À dix-sept ans, Dalera se retire au sommet de l’Olympe

Plusieurs mois avant les Jeux olympiques de Paris, déjà, les aficionados du dressage se posaient la question: l’événement quadriennal ne marquerait-il pas la dernière sortie de Dalera BB, alors double championne olympique en titre avec Jessica von Bredow-Werndl? Il faut dire que la jument de dix-sept ans avait été très préservée depuis son double sacre européen à Riesenbeck, en septembre 2023. En outre, il semblait à beaucoup que l’histoire de la Trakehner ne pourrait être plus belle que si elle remportait un ou des nouveaux titres dans les jardins du château de Versailles, et qu’elle se retirait ensuite de la compétition. Encore fallait-il les décrocher, ces médailles! Et puis, un peu avant la mi-juin, à l’occasion du championnat d’Allemagne, à Balve, Jessica von Bredow-Werndl avait semblé écarter cette option. “Si j’envisageais que les Jeux soient ma dernière compétition avec Dalera, je ne pourrais pas gérer mes émotions”, avait-elle déclaré. “De toute façon, je ne peux pas le décider, je dois le sentir! Dalera me dira lorsque ce sera sa dernière reprise, ce n’est pas moi qui le lui dirai! Je ne peux pas m’imaginer doubler sur la ligne du milieu à Paris pour la dernière fois, je ne pourrais pas tout faire émotionnellement!”

Des Jeux de Paris conclus en apothéose

À Versailles, la fille d’Easy Game et sa cavalière ont d’abord livré un très beau Grand Prix, le 31 juillet. Celui-ci a été légèrement entaché par quelques soucis de contact, qui ont cependant été largement compensés par la souveraineté de la paire dans les airs relevés. Ainsi, toutes deux ont été récompensées par une moyenne de 82,065%, la meilleure de l’épreuve. Le 3 août, en revanche, une faute dans la si délicate transition du pas rassemblé vers le piaffer caractéristiques du Spécial les a empêchées de dépasser la barre des 80%. Leurs 79,954%, obtenus sur ce texte qui leur avait si bien réussi en septembre 2023 aux Européens de Riesenbeck, ont tout de même suffi à l’équipe germanique pour s’imposer d’un cheveu face au Danemark, mais ont été battus par Cathrine Laudrup-Dufour et Mount St. John Freestyle. Et ce, alors que Jessica et Dalera n’avaient plus été devancées dans une compétition internationale - elles l’avaient été une unique fois au championnat d’Allemagne 2023 par Sönke Rothenberger et le prodigieux Fendi - en trente-cinq reprises présentées depuis les JO de Tokyo! Le lendemain, la pression était donc grande pour la leader de l'équipe germanique et sa fille d’Easy Game, qui pouvaient devenir quadruples championnes olympiques en deux éditions des Jeux, une performance plus réalisée en dressage depuis… Nicole Uphoff et Rembrandt, doublement sacrés en 1988 et 1992!

Avant-dernières à s’élancer dans la Libre, Jessica et Dalera, accompagnées par des chansons d’Édith Piaf parfaitement choisies, ont alors déroulé une prestation sans fausse note. À leur sortie du rectangle, c’est une moyenne de 90,093% qui s’est affichée, et s’il a encore fallu attendre le passage de Cathrine Laudrup-Dufour et Mount St. John Freestyle, celles-ci n’ont pas réussi à rivaliser, laissant la paire allemande décrocher l’or olympique une quatrième fois. “Hier, nous avons eu trop de pression en partant dernières de l’équipe”, a alors analysé Jessica von Bredow-Werndl. “Ce matin, en me levant, je me suis dit que ce n’était qu’une question de confiance, que nous étions capables de remplir notre objectif, que je pouvais me faire confiance et croire en Dalera. [...] Tout s’est joué au mental, car je n’ai rien changé du tout entre hier et aujourd’hui  Il suffisait que je nous fasse confiance et que je lui fasse comprendre qu’elle était à la hauteur. En fin de reprise, j’ai été très émue car je savais que nous n’aurions pas pu faire mieux. Dalera s’est donnée à mille pourcents.” Et de préciser: “J’avais dit avant les JO que je n’étais pas prête à ce que ce rendez-vous soit notre dernière danse. Je l’emmènerai encore à une ou deux compétitions, je ne sais pas encore où.”

Pourtant, ce mardi 27 août, l’Allemande a annoncé avoir changé d’idée dans une émouvante vidéo publiée sur les réseaux sociaux. “Un peu de temps est passé, et je commence doucement à réaliser ce qui s’est passé ces dernières semaines”, débute-t-elle. “Honnêtement, je commence même seulement à réaliser tout ce qui s’est passé ces dernières années. Dalera est arrivée chez moi à huit ans et elle en a désormais dix-sept. Nous avons été sacrées sept fois championnes d’Allemagne et six fois championnes d’Europe (deux fois par équipes et quatre fois en individuel, ndlr). Nous sommes quadruples championnes olympiques, avons remporté le CDIO 5* d’Aix-la-Chapelle (en 2023, ndlr) et avons aussi été championnes du monde (avec le collectif germanique, à Tryon, en 2018, où toutes deux disputaient leur premier grand championnat et avaient terminé seizièmes du Spécial, la seule épreuve individuelle maintenue, ndlr). Nous avons gagné plus de dix étapes de la Coupe du monde, et la finale du circuit par deux fois (en 2022 et 2023, à Leipzig et Omaha, ndlr). [...] Le voyage a été magnifique jusqu’ici avec Dalera! Vous remarquerez que je suis émue, car nous avons décidé, avec Béatrice (Bürchler-Keller, la propriétaire de la jument, ndlr), notre famille et nos entraîneurs, qu’elle ne concourrait plus. [...] Nous pourrons garder Dalera à nos côtés, à Aubenhausen, jusqu’à son dernier souffle, et je me réjouis de passer encore de merveilleuses années - beaucoup, j’espère - avec elle.”

La cavalière aura donc finalement été fidèle à l’adage allemande “Aufhören, wenn es am schönsten ist”, qui promeut le fait d’arrêter au sommet. Au sommet de l’Olympe, même, pourrait-on dire en ce qui concerne Dalera, qui restera une légende du dressage. Il n’y aura donc plus d’occasion d’admirer son piaffer et son passage, pour lesquels elle était tant renommée, en compétition, mais au moins deux apparitions publiques sont encore prévues pour célébrer la formidable baie. La première aura lieu à la toute fin novembre, dans le cadre du Trakehner Hengstmark de Neumünster, qui accueille notamment le concours d’approbation des jeunes étalons de ce stud-book. La seconde se tiendra début janvier à Bâle, où Dalera a remporté l’étape de la Coupe du monde en 2023 et 2024. Peut-être entendra-t-on une dernière fois résonner les chansons d’Edith Piaf, ou alors, la bande originale de La La Land, avec laquelle elle avait été sacrée championne olympique en 2021, pour accompagner la jument lors de ces dernières?

“Je n’ai rencontré aucun autre cheval avec lequel mon âme soit aussi connectée qu’avec elle”

“Je sais que Dalera aime être sur scène, et il m’est donc important qu’elle puisse se présenter encore quelquefois”, appuie Jessica von Bredow-Werndl. “Pour moi, elle a été bien plus que ma partenaire de sport ces dernières années. Je n’ai rencontré aucun autre cheval avec lequel mon âme soit aussi connectée qu’avec elle. Nous n’avons pas eu besoin de mots, et il n’y en a d’ailleurs pas pour décrire cette connexion, mais nous nous sommes tout de suite entendues, et je savais toujours ce qu’elle voulait (la voix de la cavalière se casse, ndlr). De son côté, elle comprenait aussi toujours tout ce que je voulais lui dire. [...] J’aime tout simplement passer du temps avec elle, et pour cette raison, je ne devrais pas être si émue (d’annoncer sa retraite sportive, ndlr), mais elle m’a permis de vivre quelque chose que je n’avais jamais vécu, et que je ne suis pas sûr de pouvoir revivre durant mon existence. Je suis extrêmement reconnaissante envers toutes les personnes qui nous ont accompagnées sur ce chemin. Je vous remercie tous du plus profond de mon cœur pour ces superbes années et je me réjouis de pouvoir offrir à Dalera les plus belles années de sa vie, ici à Aubenhausen, car elle ne mérite qu’une chose: le tout meilleur de ce qui existe.”