“Le nouveau format olympique proposé par la FEI nous amène à nous poser beaucoup de questions”, Michel Asseray

Le 20 janvier, la Fédération équestre internationale (FEI) a surpris la famille du concours complet en proposant une modification du format de l’épreuve olympique aux Jeux de Los Angeles 2028. Les couples enchaîneraient, dans cet ordre, dressage, saut d’obstacles et cross pour la compétition par équipes, avant une seconde manche d’hippique, maintenue en guise de finale individuelle. À l’occasion des Journées du complet, le week-end dernier à Saumur, la communauté tricolore de la discipline a bien évidemment discuté de cette éventualité. Michel Asseray, directeur technique national adjoint en charge du complet, n’est guère convaincu par cette nouvelle formule. Il livre ses arguments.



“Lorsque, en vue des Jeux de Tokyo, le nombre de couples par équipes est passé de quatre à trois, avec une compétition où désormais tous les scores comptent (au terme d’un passage en force de la FEI, qui est allée contre l’avis de presque toutes les parties prenantes du grand sport, ndlr), cela a déjà soulevé quelques interrogations, voire des doutes… Nous aurions bien sûr préféré conserver des équipes de quatre, vis-à-vis de nos cavaliers et propriétaires investis dans le grand sport. De plus, par rapport au bien-être des chevaux, on se sent plus en risque en imaginant l’éventualité d’un cheval un peu fatigué ou moins en forme, pour de multiples et diverses raisons possibles… 

La formule proposée en ce début d’année me conduit à une réflexion similaire: si le cross conclut l’épreuve, en tout cas pour le classement par équipes, des cavaliers pourraient le courir sans avoir à penser au tour de saut d’obstacles du lendemain (on pense à tous ceux que la note de dressage et le score du premier tour de saut auraient renvoyés assez loin au classement individuel, ndlr). Bien sûr, à ce niveau, on a affaire à beaucoup d’hommes de cheval, mais quand on se trouve en fin de cross, dans le feu de l’action, et qu’une médaille ou un classement sont en jeu, cela peut faire réfléchir. En outre, je ne suis pas certain que notre sport y gagne vraiment en visibilité. Par exemple, si le spectateur ne dispose pas de toutes les informations sur le chronomètre du couple en piste, il lui sera plus compliqué de s’approprier le scénario de l’épreuve. Le cavalier jouera son classement et/ou celui de son équipe en fonction de son temps dans cette ultime épreuve, alors qu’aujourd’hui tout le monde est suspendu aux barres qui tombent ou non.  

À la fin d’un cross de haut niveau, qui plus est de championnat, il s’agit avant tout de garder la tête froide pour rester raisonnable et à l’écoute de son cheval. Il ne faut pas perdre la raison quand il y a un très grand enjeu. Je suis certain que les cavaliers vont rester à l’écoute de leurs partenaires, mais les esprits s’échaufferont nécessairement vu les enjeux. Celui d’une médaille olympique peut instiller un peu de brouillard dans l’esprit de certains compétiteurs, et un format plaçant le cross en dernière épreuve n’est pas vraiment de nature à les aider… Pour nous, cadres, cela ne changera rien en termes de directives. Tous nos cavaliers sont des hommes de cheval, et nous continuerons à leur dire de ralentir s’ils sentent leur cheval fatiguer, et de s’arrêter si celui-ci semble très fatigué, même si nous jouons des médailles. Quels que soient le niveau ou l’enjeu d’une compétition, nous demanderons toujours à nos cavaliers d’écouter avant tout leurs chevaux! Thierry Touzaint, l’entraîneur des équipes de France Seniors, le répète systématiquement.

Cependant, une question me semble essentielle: que faire d’un cheval qui ne serait pas très en forme à l’arrivée de ce cross olympique? Faudra-t-il attendre, comme en endurance, que le résultat soit validé après avoir constaté que le cheval est en bonne forme? Il nous faut anticiper tous ces scenarii pour que le résultat de l’épreuve ne risque pas d’être modifié après-coup. Il faut aussi prendre en compte qu’un cheval irrégulier, par exemple, pourrait ne souffrir que d’une crampe et être finalement tout à fait sain! Il faut penser à tout pour que notre sport reste protégé et ne soit pas dénaturé, dans le respect de nos chevaux. D’ailleurs, ce contexte suscite une question liée à une autre proposition émise par la FEI lors de son séminaire annuel: comment les juges vont-ils pouvoir décider qu’un cheval est “fatigué” ou “épuisé”, pour éventuellement pouvoir l’arrêter? À ce jour, les cavaliers paraissent les mieux placés pour évaluer l’état de forme de leurs chevaux. Ils sont connectés à eux et me semblent être les seuls capables de gérer cette évaluation.

Aujourd’hui, le programme des CCIO 4*-S, support des Coupes des nations, place souvent le test de saut d’obstacles avant le cross, mais les enjeux d’une Coupe, avec un cross de six ou sept minutes, ne sont pas les mêmes que ceux d’une épreuve olympique, où le cross est prévu pour durer une dizaine de minutes, ce qui ne devrait pas changer à Los Angeles! Les Jeux olympiques peuvent rendre fous, il faut en avoir conscience. 

Je ne dis pas que ce nouveau format n’est pas une bonne solution, mais il nous amène à nous poser beaucoup de questions. Il y a en effet des éléments à prendre en compte pour œuvrer à la pérennité du concours complet au programme olympique. On ne peut pas distribuer les médailles collectives et individuelles à l’issue de la même épreuve, ce qui oblige à prévoir une séance supplémentaire. Aujourd’hui, on estime que prévoir deux tests de saut d’obstacle représente la meilleure option. La question est donc: où positionner ces deux phases dans l’épreuve? Par conséquent, il faut adopter des règles qui vont convenir aux chevaux, avec leurs aspects positifs et négatifs, et faire en sorte qu’elles soient compréhensibles pour le public, afin que notre sport soit agréable à regarder, et qu’il demeure au programme olympique.”