La pratique équestre à l’ère du digital et des nouvelles technologies
Dans un monde où le digital est omniprésent, comment la filière cheval cohabite-t-elle avec les nouvelles technologies, les divers produits et services qui lui sont proposés ? Commerce, coaching, compétition, gestion des écuries, suivi au quotidien de la santé de l’équidé ou de ses performances, aucune ramification du monde équestre n’échappe au digital ! Voyons à qui s’adressent les dernières innovations et, notamment, en quoi elles participent à la démocratisation de la pratique équestre et à l’optimisation de la relation cavalier-cheval.
On ne vous apprend rien, la révolution numérique est en œuvre. Notre quotidien est rythmé par internet, les réseaux sociaux, les applications en ligne de services et de commerce, et ce, à destination des particuliers comme des professionnels. Quelques chiffres parlent d’eux-mêmes: le marché du numérique a observé une croissance de 6,5% en 2023 ; le monde compte aujourd’hui davantage de smartphones (8,6 milliards) que d’humains (8,1 milliards); 92% des Français utilisent internet, pour une moyenne de cinq heures et vingt-deux minutes par jour; en 2023, le commerce en ligne a généré en France 975 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit une croissance de 9% par rapport à l’année précédente et de 18% concernant les ventes de services en ligne… On peut, sans exagérer, affirmer que la révolution numérique est un phénomène d’ampleur comparable à la découverte de l’imprimerie par Gutenberg au XVe siècle, ou à la première révolution industrielle apparue à partir de la fin du XVIIIe siècle. Et si l’on zoomait un peu du côté de la filière cheval, quel constat devrait-on faire? Comment la technologie numérique pénètre-t-elle cet univers si spécifique? Quelles sont les innovations qui rencontrent un public de façon croissante et pérenne?
Un échantillon de success stories
Que ce soit dans le commerce en ligne, l’enseignement, la gestion de son cheval ou des écuries, l’assistance, la compétition ou le suivi des performances, certains projets dédiés à l’univers du cheval surfent sur le succès. Dans le commerce, citons Preppy Sport, site internet de vente de matériel d’équitation de seconde main. “Lorsque j’ai créé Preppy”, raconte Camille Traverse, sa fondatrice, “j’étais déjà utilisatrice de sites de mode généralistes, comme Vide Dressing ou Vestiaire Collective. J’avais, par ailleurs, fait le constat que le matériel équestre était vraiment au-dessus de mes moyens, et les mastodontes comme Facebook ou LeBonCoin étaient très génériques, sans garantir aucune sécurité. J’ai donc eu l’idée de monter un site internet dédié à l’équitation sur le modèle des sites généralistes, avec une vraie esthétique, un paiement sécurisé, un service client. Et nous lançons notre application en ce mois d’avril!”
Dans le domaine de la vente, il s’agit de distinguer les outils marketing non commerciaux, à l’instar des outils développés par le groupe ADM (Royal Horse) et la maison Gaston Mercier. Stéphane Jothy est “global marketing manager horse” au sein du groupe ADM, qui a développé l’application Royal Horse à destination des propriétaires de chevaux ; celle-ci permet de choisir l’aliment adapté à l’activité de son cheval, de suivre son poids, de personnaliser sa ration et de trouver le distributeur le plus proche de chez soi. “Nous avons créé cette application pour les propriétaires qui ont leurs équidés à la maison et difficilement accès aux technico-commerciaux”, précise-t-il. “Par ailleurs, nous nous sommes rendu compte que les vendeurs dans les magasins d’alimentation animale l’utilisaient, car en général, ils ne sont pas du tout spécialisés dans l’alimentation équine. Cette application est entièrement gratuite. Elle nous permet de toucher une clientèle plus large et, grâce aux adresses récupérées, de communiquer auprès d’une plus grande communauté sur nos actualités produits et opérations de promotions.” Du côté des selles Gaston Mercier, connues pour la pratique en extérieur mais dont certains modèles sont parfaitement adaptés à l’équitation classique, Manuel Mercier, gérant de la maison, explique: “Nous avons été les premiers à développer un configurateur en ligne. Il s’agit d’un service gratuit permettant de configurer une selle, avec notamment la personnalisation des couleurs, notre très large nuancier constituant une de nos signatures. Cet outil permet d’améliorer l’expérience client et, commercialement parlant, nous offre une meilleure visibilité.”
Transmettre savoir et compétences
Dans l’enseignement, on trouve notamment Blooming Riders. Pour Pauline Barbier, “Blooming ne remplacera jamais un coach en direct. Nous sommes essentiellement tournés vers l’éthologie. On transmet du savoir et des compétences directement applicables sur le terrain, des techniques, des exercices permettant de prioriser la relation et la communication avec le cheval.” Maëlle Clausse, elle, est la directrice de la start-up nantaise Képhyre, à l’origine du boîtier connecté Kavale – permettant d’appeler à l’aide en cas de chute – et de l’application mobile RAYA (Ride As You Are). “Tout est parti du constat que la majorité des cavaliers propriétaires montaient souvent seuls. L’idée a donc été de proposer une solution pour leur permettre de retrouver l’inspiration. Ainsi, nous proposons un contenu gratuit avec des fiches d’exercices, et un contenu vidéo payant dans lequel un coach diplômé partagera ses conseils. Nous sommes également en train de travailler à l’intégration de l’IA (intelligence artificielle, ndlr) dans RAYA pour aller plus loin dans la personnalisation, et de développer des outils de tracking afin de pouvoir mesurer et évaluer les séances effectuées.” Enfin, Masterclass Équitation est une plateforme innovante que Fouganza, la sellerie de Decathlon, développe via un programme appelé Horse Gang et cocréé avec Horse Republic. On y trouve notamment des quiz, des fiches pratiques et des vidéos d’experts. À venir bientôt, des contenus offrant aux cavaliers la possibilité de trouver toutes les informations nécessaires à leurs besoins : observation, comportement, pratique et santé, etc. “Nous souhaitons que cette offre montre nos engagements en tant qu’acteurs de la compréhension du cheval”, explique Cindy Massart, cheffe de produit digital chez Decathlon.
En termes d’assistance, il existe des services intéressants proposés par des solutions comme Kavale, permettant grâce à un boîtier connecté d’appeler à l’aide en cas de chute. Une autre initiative intéressante est celle développée par Ombeline Devylder, fondatrice de My-UUU: “My-UUU est un peu la version équestre de TripAdvisor; elle permet aux utilisateurs de trouver plus facilement une structure adaptée à leurs besoins avec des retours d’expériences d’autres clients. J’ai eu cette idée, car je suis mère et cavalière dans une écurie de propriétaires et j’ai eu beaucoup de difficultés à trouver un centre équestre correspondant à mes attentes lorsque j’ai voulu inscrire mon fils. Le site offre également la possibilité d’avoir de la visibilité sur le bien-être des équidés (mode de vie, heures de travail, etc.). Notre objectif est de rendre le consommateur acteur du monde équestre d’une part, et d’autre part d’amener les structures équestres vers une vraie digitalisation en proposant cette plateforme unique qui est destinée à homogénéiser la communication, faciliter la recherche et leur permettre d’être visibles via des mises en avant régulières de leurs bonnes pratiques notamment…”
Des projets innovants ont par ailleurs été menés dans le milieu de la compétition. Avec tout d’abord Equi-rider, projet raconté par son fondateur Maxence Berard : “Aujourd’hui, au-delà même des considérations écologiques rattachées aux trajets effectués, la réalité du terrain est que l’organisation de compétitions ou la participation ne rapporte pas d’argent aux professionnels. Notre offre de services est là pour proposer une alter- native et donner une saveur et une couleur supplémentaires aux concours internes dé- jà existants dans les clubs. Avec la ‘Riding Cup’, nous distribuons un projet pédagogique et sportif clé en main pour n’importe quel centre équestre dans le monde. Nous avons pour ambition de devenir une sorte de Strava (du nom de l’application de running permettant aux utilisateurs de se confronter à distance, ndlr) de l’équitation.”
Du côté du monde des courses spécifiquement, citons EQWIN, une application pour devenir virtuellement propriétaire d’un véritable cheval de course : on vibre au rythme de ses courses, et on peut le revendre… Nina Caput en est la fondatrice: “C’est un véritable miroir de la vie réelle, à l’inverse des plateformes qui proposent des courses 100 % virtuelles en ligne à destination des joueurs: nous nous adressons à des gens voulant vivre une expérience à mi-chemin entre le ‘propriétariat’ et le pari.”
Faciliter la gestion du quotidien
Les innovations digitales concernant la gestion d’écuries ont également le vent en poupe. Il en va ainsi d’Equitop, logiciel de gestion pour les entraîneurs, pré-entraîneurs et éleveurs de chevaux, qui leur facilite la tâche grâce à une application mobile et ‘desktop’ (destinée aux ordinateurs de bureau) avec une connexion à l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) facilitant la création d’une base de données des chevaux concernés. “Nous envisageons bientôt de nous consacrer également aux particuliers, avec une solution dédiée à la partie gestion du quotidien (ferrure, pharmacie, ostéopathie, etc..) et le suivi vétérinaire avec la possibilité de mettre en place des alertes (vaccins, vermifuges, etc.)”, précise Nicolas Jegu, directeur opérationnel au sein du groupe Pigeon et développeur d’Equitop. Dans la même veine, on trouve EquiOnline, que dirige Maxime Strec: “Nous avons réfléchi à une solution logicielle de gestion de la facturation, avec pour finalité la création d’un secrétariat digital permettant aux structures équestres de répondre à tous leurs besoins en un seul outil simple. Parmi nos innovations à venir, il y aura la synchronisation bancaire, ainsi que l’ouverture de nos services aux particuliers.” Citons encore l’application Groomy, développée par Equidéclic, que décrit son directeur Bertrand Poirier: “Au départ, il y a eu cette envie d’améliorer la communication et la gestion au sein des entreprises de la filière équine. Nous nous adressons principalement aux gros élevages et étalonniers, avec la traçabilité des obligations à remplir dans le respect des contraintes sanitaires européennes: déclaration des lieux de détentions et des mouvements d’entrées et de sorties des chevaux, traçabilité des actes et des soins, suivi des ordonnances. À cela s’ajoutent des services premium, comme la facturation, les suivis gynécologiques avec traçabilité de la semence, ou encore le suivi de la commercialisation des saillies avec la gestion des contrats ou des plannings de monte…”
Last but not least, Vitécurie permet de passer de deux heures de gestion quotidienne d’une structure équestre à cinq minutes par jour depuis son téléphone. Nicolas Boé, son fondateur, valorise son application qui permet de faire gagner un temps précieux aux gérants de centres équestres: “L’objectif d’une application comme Vitécurie est d’effectuer toutes les tâches qui n’apportent que peu de valeur mais sont pourtant indispensables, réglementaires ou organisationnelles. Le but est d’éviter la multiplication des outils pour revenir à ce qui compte vraiment: les chevaux dans le moment présent.”
Les clés d’une implantation réussie
Dans l’univers du cheval, comme partout d’ailleurs, des flopées de projets digitaux naissent régulièrement. Mais tous ne survivent pas, loin de là. Ceux qui s’en sortent ont résolu une équation additionnant connaissance du milieu, compétences technologiques, dimension humaine par rapport à la relation client, et santé financière au regard d’un business plan. Avec comme point de départ le constat suivant: dans le monde équestre où la relation avec l’animal est primordiale, où le temps passé avec lui ne se compte pas, le seul moyen de durer pour un projet digital est de répondre véritablement à un besoin. Comme le souligne Pauline Barbier, directrice générale et fondatrice de Blooming Riders, “il y a une compétition féroce, les cavaliers ont des priorités financières (le cheval, ses soins, son équipement, son entretien, leur propre équipement…), et les outils digitaux ne viennent jamais en premier dans leur liste, ce qui est logique vu le coût de notre sport”. Il faut donc que la proposition digitale en question rende de manière évidente plus facile le quotidien de la personne qui y adhère, qu’elle apporte un service plus rapide, permette de réaliser des économies conséquentes, donne la possibilité de vivre des expériences impossibles ou, du moins, très difficiles via les canaux classiques…
Maxime Strec, fondateur d’EquiOnline, raconte ainsi qu’“il a d’abord été question pour nous d’écouter les besoins à la source, sur le terrain, et de tester une première version auprès d’un cercle ‘cobaye’, sans mode d’emploi: le pari était gagné si les testeurs s’en sortaient tout seuls, s’ils voyaient dans son utilisation un aspect intuitif, logique, facile; et c’est ce qu’il s’est passé”. Idem pour Nicolas Boé, fondateur de Vitécurie: “Mon projet est né d’un besoin exprimé par le terrain et d’une alliance de compétences: je suis ingénieur informatique de formation et cavalier depuis toujours. C’est ma sœur, directrice d’un centre équestre, qui m’a demandé d’imaginer une solution pour l’aider à gérer plus facilement sa cavalerie. J’ai donc développé une appli en fonction de ses attentes précises: le montoir, le suivi des cavaliers, l’organisation des concours, les facturations, le bilan comptable… Puis le projet a évolué et grandi en adéquation avec le terrain.” Ce projet, il le résume ainsi: “Un bon outil numérique, c’est comme une poubelle : il vous permet de vous débarrasser de ce que vous ne voulez pas et arrive même à créer de la valeur avec. Il doit se faire oublier tout en étant indispensable.”
Être et rester à l’écoute des utilisateurs
Il faut aussi du temps, et du recul. “Pour qu’une application digitale fonctionne dans le milieu équestre, il faut que celle-ci soit orientée pour un métier et traite un sujet dans son ensemble”, estime Nicolas Jegu, directeur opérationnel au sein du groupe Pigeon et développeur d’Equitop. “Cela nécessite beaucoup de temps pour l’analyser, la concevoir, la commercialiser et la maintenir dans un secteur qui reste un marché de niche.” Et pour ce faire, il est nécessaire de connaître le milieu “de l’intérieur”, d’aller à la rencontre de ses acteurs afin de bien identifier sa cible. “Nous avons développé une solution pour mais, surtout, avec nos clients”, développe encore Nicolas Jegu. Nina Caput, directrice générale et fondatrice d’EQWIN, insiste, elle, sur la nécessité d’être et de rester à l’écoute des utilisateurs: “Dans notre cas, nous avons totalement coconstruit la plateforme avec eux. Ce partage humain, y compris au sein de l’équipe, est fondamental et fondateur. Je pense également qu’une plateforme qui fonctionne bien doit toujours évoluer, en se remettant en question, en proposant de nouvelles fonctionnalités, en améliorant le parcours de l’utilisateur. C’est grisant, cela ne s’arrête jamais ; comme l’entraînement d’un cheval, finalement!”
Camille Traverse, fondatrice de Preppy Sport, explique qu’elle a “allié le physique et le digital, consacré beaucoup de temps à rassurer les gens sur la qualité du matériel de seconde main, ouvert des stands sur des événements et des boutiques physiques. À mon sens, la clé du succès est d’identifier un problème et de proposer une solution tellement simple et évidente pour le résoudre rapidement que la personne ne puisse plus se passer du service.” “Mes parents gèrent un centre équestre et j’ai moi-même une expérience d’enseignant et de cavalier valorisateur de jeunes chevaux”, précise Maxence Berard, directeur général d’Equi-rider. “Je pense avoir, de fait, une lecture du marché plus cohérente, au plus près des attentes et des besoins des clients que nous ciblons. Le milieu équestre étant à mon sens assez technophobe. Il est capital, pour survivre et durer, de bien cibler sa clientèle, la comprendre, et non seulement de répondre à ses véritables besoins, mais de les anticiper.” Il est également capital de maîtriser les outils numériques, d’être doté de solides compétences technologiques. “Nous sommes quasiment tous cavaliers nous-mêmes au sein de notre équipe, et nous avons allié notre passion à notre métier initial : le développement digital”, précise Maxime Strec, fondateur d’EquiOnline. Idem chez Képhyre, étant, à l’origine, une agence de développement.
Même son de cloche, encore, du côté de My-UUU. “L’aventure My-UUU a démarré il y a deux ans maintenant. Mon cœur d’activité est l’informatique et nous avons voulu aider le monde équestre à se tourner vers l’avenir – comme ont pu le faire le monde de l’hôtellerie et de la restauration, par exemple. Quand un acteur du digital se tourne vers un sport d’origine rurale, rien n’est simple. Notre volonté d’accompagner les entreprises commence à être reconnue, et les structures équestres ont une réelle conscience de la nécessité de se rendre accessibles via le web”, relate Ombeline Devylder
Personne ne vivant d’amour et d’eau fraîche, quid de la dimension financière ? “Trouver son modèle économique est LE challenge de nombreuses entreprises”, développe Maëlle Clausse, directrice de la société Képhyre. “Chez Képhyre, nous avons fait le choix de l’abonnement pour assurer des revenus récurrents. Nos applications sont cependant en mode ‘freemium’ (modèle économique comprenant une première offre totalement gratuite, ainsi qu’une version premium plus élaborée mais payante, ndlr) pour permettre une accessibilité au plus grand nombre et convaincre grâce à la qualité de nos produits digitaux.” Bertrand Poirier, à la tête de Groomy, abonde dans ce sens: “Il faut que ce que l’on propose soit indispensable à l’utilisateur, qu’il voie immédiatement le gain de temps opéré. Et qu’il soit prêt à payer pour cela.”
Au-delà des secteurs évoqués, le digital a gagné bien d’autres niches dans le milieu équestre, comme la communication, l’information, l’influence, le recrutement et la communication digitale dédiée. Le monde équestre semble donc bel et bien prêt à ouvrir les bras au digital, à condition que ses membres ne le perçoivent pas comme un « ennemi » qui va les éloigner de leurs chevaux, mais plutôt comme un allié qui viendra rapidement, simplement et astucieusement les soulager et les accompagner dans leur pratique.