L’Italie a-t-elle ouvert la voie à un nouveau statut juridique du cheval de sport?

En début d’année, l’Italie a été le premier pays à reconnaître officiellement le cheval en tant qu’athlète par le biais d’une loi. Un animal est défini comme un “cheval athlète” lorsque des conditions spécifiques sont remplies: il s’agit d’un “équidé enregistré” dans un répertoire tenu par la Fédération italienne des sports équestres et déclaré comme “non destiné à la production alimentaire” dans le document d’identification. Que cela change-t-il réellement dans les faits? Cette réforme pourrait-elle inspirer le législateur français?



La question du statut juridique du cheval n’est pas nouvelle. Elle en devient presque une sorte de “marronnier juridique”. Et pour preuve, en France, elle a fait l’objet de pas moins de six propositions de réforme depuis 2010! Cette question et sa récurrence ne sont pas surprenantes.  En effet, au fil du temps, le rôle sociétal du cheval a changé. Il est passé d’un “animal-machine”, de guerre, de transport, de labeur et à destination bouchère, à un animal-compagnon, majoritairement de sport et de loisirs. Pour autant, son statut juridique, n’a presque pas changé. À la création du Code civil, en 1804, le cheval était considéré et utilisé comme un “outil”, comme tous les autres animaux domestiques. Il avait donc le statut juridique des choses et, en leur sein, celui d’animal de rente, élevé pour sa production bouchère, par opposition aux animaux de compagnie, destinés à être détenus par l’homme pour son agrément. 

D’un point de vue sociétal, cette classification se heurte aujourd’hui à la place qu’a pris le cheval dans nos vies modernes. Ainsi, les projets de réforme susmentionnés avaient principalement pour objet de faire passer le cheval de la catégorie des animaux de rente à l’autre catégorie connue, celle des animaux de compagnie. La proposition était séduisante. Selon l’une des propositions de loi, “Rien ne différencie plus le chien (animal de compagnie) d’un cheval (animal de rente): un chien est un outil de travail (chien guide d’aveugle, chien de recherche, etc.), le cheval aussi (hippothérapie, collecte des déchets, débardage du bois, labour des vignes, etc.); un chien est un bien commercial, le cheval aussi; un chien est un agrément pour l’humain, le cheval aussi (cheval laissé en pâture); le chien est un compagnon de loisir et de compétition (sports tels que l’agility, le canicross, etc.), le cheval aussi (centre équestre, concours de saut d’obstacles).” Pour autant, tous ces projets de réforme ont achoppé, se heurtant à plusieurs écueils, dont l’interdiction de l’abattage et la continuité de la pratique du sport. En effet, l’interdiction de l’abattage pose inévitablement la question de la pérennité de certaines races de chevaux lourds, qui ne subsistent aujourd’hui qu’en raison de leurs débouchés commerciaux dans la filière bouchère. 

Elle pose également et surtout l’inextricable question de la fin de vie des chevaux, et plus particulièrement de ceux de course et d’instruction. En effet, malgré les initiatives salutaires prises en faveur de la reconversion des coursiers et de la retraite des chevaux de club, cette solution n’est pas encore généralisée ou systématisée. Pour citer la Coordination Rurale dans son édition du 11 mars 2020, cette solution “pour séduisante qu’elle puisse paraître à certains, n’est malheureusement pas viable économiquement. Elle conduirait la filière équine nationale à une fin certaine car la prise en charge des équidés suite à leur vie ‘active’ et jusqu’à leur mort naturelle coûterait près d’une milliard d’euros par an. Ce chiffrage prend en compte les coûts d’entretien basiques, sur la base des 1,1 million d’équidés actuellement sur le territoire national et des 45.000 naissances annuelles. Il faut rappeler que l’espérance de vie du cheval prise en compte pour ce calcul est de vingt-cinq ans. Un animal de compagnie atteint rarement cet âge-là… De plus, il faut compter environ un hectare pour nourrir un cheval pendant une année. Conserver tous les équidés jusqu’à leur mort naturelle mobiliserait donc inévitablement des centaines de milliers d’hectares. Cela se ferait inévitablement au détriment d’autres usages de ces surfaces. Il s’agit aussi d’une aberration environnementale […].” De plus, une interdiction généralisée de l’abattage n’aurait de sens que si elle était généralisée mondialement– ou moins à l’échelle européenne – sous peine de conséquences inverses à l’objectif poursuivi. C’est ce qu’ont pu constater certains États américains qui, après avoir opté pour une interdiction de l’abattage, ont assisté à une recrudescence des abandons et autres ventes en vue d’un abattage à l’étranger, imposant aux animaux de longues heures de transport inutiles et de moins bonnes conditions d’abattage que celles prévues par le droit local. Plusieurs États concernés sont même revenus sur l’interdiction.



De premiers bénéfices fiscaux et logistiques

Enfin, le cheval “animal de compagnie” se verrait appliquer les dispositions de la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie suivant laquelle “aucun animal de compagnie ne doit être dressé d’une façon qui porte préjudice à sa santé ou à son bien-être, notamment en le forçant à dépasser ses capacités ou sa force naturelles ou en utilisant des moyens artificiels” et “aucun traitement ne peut (lui être appliqué), ni aucun procédé utilisé, afin d’accroître ou de diminuer le niveau naturel de ses performances au cours des compétitions ou à tout autre moment, si cela peut constituer un risque pour la santé et le bien-être de cet animal.” Ces dispositions seraient ainsi susceptibles, aux dires de certains, d’interdire l’usage de moyens artificiels tels les éperons, la cravache ou les enrênements et, par conséquent, l’équitation telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui.

Ainsi, en France, le cheval demeure un animal de rente. Depuis 2015, à l’instar de tous les autres animaux domestiques, il est toutefois passé du statut de chose à celui d’un “être vivant doué de sensibilité”. Il reste donc soumis au régime des biens “sous réserve des lois qui les protègent”, ce qui constitue une avancée indéniable, à tout le moins d’un point de vue éthique. Cette solution présente l’avantage de l’uniformité: tous les chevaux, quel que soit leur usage (d’élevage à destination de la filière bouchère, de travail, de course, de sport ou de loisirs) ont le même statut. Dans d’autres pays, plusieurs statuts différents coexistent pour le cheval. Ainsi, la Suisse laisse à chaque propriétaire la possibilité d’opter pour le statut de cheval de compagnie, ce choix étant irréversible et s’imposant ensuite aux propriétaires successifs.

Quant à l’Italie, elle s’est totalement départie de la dichotomie animal de rente/animal de compagnie en créant récemment pour une troisième voie: celle du cheval “athlète”.  Simone Perillo, secrétaire général de la Fédération italienne des sports équestres (FISE), explique que l’Italie a connu les mêmes questionnements que la France quant au statut juridique du cheval, ce dernier n’étant “ni un animal de compagnie au sens du strict du terme dans la mesure où, sauf dans de rares cas, il n’est pas hébergé ‘à la maison”, mais réside plus souvent dans des écuries de pension; ni majoritairement un animal de rente, étant pour la plupart un animal de sport et de loisir.” Il a donc été décidé que tout cheval remplissant cumulativement trois critères (enregistrement auprès de l’équivalent italien du système d’information relatif aux équidés, exclusion de la consommation humaine et enregistrement auprès de la FISE) serait automatiquement considéré comme un “cheval athlète”, nonobstant sa participation effective à des compétitions et au niveau de celles-ci. Les équidés ne remplissant pas ces conditions restent quant à eux des animaux de rente. Cette réforme a été votée après la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 et son lot de questionnements associés, ayant révélé de manière criante la spécificité du cheval au sein des autres espèces domestiques.

À ce jour, ce changement de statut s’assimile davantage à une déclaration de principe puisqu’il n’existe pas encore de régime juridique spécifique associé. L’idée serait de le développer au fil du temps à l’instar de la création d’une visite vétérinaire annuelle obligatoire pour le cheval athlète, qui a été votée concomitamment à la création de ce statut. Pour autant, la filière équestre italienne mesure déjà certaines conséquences pratiques de ce changement de statut sur le taux de TVA applicable et l’allègement des contingences administratives et comptables liées au transport, permettant aux cavaliers participant à un même concours de s’arranger entre eux sans devoir obligatoirement passer par un prestataire professionnel, réduisant ainsi l’impact économique et environnemental lié aux sports équestres.

Lors d’une conférence sur ce thème organisée à Bologne, le 31 janvier 2024, les membres du Club des cavaliers internationaux de saut d’obstacles (IJRC) et la Fédération équestre internationale (FEI) ont réservé un accueil particulièrement chaleureux à ce nouveau statut, y voyant enfin la reconnaissance officielle du rôle sportif du cheval aux côtés de leur cavalier. La France et ses voisins européens suivront-ils ou non le même chemin? Cela nécessiterait la réalisation d’une étude d’impact préalable sur les conséquence pratiques et la lisibilité d’un statut dual du cheval à l’heure où, en France, les règles qui lui sont applicables figurent dans une multitude de textes épars, nuisant à la lisibilité de son régime.



À PROPOS DE L’AUTRICE

Depuis 2010, Émilie Waxin, avocat au barreau de Paris, a exercé au sein des départements corporate et contentieux de plusieurs cabinets d’affaires français et luxembourgeois. Cette double pratique lui permet aujourd’hui d’intervenir à tous les stades afin de déterminer l’approche la plus appropriée de nature à éviter, désamorcer ou, le cas échéant, résoudre les situations de crise. Par ailleurs, cavalière et passionnée d’équitation depuis de nombreuses années, elle a souhaité déployer son expertise juridique au sein du secteur équin. Elle intervient ainsi aux côtés des différents acteurs de la filière (institutionnels, cavaliers, propriétaires, centres équestres, etc.) tant en conseil qu’en contentieux.

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