Gengis Khan, le conquérant cavalier, s’expose à Nantes jusqu’au 5 mai

Il reste jusqu’au 5 mai pour partir sur les traces de Gengis Khan et de ses incroyables conquêtes territoriales. À la tête du plus grand empire jamais connu, le “souverain universel” n’aurait pas pu devenir cette légende vivante sans les chevaux. Explications.



L’empereur mongol a participé à construire le plus grand empire de tous les temps.

L’empereur mongol a participé à construire le plus grand empire de tous les temps.

© Apapa Rosenthal Atelier Shiroï/Chinggis Khaan National Museum Ulaanbataar/Adelin Preda

Au XIIIe siècle, Gengis Khan, après avoir unifié les tribus de l’Asie centrale, rallie sous son autorité un territoire s’étendant de la mer de Chine à la Turquie, comprenant une grande partie de l’Asie, et ses armées se tenant aux portes de l’Europe. De fait, l’empereur mongol participe à construire le plus grand empire de tous les temps. Né au nord de la Mongolie et aux sources du fleuve l’Onon vers 1162, dans un territoire marqué par le nomadisme de ses habitants, le futur Gengis Khan, alors appelé Temujin – à traduire par “forgeron” – s’est naturellement appuyé sur le cheval pour organiser son armée et ses conquêtes. Et pour cause! Pour les peuples des steppes, le cheval a toujours été au cœur des événements et du quotidien, et ce, depuis toujours. Comme le souligne Jean-Pierre Digard, anthropologue et directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), “l’histoire de l’Eurasie montre que, près de trois millénaires durant, le cheval a été l’enjeu d’âpres luttes et l’instrument de tous les rapports de force. Ce contexte a favorisé l’émergence d’un phénomène sociologique majeur: les nomades montés ont constitué très tôt des entités, sociales aussi bien que militaires, incontournables, qui allaient être appelées à s’inscrire dans la longue durée”, explique-t-il dans son ouvrage “Une histoire du cheval, Art, techniques, société”, paru aux éditions Actes Sud en 2007.



Compagnon quotidien

“Si le cheval est utile aux Mongols pour se déplacer, garder les troupeaux, chasser et combattre, il fournit également des produits indispensables tels que le lait, la viande, la corne des sabots et les crins”, explique un cartel de l’exposition. “Chez tous les peuples des steppes, le cheval est omniprésent, non seulement dans la vie matérielle, mais également dans la langue […], la religion […], les jeux. Les nomades ne se contentent pas de monter à cheval, ils consomment des boissons à base de lait de jument et de la viande de cheval, utilise sa peau, sa corne, son crin, dont la fonction protectrice contre les coups a été maintes fois utilisée et soulignée”, peut-on aussi lire dans l’ouvrage de Jean-Pierre Digard.

Les petits chevaux mongols sont des animaux robustes, “dotés d’une longue crinière sauvage, d’une ossature lourde et d’une puissante musculature. Ils sont réputés pour leur endurance, leur courage et leur capacité à survivre dans des environnements soumis à des conditions climatiques extrêmes. Incroyablement rapides, ils peuvent parcourir de très longues distances sans avoir besoin de repos”, explique l’exposition. L’homme et le cheval sont étroitement liés dans leur destinée. Une peinture sur papier, présentée dans le parcours de l’exposition et intitulée “À l’unisson”, illustre justement cette relation entre les deux partenaires. Réalisée par Zhao Mengfu (1254-1322), cette peinture est “la saisie d’un instant lors d’une violente bourrasque balayant la queue et la crinière du cheval en même temps que le vêtement du personnage. Le peintre […], dans un style dépouillé, souligne l’accord qui unit le cheval à l’homme face au déchaînement des éléments. En les plaçant sur le même plan, il fait du cheval l’égal de l’homme.”

Ce cheval, qui fait partie du quotidien des peuples des steppes, organise en quelque sorte la vie des tribus nomades. “Chez les Mongols, la recherche de pâturages pour les chevaux repartis, selon les saisons, en troupeaux de dimensions variables (otar regroupant jusqu’à un demi-millier de têtes en hiver) dans différents étages altitudinaux (yelâq en été, qeshlâq en hiver) a contribué à orienter leurs conquêtes vers les régions de montagnes et de hauts plateaux, et a marqué profondément et durablement la géographie des pays conquis (comme l’Iran)”, explique l’anthropologue. Plus encore, il faut également comprendre que les Mongols sont avant tout des éleveurs. Ainsi, ils “suivent le cycle de vie du cheval. Aucune conquête n’était entreprise au printemps et en été pour respecter le temps du poulinage et de la lactation des juments.” C’est d’ailleurs entre avril et août que les éleveurs fabriquent l’aïrag, boisson nutritive et légèrement alcoolisée réalisée à partir du lait de jument, conservée et transportée dans des récipients en cuivre décoré, à l’image d’un seau présenté en vitrine. Cette boisson, précieuse ressource, sert également de cadeau au khan lors des festivités annuelles qui se déroulent sur la même période, chaque éleveur nomade lui rendant ainsi hommage à travers ce présent.

“À l’unisson”, Zhao Mengfu (1254-1322), peinture sur papier du XIVe siècle (empire mongol, dynastie Yuan); copie d’après l’original.

“À l’unisson”, Zhao Mengfu (1254-1322), peinture sur papier du XIVe siècle (empire mongol, dynastie Yuan); copie d’après l’original.

© DR/Musée du Palais de Taipei



Peuple cavalier

Pour Jean-Pierre Digard, les nomades de Mongolie représentent bel et bien ce qu’il appelle des “peuples cavaliers”: “Le cheval n’envahit pas seulement le champ culturel, il est partout présent dans le champ social: tous les nomades cavaliers, jeunes ou vieux, hommes et femmes, montent peu ou prou à cheval. Le fait que la pratique de l’équitation n’y soit pas réservée à une catégorie sociale particulière constitue même la caractéristique essentielle des authentiques ‘peuples cavaliers’.” De fait, chez les Mongols, on apprend à monter comme à marcher. Les propos de l’exposition ne peuvent être plus explicites en ce sens: “Les Mongols au XIIIe siècle, comme la plupart des habitants des steppes, se doivent d’être de bons cavaliers. Hommes, femmes, jeunes, vieux, riches, pauvres, tous savent tenir en selle et conduire un chariot. Les enfants apprennent à monter à cheval très tôt, les plus jeunes étant ficelés à la selle s’ils ne peuvent tenir assis par eux-mêmes.” Une équitation de travail et de guerre est donc intégrée à ce concept de vie nomade. Les Mongols améliorent en permanence leur harnachement, certes simple, afin d’améliorer leur confort et celui de leur monture. Ils utilisent notamment des équipements légers afin d’exploiter au mieux « la rapidité, la force et l’endurance naturelle du cheval pour accomplir toutes les tâches nécessaires à la vie dans les steppes”, révèle un cartel de l’exposition.



Le cheval, une arme de guerre

Excellents cavaliers, les Mongols sont aussi d’impressionnants tireurs à l’arc… à cheval! Un savoir-faire qui leur offre un net avantage pour la guerre. “Les archers à cheval mongols sont redoutables pour le maniement de leur arc. Le cavalier se hisse debout sur ses étriers et dirige ainsi le cheval avec ses cuisses. Par cette posture atténuant les chocs de la course, il peut alors décocher une flèche précise. Les Mongols sont connus pour pratiquer le ‘tir parthe’: l’archer se retourne puis tire sur les ennemis derrière lui”, peut-on découvrir dans l’exposition. Outre cette maîtrise proche de l’art, les guerriers ont également su fabriquer des arcs spéciaux à partir d’éléments végétaux et animaux, comme des tendons, pour générer une courbure à l’arme permettant d’augmenter la tension et donc d’obtenir un tir d’autant plus puissant.

Fort de cette puissance équestre – liée au nombre de chevaux existants dans ces régions compte tenu de l’élevage extensif, mais plus encore par l’art de monter et de tirer à l’arc des guerriers mongols – Gengis Khan va dessiner les contours d’un immense empire. Outre la terreur qu’inspirent ses armées, le souverain organise ses troupes en structures précises et réfléchies pour une plus grande efficacité. Ainsi, “Gengis Khan applique à une échelle inédite les stratégies militaires pratiquées dans la steppe. Il organise son armée en unités décimales de 10, 100, 1.000 et 10.000 hommes selon le système dit du tümen, qui remonte aux Xiongnu.” Ces derniers, datant de 209 avant notre ère à 144 après notre ère, étaient de puissants et emblématiques cavaliers qui menaient des attaques rapides faisant trembler la Chine. Stratégie et cavalerie hors pair ont donc permis les succès militaires des armées de Gengis Khan. Il faut dire que cavaliers et chevaux sont capables de parcourir plusieurs centaines de kilomètres en quelques jours. Sans doute, les robustes petits chevaux mongols ont également gagné cette endurance grâce à leur allure singulière: l’amble, apportant régularité et confort aux guerriers en selle et favorisant la station debout lors des tirs à l’arc. 



Passeur vers l’au-delà

Acteur de la vie des Mongols, les chevaux accompagnent aussi leur rite de passage vers l’au-delà. Gengis Khan se montre très tolérant quant aux diverses religions des populations qu’il soumet, lui-même pratique le chamanisme. Le cheval, omniprésent au quotidien, fait donc partie du bestiaire des croyances et autres rituels mongols. Ainsi, les fouilles archéologiques ont pu mettre à jour des structures funéraires s’accompagnant de dépôts sacrificiels de chevaux. Comme pour les cerfs avant eux, “il pourrait s’agir d’une évocation du rôle psychopompe dévolu aux chevaux, à savoir conduire les âmes des défunts.” Disparu en 1227, Gengis Khan devint un mythe auquel les Mongols rendent hommage chaque année. “Dès les XIIIe siècle, les Mongols organisent un culte en l’honneur de Gengis Khan. Chaque année, ils célèbrent l’esprit du fondateur en libérant des chevaux dans la steppe. Après sa mort, les cérémonies ne se tiennent pas à l’emplacement de sa tombe, interdite d’accès, mais auprès de lieux de culte mobiles qui se multiplient dans l’Empire”, lit-on en fin d’exposition. Aujourd’hui, nul ne sait où se situe la tombe du “souverain universel”. Sans doute son ultime monture l’a-t-elle accompagné de l’autre côté…