“Nous aurions aimé connaître une saison plus ordinaire, mais en visant les JO, rien ne peut l’être”, Anne-Sophie Serre

Alexandre Ayache, Pauline Basquin, Corentin Pottier et Anne-Sophie Serre ont été choisis pour représenter la France aux Jeux olympiques de Paris, dans les jardins du château de Versailles. Cette dernière concourra comme remplaçante avec Jibraltar de Massa (PSH, San Amour I x Hohenstein 4). Depuis les championnats d’Europe de 2023, à Riesenbeck, son époux Arnaud Serre semblait bien placé pour faire partie de l’équipe, mais au dernier moment, c’est donc madame Serre qui s’est invitée sur les pistes de Versailles. L’occasion de donner la parole à ce couple fusionnel à une poignée de jours de l’événement mondial.



Anne-Sophie Serre a été sélectionnée aux Jeux olympiques en tant que remplaçante aux côtés d'Alexandre Ayache, Pauline Basquin et Corentin Pottier.

Anne-Sophie Serre a été sélectionnée aux Jeux olympiques en tant que remplaçante aux côtés d'Alexandre Ayache, Pauline Basquin et Corentin Pottier.

© PSV Morel/FFE

Si pour le grand public, votre sélection olympique a pu étonner, comment avez-vous vécu, personnellement, cette nomination ? 

A-S Serre : J’espérais ardemment qu’en allant à Aix-La Chapelle (ndlr du 4 au 6 juillet), il serait possible d’envisager une place de quatrième en équipe, mais sans certitude bien sûr, compte tenu de notre début de saison un peu chaotique. Nous sommes finalement rentrés dans le vif du sujet après certains autres couples. Mais sur les trois derniers concours, mon cheval a montré une belle évolution couplée à une bonne régularité, spécialement à Aix-La-Chapelle où les conditions sont particulières (le couple y a obtenu 69,326% dans le Grand Prix et 68% dans le Spécial, ndlr). Ce concours réunit tous les paramètres liés aux gros événements, tant par son atmosphère, que par les différents éléments visuels, sonores et environnementaux. Le stade est monumental, peuplé de nombreux spectateurs, nous plongeant dans une ambiance digne des grosses échéances! Dans ce contexte, le staff a pu juger de notre capacité, à Jibraltar et moi, à gérer la pression qui découle nécessairement de tout cela. De même, j’ai pu me conforter dans le bon sentiment que j’ai de mon cheval actuellement : il est de mieux en mieux! Aujourd’hui, je déplore le fait de ne pas avoir eu deux concours de préparation en plus pour prétendre, si ce n’est à mieux, à en tout cas moins de discussions autour de ma sélection. Quoi qu’il en soit, cette place de quatrième me comble au plus haut point. Je me sens sereine avec moi-même comme avec mon cheval.  

Quand on est compétiteur et que l’on commence une saison avec un objectif tel que les Jeux olympiques à domicile, même lorsque les événements ne se déroulent pas comme prévu, on garde forcément l’idée de redresser la barre. La belle histoire, pour notre duo, c’est que cela a pu se produire! Je n’ai jamais baissé les bras, ce n’est pas dans mon tempérament. En revanche, confrontée à certaines difficultés dans mon début de saison, j’ai décidé de faire une pause sur les compétitions. Rien ne sert de forcer la machine. Mieux vaut employer son temps à trouver puis balayer le grain de sable qui empêche les rouages de fonctionner normalement. Prendre son temps ne signifie pas perdre son temps! Je me suis entourée des bonnes personnes, pour solutionner nos problèmes. Aujourd’hui, je me sens confiante avec mon cheval, car nous avons fait les choses de la bonne manière. Certes, nous aurions aimé connaître une saison plus ordinaire, mais lorsque l’on vise les JO, rien ne peut être ordinaire, ni aussi linéaire que l’on peut le souhaiter…En équitation, il s’agit avant tout de composer avec notre partenaire équin, de savoir l’écouter et l’entendre. C’est ce que je m’efforce de faire.  

Comment avez-vous choisi de retrouver les rectangles ? 

A-S Serre : Lorsque j’ai pris la décision de retourner en épreuve, je savais que j’avais déjà plus de cartes en main. Mon cheval était en train de retrouver son aisance dans les différents mouvements, et je pouvais donc les aborder plus sereinement. Ainsi, au Grand National de Barbaste, nous sommes sortis avec 68%, malgré la notation d’un juge nous évaluant à 62% qui a minoré notre score. Au CDI 4* du Mans, peu après, nous avons confirmé les 68%, pour atteindre les 70% à Jardy. À ce moment, le staff a décidé de nous faire intégrer l’équipe de France lors de la Coupe des nations à Aix-La-Chapelle. Pour mettre un peu plus de piquant à cette saison qui n’en manquait pourtant pas, nous nous sommes élancés en premier sur la piste de ce stade mythique. Pas encore très hauts dans le classement mondial, et avec une côte non encore établie puisque les juges nous connaissent peu, nous avons eu, dans ce contexte, la difficile tâche d’ouvrir le bal. Le résultat a finalement été très honorable, avec presque 69,5%, malgré une transition du passage au trot assez tardive qui nous coûte probablement les 70%. Mais je suis sortie néanmoins très contente de mon cheval. Il a confirmé son bon état de forme comme sa capacité à pouvoir se produire en épreuve avec le poids d’une équipe sur les épaules. Il s’est aussi montré très disponible sur le Grand Prix Spécial sur lequel nous fautons pourtant sur les deux lignes de changements de pied au temps. Je me suis montrée un peu trop confiante et ne peux en vouloir qu’à moi-même! J’aborde donc les Jeux dans une certaine quiétude : pour moi, c’est une fête, et c’est même une fête, pour toute notre équipe et notre écurie dans son ensemble!  

Comment avez-vous vécu votre première au CDIO 5* d’Aix-La-Chapelle ? 

A-S Serre : Je connaissais le stade et son ambiance, puisque j’étais avec mon mari Arnaud aux championnats d’Europe, en 2015. C’est un concours à l’ambiance réellement incroyable, que l’on ne rencontre nulle part ailleurs. Avec toutes les autres disciplines qui ont lieu en même temps, on comprend que l’équitation est un véritable culte en Allemagne!  En plus de l’organisation est très rodée avec des conditions également idéales pour les chevaux, qui bénéficient d’écuries en dur, bien isolées, dans lesquelles ils se reposent vraiment. C’est une chance de pouvoir y prendre part, car bien longtemps, la France n’a pas été invitée à Aix-la-Chapelle. Ce qui est sûr, c’est qu’avec mon appel pour les Jeux olympiques et cette participation Outre-Rhin, j’ai bénéficié d’une saison extrêmement riche.   

Comment prévoyez-vous le travail de Jibraltar jusqu’à l’échéance versaillaise ? 

A-S Serre : Il s’agit de ne rien changer, de le garder disponible, en bonne forme, morale comme physique, pour être prêts à entrer dans la compétition si nous sommes sollicités. Il poursuit donc son travail, de la gymnastique essentiellement, à la fraîche, car nous avons 35°C en ce moment dans le midi! C’est mon premier cheval de la journée, déjà à cause du climat, mais aussi parce que c'est en début de journée que je me sens la plus disponible d’esprit. Les cavaliers de l’équipe se rejoindront ensuite en en région parisienne, pour participer au regroupement fédéral. Nous arriverons à Versailles le 26 juillet, quelques jours avant le Grand Prix qui a lieu le 30. Je suis très fière de vivre les Jeux, même avec mon statut de remplaçante. Il s’agit d’être au sein d’une équipe, et c’est très différent d’une compétition individuelle : on se sent vraiment galvanisés! Nous sommes entre coéquipiers et nous nous entendons en plus très bien. Nous sommes sérieux quand il le faut, mais savons aussi partager de vrais moments d’humour, entre les cavaliers mais aussi avec le staff : ce qui est très plaisant! Il y a une vraie cohésion dans l’équipe, chacun souhaitant sincèrement la performance de l’autre. Les individualités sont effacées et c’est très créateur de liens. C’est indispensable dans une équipe de France. Certes, maintenant, j’ai hâte, mais je savoure aussi ce moment de calme dont nous disposons avant de partir à Paris. Nous sommes aujourd’hui un peu dans l'œil du cyclone, avant l’arrivée prévue du gros chamboulement.  

Si l’on s’en tient uniquement aux moyennes obtenues, votre couple avec Jibraltar de Massa n’était pas le premier pour la place de remplaçant. Selon vous, quels sont vos points forts ayant pu contribuer à l’attribution de cette place dans l’équipe de France ? 

A-S Serre : Je dirais que je suis très froide dans ma tête: en arrivant sur un Grand Prix, je sais ce que je dois faire, comment monter, et comment gérer la pression. À ce niveau-là, je présente donc une certaine fiabilité. Il me semble d’ailleurs que la plupart des autres prétendants à la quatrième place disposent de moins d’expérience, si l’on considère que j’ai déjà couru un certain nombre de belles échéances. Ensuite et surtout, les sélections ne sont pas le fruit d’un simple calcul arithmétique, sinon un simple ordinateur pourrait faire le job. En fait, beaucoup de paramètres entrent en compte. Certes, les moyennes réalisées en concours sur un laps de temps donné sont importantes, mais il convient également de s’intéresser à des facteurs tels que la santé des chevaux, la capacité du cavalier à s’intégrer dans une équipe, son expérience et l’évolution du couple lors des dernières épreuves courues, quand la pression monte pour tout le monde. Avec du recul, je sais que toutes les sélections prêtent à polémique : elles font des satisfaits mais aussi des déçus. C’est classique mais compréhensible.  

Qui va se montrer le plus stressé dans votre équipe ? 

A-S Serre : Par expérience, je dirais que c’est l'accompagnant qui a le rôle le plus compliqué. Aujourd’hui, nous n’avons pas de pression. Nous savourons, nous sommes au calme et vivons tout à fait normalement. Jibraltar poursuit aussi sa vie habituelle, en continuant d’aller au paddock: nous n’avons rien changé. Et nous essayerons de conserver cette sérénité! 



“L’essentiel est que l’un de nous soit dans la sélection”, Arnaud Serre

Arnaud Serre et James Bond de Massa lors de la Coupe des nations de Rotterdam, le mois dernier.

Arnaud Serre et James Bond de Massa lors de la Coupe des nations de Rotterdam, le mois dernier.

© Zoé Glévar/FFE

Aujourd’hui, comment se déroule le quotidien de James Bond, qui, lui, n’ira pas sur les pistes versaillaises, mais qui était attendu le week-end du 14 juillet sur le CDI 3* de Deauville qui a été annulé

A.Serre : Avec James Bond, je fais comme Anne-Sophie avec Jibraltar : nos chevaux de haut niveau sont les premiers à travailler le matin. D’ailleurs, pour la concentration des cavaliers, nous trouvons aussi que c’est le plus efficace. Nous n’avons pas d’autres préoccupations le matin en arrivant, et c’est appréciable. Bien sûr, nous nous occupons aussi des autres chevaux avec le même sérieux, mais une fois que nous avons terminé avec nos chevaux de concours internationaux, il est plus aisé d’être disponible pour les autres. J’aurais aimé pouvoir aller à Deauville, et j’ai été bien déçu de l’annulation du CDI. J’avais programmé d’y jouer le jeu des sélections jusqu’au bout et envisagé de finir la saison sur des éléments plus positifs que ce que nous avons vécu à Rotterdam (où le bai a montré des résistances inattendues, sanctionnées à 62,383% dans le Grand Prix Spécial, ndlr). James Bond était prêt pour aller à Deauville... Depuis Rotterdam, je suis en effet resté en transit dans une écurie, à nos frais. Il n’était en effet pas question de faire la route jusqu’à chez moi, dans le Sud, pour remonter en Normandie un peu après.  

Comment envisagez-vous aujourd’hui la suite de votre saison?

A.Serre : Je n’ai pas encore décidé de la suite de ma saison avec James Bond. En effet, l’objectif pour tout le monde est maintenant de se concentrer sur les Jeux olympiques. Bien entendu, je serai aux côtés d’Anne-Sophie, avec nos deux enfants, pour ce superbe événement. Je programme sinon de courir avec mes jeunes chevaux à Fontainebleau, notamment avec un fils de James Bond. Je reprendrai peut-être le chemin des CDI à Crozet, concours que nous affectionnons, l’un des plus beaux en France. À Rotterdam, mon cheval n’était pas dans l’état de forme qui est le sien aujourd’hui. Il était très chaud et peut rester très étalon, nous le savons et devons faire avec. Toute la saison, il a malheureusement été sous le coup de petits soucis de santé, qui ont empêché qu’on le présente au mieux. À Rotterdam, il a trouvé moyen de se coincer au boxe, ce qui l’a rendu inconfortable et il n’était pas comme d’habitude. J’avais donc très à cœur d’être à Deauville après ces déboires inhabituels subis en Hollande. Il s’est aussi marché sur un glome, malgré les cloches qu’il portait, et il a fallu l’arrêter une semaine pour le soigner… Il a suivi ce schéma toute l’année, ce qui n’a pas été optimum pour travailler en vue d’une sélection. Mon objectif est qu’il continue à progresser, pour qu’il revienne bien pour 2025 et soit compétitif pour le championnat d’Europe. À plus long terme, nous viserons bien sûr les Jeux de Los Angeles. À court terme, je le répète, le but est de soutenir Anne-Sophie à fond et de vivre pleinement à ses côtés l’aventure olympique, même si, depuis sa sélection, j’ai été tenté de ne plus lui parler! (Rires des deux intéressés) Je suis maintenant à fond derrière elle, comme toute notre équipe! Je suis tellement fier d’elle, car elle le mérite! Nous avons la chance d’être deux à prétendre aux sélections et l’un d’entre nous est souvent bien positionné: c’est une vraie chance, une force ! Là-aussi il y a tout un travail d’équipe sous-jacent à cette réussite.  Quoi qu’il arrive, qu’il s’agisse d’Anne Sophie ou de moi, c’est toujours “nous” finalement. L’essentiel est que l’un de nous soit dans la sélection. C’est là que réside notre satisfaction et celle de toute l’équipe qui nous entoure!