que leur relation était houleuse. Elle ne paraissait pas très saine pour des gens normaux; pas pour moi en tout cas. Mon père (Philippe Guerdat, ndlr) pourrait vous en dire puisqu’il a été le chef d’équipe de la France. Ce n’est pas le procès de Pénélope, mais oui, je pense qu’elle ment dans sa déclaration.” Le Suisse a quitté la salle vingt minutes après son témoignage.
“Ce dossier permet de rappeler que les violences conjugales concernent tout le monde”, Christophe Bogliolo
Pour sa part, le procureur a conclu ses prises de parole en affirmant que ce dossier permettait de “rappeler l’importance des violences conjugales, et qu’elles concernent toutes les personnes, indépendamment de leur milieu social, leur âge, leur sexe. Je suis toujours surpris de voir que ces faits peuvent survenir dans des circonstances équilibrées et venant de gens bien éduqués. Je préconise un stage de sensibilisation aux violences conjugales, notamment parce qu’aucun des accusés ne semble avoir compris ce qu’étaient des violences conjugales. Il y a des preuves largement suffisantes entre les lésions constatées et leurs propres déclarations. Le fait est que l’un comme l’autre se considèrent en légitime défense. Et, encore une fois, la question des JO ne doit pas être prise en compte.” Il s’est enfin déclaré réservé sur la non-inscription au casier judiciaire souhaitée par les défenses, et a requis une peine pédagogique et un stage de sensibilisation aux violences conjugales pour chacun.
Dans sa plaidoirie, Me Lévy a d’abord insisté sur le mauvais traitement qu’aurait subi sa cliente lors de sa tentative de dépôt de plainte. “Marie Longem et sa famille ont été très choquées. Depuis les minutes qui ont suivi cette bagarre, Marie Longem n’a jamais changé de version, ni les gens avec lesquels elle a été en contact juste après. On ne peut pas renvoyer dos à dos les deux protagonistes. Selon moi, le traumatisme au genou qu’évoque Mr Staut est un argument d’opportunité, que l’accusé a choisi après avoir appris de son chef d’équipe que Marie Longem souhaitait porter plainte. Par ailleurs, nous avons interrogé le chef de service de l’hôpital Cochin, à Paris, et il nous a confirmés qu’il était possible que la douleur préexistât et que sa réapparition pourrait ne pas résulter d’un coup. Marie a eu envie de dénoncer ces faits pour briser l’omerta qui entoure les violences envers les femmes dans le monde équestre.”
“Depuis le début, tout cela est très difficile pour Marie”, a réitéré l’avocat auprès de GRANDPRIX quelques minutes après la fin de l’audience. “Après avoir réussi à porter plainte au forceps, on entend aujourd’hui que les deux sont renvoyés dos à dos et qu’il s’agirait de violences réciproques, ce qui est très dur à entendre parce que ce n’est ni la réalité de ce dossier, ni ce que devrait être la prévention contre les violences faites aux femmes. Je n’imagine même pas que Marie soit condamnée, donc je ne réfléchis pas à faire appel. Nous attendons le délibéré avec sérénité.”
Me Colin a conclu la séance en défendant la version de Kevin Staut. “D’habitude, c’est vrai que c’est le méchant homme qui a frappé la pauvre femme. Le fait est que mon client a eu mal au genou à cause d’un coup porté par Mme Longem. Maintenant que je connais mieux la personnalité de cette dernière, je suis sûre qu’elle croit à ce qu’elle dit, tellement elle est autocentrée. Elle ne supporte pas que les gens lui disent non. Je demande évidemment à ce que Kevin Staut soit relaxé”, a-t-elle prononcé. “Kevin Staut est content que cette audience ait eu lieu”, a-t-elle réagi à la sortie. “Tout a pu être dit. Nous avons le sentiment fort que la vérité a été rétablie et qu’il a été démontré qu’à aucun moment Kevin Staut n’a commis une quelconque violence sur Marie Longem, l’inverse n’étant pas vrai. Nous sommes sereins quant au délibéré. Si jamais mon client était condamné, nous ferions évidemment appel car il s’agirait d’une erreur judiciaire. Juridiquement, il n’y a aucune incompatibilité entre une condamnation et une sélection aux JO. Cela serait davantage d’ordre médiatique et moral.”
La décision a été mise en délibéré le 22 février.