Les secrets de la France, terroir de prédilection des champions d’endurance (1/4) : la génétique, une arme absolue ou relative?

En endurance, l’année 2023 a donné lieu à des championnats d’Europe Seniors, mais aussi à des Mondiaux Seniors, Jeunes (Juniors et Jeunes Cavaliers) et Jeunes Chevaux. Bien que courus dans des conditions très différents, entre le sable et les pierres du désert émirien de Bouthieb, aux Émirats arabes unis, les pistes plates et galopantes de Padise, en Estonie, et Ermelo, aux Pays-Bas, ou encore le terrain escarpé et technique de Castelsagrat, dans le Tarn-et-Garonne, les chevaux français ont brillé partout. La Société hippique française a cherché à comprendre pourquoi ces Pur-sang Arabes, Anglo-Arabes ou encore Shagyas nés et presque toujours formés dans l’Hexagone, sont aussi performants et omniprésents au sommet des classements, et pas uniquement sous selles françaises. Des experts ont été sondés et quatre critères ressortent pour expliquer ces performances: génétique, mode d’élevage et alimentation, formation et valorisation et… “ce petit quelque chose en plus que les autres n’ont pas”. Un long dossier que GRANDPRIX publiera en plusieurs épisodes.



PRÉSENTATION DES EXPERTS SONDÉS

- Christèle Derosch : talentueuse éleveuse de chevaux sous l’affixe Larzac, mais aussi de dromadaires.
- Céline Robert : vétérinaire, professeure à l’École vétérinaire d’Alfort, codirectrice du projet GenEndurance, autrice du précieux guide “Le cheval athlète d’endurance”.
- Marion Wasilewski : cavalière internationale d’endurance tenace, acheteuse pour le royaume de Bahreïn depuis quinze ans et responsable des chevaux de l’écurie stationnés en France.
- Stéphane Chazel : président de l’Association du cheval Arabe, cavalier international, marchand, entraîneur et éleveur de chevaux d’endurance et de course sous l’affixe Hipolyte.
- Jean-Philippe Francès : cavalier international multi médaillé, excellent formateur et valorisateur.
- Jean-Michel Grimal : sélectionneur des équipes de France, cavalier international, maréchal-ferrant diplômé et éleveur de chevaux sous l’affixe Dartagnan.
- Christian Quet : instructeur d’équitation, éleveur éclairé et passionné sous l’affixe du Barthas.
- Guilherme Santos : vétérinaire brésilien attaché à la Confédération équestre brésilienne, référent technique de l’équipe brésilienne, importateur à succès de chevaux de saut d’obstacles, concours complet, dressage et endurance, vétérinaire FEI de niveau 4 en endurance.
- Bruno van Cauter (Belgique) : entraîneur, vétérinaire, enseignant, auteur de différentes publications, ostéopathe équin formé par le maître Dominique Giniaux, vétérinaire FEI de niveau 3 en endurance et traitant pour toutes les disciplines.



La génétique et la qualité des croisements sont d’indéniables facteurs de réussite, mais peut-on ne miser que là-dessus?

Christèle Derosch est catégorique: La génétique n’est pas suffisante: sans la génétique, on ne peut pas avoir de cracks; des bons chevaux oui, mais pas de cracks.”

Céline Robert perçoit la génétique “comme un atout, mais celle-ci ne joue qu’entre 10 et 30% maximum dans la performance, et cela dépend des critères que l’on va considérer comme influant la performance; 20% est une bonne moyenne.”

En écoutant, Marion Wasilewski, on comprend l’importance de la génétique dans le choix des chevaux: Bahreïn achète vraiment les chevaux sur papiers. Après que Darco la Majorie a été sacré champion du monde à Bouthieb en début d’année, nous sommes allés chez Christian Manoha (au haras de la Majorie, ndlr), et nous avons acheté cinq produits de Baltik des Ors (PsA, Persik x Maklouf). Nous avons aussi acheté le propre frère de Darco. Nous espérons qu’ils performeront autant que Darco! La sélection génétique a vraiment permis de faire évoluer les chevaux, notamment en matière de capacités cardiaques: aujourd’hui, on parvient à rentrer des chevaux dans le vet gate en une minute et demie à deux minutes! Ce sont les éleveurs qui ont permis cela à travers leur travail de sélection.”

Lorsque l’on vous présente un cheval, la première chose que vous regardez, c’est la lignée”, commente Guilherme Santos. Après, vous regardez des vidéos, vous les observez courir pour voir comment ils fonctionnent. Au vet gate, on voit des chevaux passer et on se dit: ‘tiens celui-là c’est mieux’. Puis après, on va chercher le pedigree. On regarde toujours les familles.



Pas d’endurance française sans Persik?

Persik est l’incontournable sire, à l’origine de tant de champions. Tout est effectivement parti de lui lorsque le Parc national des Cévennes a importé cet étalon pour améliorer sa production, ayant besoin de chevaux pour entretenir ses grands espaces. Un homme, Yves Richardier, a alors modifié le cours de l’histoire de l’endurance. La découverte, à la télévision, de la mythique épreuve qu’est la Tevis Cup, lui a donné des idées. Habitant Florac, il réalise alors que toutes les conditions étaient réunies pour “fabriquer” des chevaux capables de parcourir de longues distances. Il s’est ensuite quelque peu “accaparé” l’étalon gris. Sous la selle de Jean-Marie Fabre, Persik gagne les deux premières éditions de la course de Florac, qui était nationale à l’époque. Lorsqu’on demande, pour taquiner les esprits, pourquoi Persik est Persik, les réponses fusent! 

C’est le premier étalon à avoir produit pour l’endurance car il était dans le berceau où l’on faisait naître des chevaux pour l’endurance et la randonnée. Les autres étalons utilisés à cette époque l’étaient également en courses de plat, pour la plupart. Persik est à l’origine de la création de la filière de l’élevage pour l’endurance”, explique Céline Robert.Il a été le premier à servir des juments elles-mêmes orientées vers l’endurance, et dont les produits étaient destinés à l’endurance. Persik avait probablement des capacités et des aptitudes très bonnes pour la discipline. Le génotypage n’a malheureusement pas pu être fait pour lui, mais pour certains de ses fils, oui. On retrouve Persik dans tant de pedigrees. Il est le chef de file de l’endurance, une référence. L’effet Persik est indéniable.”

Persik est bon partout, c’est incontestable. Il a surclassé tout le monde. Il a sailli énormément de juments aux origines inconnues. À la fin de sa carrière, il n’a servi que de très bonnes juments, ce qui a donné ses meilleurs produits”,commente Christèle Derosch. Prenez Branik (mère par Arques Perpex) et ses descendants Mediatik Larzac et Charismatik Larzac: ils ont le même physique que Persik! Ce n’est pas toujours le cas: par exemple, Diament du Rolon est plus typé Manganate (son arrière-grand-père maternel). Cependant, les qualités de Persik ont été fixées.”

Marion Wasilewski confirme cet état de fait: Cela fait des années qu’on travaille sur la génétique de Persik et ça marche. On a essayé d’apporter du sang neuf via des étalons courant sur le plat, par exemple. Avec du recul, je me dis que Persik, c’est la base. On reste sur du classique qui fonctionne. Nous-mêmes (l’écurie royale de Bahreïn, ndlr) avons tenté de nous tourner vers des étalons plus orientés vers les courses de plat, et mon patron (le cheik Nasser ben Hamad al-Khalifa, ndlr) me dit maintenant de revenir à Persik. En France, c’est une valeur sûre et il y a tout. Dès lors, pourquoi aller chercher ailleurs? On reste donc sur du Persik et en France!”

Stéphane Chazel livre une explication très rationnelle: Les meilleures juments ont été croisées à Persik, ce qui a créé un engrenage. Non seulement Persik était un super étalon, mais en plus, toutes les conditions ont été réunies pour bâtir un succès d’élevage. Quand on a deux ou trois juments performantes sur 160km, on les fait saillir par Persik! Cela a accru le phénomène. Prenez Cookie Hipolyte (médaillé d’argent par équipes et onzième des derniers Mondiaux Jeunes 2023 avec Ema Chazel, fille de Stéphane, ndlr): Persik est présent dans son pedigree à la fois par son père et par sa mère.”

Persik est un incroyable géniteur!”, s’exclame Jean-Philippe Francès. Il a rencontré du succès dès le début avec Melfenik (médaille d’or par équipes et d’argent en individuel aux Jeux équestres mondiaux de La Haye, en 1994, ndlr),Varoussa (championne du monde en 2000, ndlr), Dynamik (médaille de bronze aux championnats du monde Juniors en 1998, champion de France en 1999, vice-champion du monde en 2000, ndlr). Aujourd’hui encore, la lignée de Persik continue à briller avec Easy el Boheira (championne d’Europe en 2023, ndlr).”

Ce n’est pas Christian Quet qui les contredira: la lignée mâle de Persik a inondé l’élevage français, et les résultats sont toujours là. J’ai eu Khadar, un fils de Persik, pendant plus de vingt ans et son fils Jelam du Barthas fait sa première saison de monte cette année.”

Jean-Michel Grimal est lui aussi d’accord quant au rôle joué par Persik dans le développement de l’endurance en France, même s’il pense qu’en faire le père fondateur de l’élevage tricolore pour la discipline est un raccourci: À mon avis, si l’on en avait fait autant avec beaucoup d'étalons, car il a tellement sailli, on aurait obtenu le même résultat. Il est sûr que Persik a été un améliorateur. Cela a donné une base très saine qui a été recroisée, et les produits de Persik ont eux aussi vraiment fait carrière. Il y a eu des étalons, dont certains sont encore disponibles, et c’est cela qui a enclenché la progression.”



Et les mères dans tout ça?

Si les pères sont systématiquement cités en référence, les experts sondés s’accordent à dire que la mère joue un rôle majeur. Pour moi, le résultat dépend à 75% de la mère et 25% du père. Elles sont très importantes pour asseoir de bonnes lignées produisant des chevaux qui correspondent à ceux que nous recherchons en endurance”, affirme Marion Wasilewski.

La réussite de l’élevage français repose sur des juments sélectionnées. Prenons l’exemple de Cookie Hipolyte: sa souche basse a été sélectionnée en Ardèche par la famille Lux, très impliquée en endurance dans les années 1980. Cela signifie que la jument fondatrice a couru avec succès dans les années 1980, avant d’être consacrée à l’élevage. De fait, beaucoup de nos chevaux de haut niveau partagent cette caractéristique. Les premières juments OI Arabes et Trotteuses, qui réussissaient dans les années 1975-80 ont été croisées à Persik et aux autres étalons de l’époque. C’est ainsi que nous nous retrouvons avec un patrimoine génétique de qualité aujourd’hui. Même si nos souches basses sont génétiquement diversifiées, elles ont toujours été bâties sur des juments qui avaient été testées à l’époque”, argue Stéphane Chazel. Chez nos juments, quatre ou cinq familles maternelles reviennent.” Il prend en exemple Biskra, dont on retrouve trois produits parmi les douze premiers de la CEI 3* de Monpazier, et Mobrouka, “qui a donné pléthore de champions d’Europe et du monde. Même dans les souches basses, il y a quand même des choses qui se retrouvent”, conclut-il.

Christèle Derosch évoque Melfenik, dont les origines sont incomplètes du côté maternel: “Croiser Persik et des mères OI a donné des gagnants, des champions exceptionnels!”

Guilherme Santos valide lui aussi le caractère crucial des lignées maternelles: Les brésiliens me demandent d’acheter des produit issus de bonnes souches maternelles. En France, on a su créer et valoriser de vraies familles de gagnants. Au Brésil, il existe une famille maternelle exceptionnelle. Et quand je discute avec les Brésiliens, ils sont toujours surpris de voir que la grand-mère a produit plein de bons chevaux. Souvent, les gens achètent la semence d’un père sous prétexte qu’il a eu un fils performant. Mais quand on étudie un peu plus loin les origines, on se rend que ce n’est pas tout à fait ainsi que ça marche. Il y a l’impact du départ et puis après… C’est pourquoi la mère est si importante. C’est comme si vous demandez à un amateur de vin s’il préfère le Bordeaux ou le Bourgogne: c’est une question qui ne se pose pas; il y a d’autres paramètres à prendre en compte.” Il fait référence à Klonica, qui a Aswan pour grand-père et qui a été importée au Brésil de Pologne pour produire des chevaux de Show. “Comme ses poulains n’étaient pas beaux, Klonica a été vouée à l’endurance, et sa valeur s’est exprimée.”

Il est néanmoins un paramètre scientifique indiscutable expliquant l’importance cruciale de la mère: L’endurance met en valeur une performance aérobie reposant sur les mitochondries, qui sont transmises par la mère. L’endurance est probablement la discipline où cela peut avoir le plus d’influence sur la performance, et sur le mental aussi. C’est là où la mère contribue le plus”, assure Céline Robert.

Bruno van Cauter abonde en ce sens, apportant des informations complémentaires: C’est l’ADN mitochondrial qui fait les souches maternelles. C’est ça, la différence. La mitochondrie est l’organite responsable de l’énergie de la cellule. La qualité des mitochondries transmises par la mère fait la qualité de la souche maternelle. Des études ont prouvé que le microbiote d’un coureur cycliste vainqueur du Tour de France n’est pas le même que celui d’un coureur qui gagne Paris-Roubaix. Le microbiote pourrait donc aussi expliquer la qualité de certaines souches maternelles et montrer leur impact dans la performance. On voit là tout l’intérêt de ce que mange un jeune poulain. On peut alors se poser une question: sachant que les poulains mangent les crottins de leur mère sur la prairie, ne pourrait-on pas ensemencer leurs intestins en mettant dans leurs prairies, des crottins de juments reconnues comme grandes gagnantes et ainsi accroître leur capacité de récupération, par exemple?”