“J’ai perdu deux ans et demi de travail et tous mes rêves”, Emeric George

Le 2 juin 2019 à Saint-Gall, Emeric George a brutalement perdu Step Up de l’Heribus, un cheval qu’il avait acquis avec des rêves de grand sport. Lors de l’Officiel de Suisse, le prometteur hongre de huit ans a dû être euthanasié, quelques heures après avoir été retrouvé suspendu par les antérieurs à une paroi de son box, comme l’a révélé ce soir Kamel Boudra sur Facebook. Après avoir tenté de trouver une solution à l’amiable avec le comité organisateur du concours, celui-là même où était déjà survenu l’accident de Quismy des Vaux*HDC, ancienne monture de Kevin Staut, en 2015, le Picard a choisi de l’assigner en justice. Regrettant la piètre qualité des boxs démontables utilisés dans ce CSIO, le manque de moyens pour désincarcérer son cheval ainsi que l’absence totale de communication de la part des organisateurs lors de ce drame, l’ancien ingénieur à la communauté d’agglomération de Compiègne attend une prise de conscience de la part des organisateurs et de la Fédération équestre internationale. Pour GRANDPRIX, Emeric George a accepté de revenir sur ce qu’il qualifie de tragédie.



Step Up de l'Heribus et Emeric George au Sunshine Tour de Vejer de la Frontera plus tôt dans l'année.

Step Up de l'Heribus et Emeric George au Sunshine Tour de Vejer de la Frontera plus tôt dans l'année.

© Collection privée

“On n’a évidemment jamais envie qu’un quelconque incident se produise, mais encore moins lorsqu’il s’agit d’un cheval dans lequel on place autant d’espoirs… Step Up était ma plus grande promesse pour l’avenir. Je l’avais récupéré en fin d’année de cinq ans, j’ai donc perdu deux ans et demi de travail et tous mes rêves. Évidemment, on ne pense pas au préjudice financier en premier lieu, mais cela en représente un non négligeable car ce cheval m’appartenait en totalité. Dès ses six ans, nous avions déjà reçu de nombreuses offres d’achat, j’avais donc décidé de le racheter en totalité car je croyais vraiment beaucoup en lui. Il a toujours fait beaucoup de sans-faute, a remporté son premier Grand Prix CSI 1* à Mâcon (en vidéo en bas de l'article, ndlr). Au début de son année de huit ans, il avait réalisé trois parcours parfaits sur trois participations à des épreuves à 1,45m comptant pour le classement mondial, dont deux petits Grands Prix en CSI 4*. Pour un cheval de huit ans, ce n’était pas rien ! Il avait un potentiel vraiment important et a toujours été très remarqué. J’ai toujours résisté au chant des sirènes car j’y croyais énormément, même plus qu’en Chopin ou Rocker avant lui (des Hayettes et d’Ysieux, ses deux chevaux de tête, ndlr). À mes yeux, il était destiné à prendre part à des Grands Prix CSI 5* un jour… La perte sportive est énorme, d’autant plus que j’ai un petit effectif car j’essaie d’être propriétaire du maximum de mes chevaux. Je l’avais croisé un peu par hasard et j’avais flashé sur lui. Dès que je me suis assis dessus, j’y ai tout de suite cru. C’est encore un peu plus dur, car il y avait une histoire spéciale avec ce cheval et que beaucoup de rêves se sont brisés en un rien de temps… 

 

En tant que cavalier et amoureux de chevaux, cet épisode est un réel traumatisme. J’ai été réveillé au beau milieu de la nuit car on m’a prévenu qu’il y avait un gros problème aux écuries et que je devais m’y rendre le plus vite possible. J’ai couru de l’hôtel jusqu’au concours pour me retrouver face à une scène insoutenable. Je suis par ailleurs passé par tous les états, car on m’a dit qu’il avait été victime d’une fracture mais qu’il s’est ensuite levé malgré le choc. Petit à petit, il a été victime d’une myosite grave étant donné qu’il s’est longuement débattu lorsqu’il était suspendu par l’antérieur. J’ai eu l’espoir qu’il se remette, puis son état s’est finalement aggravé, avant de se stabiliser, jusqu’à ce qu’on m’annonce que le cœur était touché et qu’il n’y avait plus rien à faire… En tant que cavalier, ce sont les heures les plus longues et les pénibles que j’ai eu à vivre. Je suis fils de vétérinaire, j’ai vu des chevaux souffrir et des accidents, mais je n’en ai jamais vu un dans une telle souffrance. C’était d'autant plus terrible qu’il s’agissait du mien… 

 

Je reproche trois choses à l’organisation du CSIO 5* de Saint-Gall. Tout d’abord, il est inadmissible que les chevaux aient pu être logés dans des boxs d’une aussi piètre qualité. Il était clairement visible que ces équipements étaient vétustes et dangereux. Pour un tel évènement, c’est tout à fait indigne. Si les boxs avaient été de bonne facture, cet incident ne se serait jamais produit. D'autre part, lorsque l'on est envoyé par sa fédération à son tout premier CSIO 5* en équipe de France, on n'a a pas vraiment d'autre choix que de faire avec les conditions d'accueil du concours. Dans un deuxième temps, il a été absolument navrant de constater que l’organisation ne disposait pas du moindre outil pour découper les parois du box et libérer le cheval. Il n’y avait pas de disqueuse, pas de scie à métaux, et pas même de barre à mine dans l’enceinte du concours, alors même qu’il accueille plus de deux cent chevaux. Avec un minimum d’outils, le cheval aurait pu être désincarcéré en quelques minutes et ne serait pas mort. Il aurait peut-être été blessé et eu des ecchymoses. Il avait des lésions ligamentaires qui auraient pu être soignées, ce qui ajoute encore de la frustration. La disparition de Step Up aurait indicsutablement pu être évitée. Le manque de réactivité a également contraint mon cheval à rester suspendu près d’une heure. Cela est bien trop long au regard de la gravité de la situation. Enfin, je reproche aux personnes responsables de ne jamais m’avoir prévenu. Ils ont réveillé les grooms dans les camions, et ont fini par tomber sur celle qui s’occupait de mes chevaux. Il se trouve que mon téléphone était en silencieux et que les grooms ont réussi à joindre Guillaume Foutrier avant moi. Les responsables du concours ne m’ont jamais contacté, ce sont les grooms qui ont cherché à le faire, alors même qu’on communique nos coordonnés lorsqu’on est accrédité dans ces compétitions. De plus, j’étais dans l’hôtel partenaire du concours, ils savaient donc très bien où je me trouvais et que je disposais d’un téléphone dans la chambre. S’ils avaient cherché à me joindre, ils auraient pu y parvenir.”



“C'est comme s'ils avaient tué mon cheval une deuxième fois”

“Je connaissais ce cheval par cœur car je le soignais au quotidien. C’était un hongre sage, mais tout de même délicat et avec du sang. Si j’avais été là plus tôt, je pense que j’aurais pu aider à gérer son stress et les modalités d’intervention. Je n’ai pas la prétention de dire que je l’aurais sauvé, je ne l’aurais pas dégagé à main nues, mais j’aurais pu atténuer son anxiété. Le cheval est mort en clinique plusieurs heures après, mais ce n’est pas en raison d’un manque de soins une fois qu’il a été pris en charge. Lorsque l’ambulance est venue le chercher, il était déjà trop tard. Il est mort car il est resté suspendu trois quart d’heure, qu’il a eu une lésion cardiaque et qu’il a contracté une myosite grave. Malgré les cinq vétérinaires qui l’ont pris en charge à la clinique de Zurich, il n’y avait plus rien à faire. C’est avant que cela a péché. 

 

À la suite de cela, je suis retourné aux écuries du concours pour récupérer mes autres chevaux et rentrer chez moi. La présidente du concours, Madame Stössel, est venue en personne et j’ai eu une réunion avec l’équipe organisatrice qui m’a demandé de ne pas communiquer sur ce qui s’était passé. J’ai respecté cela, car à chaud, j’avais tellement de peine que je n’avais pas envie de susciter l’émoi, c’était suffisamment dur à vivre. Je voulais par ailleurs comprendre ce qu’il s’était passé. J’ai donc demandé à la présidente du concours de me faire parvenir les bandes de vidéo surveillance, les rapports du responsable d’écurie ainsi que ceux du vétérinaire. Je voulais comprendre et que cela reste dans la discrétion, afin que je puisse terminer ma saison sans ce poids. Cela m’avait suffisamment pénalisé. 

Les rapports ont été assez cordiaux, et Madame Stössel a fait preuve d’empathie. Elle s’est engagée moralement à mettre à ma disposition tous les éléments et à faire la lumière sur ce qu’il s’était passé. Bien que j’aie réclamé un dédommagement, je n’ai pas exigé que l’on me rembourse la valeur du cheval au moment où l’accident s’est produit. J’ai simplement réclamé ce qu’il m’avait coûté afin d’être raisonnable. Je voulais récupérer l’investissement que j’avais placé et que je ne retrouverais pas. Je n’ai pas cherché à gagner de l’argent, je voulais simplement ne pas en perdre. L’équipe de Saint-Gall m’a vraiment laissé penser que nous allions trouver une solution à l’amiable. Ils m’ont ensuite expliqué qu’ils ne pouvaient pas prendre de précision car nous arrivions en période de congés estivaux, ce que j’ai accepté. Au mois du septembre, la présidente a fait appeler un membre du comité d’organisation qui m’a expliqué qu’ils n’avaient strictement rien à se reprocher et que ce qui était arrivé découlait des risques que représentaient le fait d’être propriétaire de chevaux. Ils m’ont fait attendre en vain, ne m’ont jamais transmis les éléments alors qu’ils s’y étaient engagés, et m’ont expliqué que si je ne voulais pas que cela m’arrive, je ne devrais pas être propriétaire… C’est comme s’ils avaient tué mon cheval une deuxième fois. 

Face à cela, j’ai pris la décision de solliciter un avocat afin de les assigner en justice. Il s’agit de la première procédure que j’engage. Je les considère fondamentalement responsables car cet accident résulte de leur piètre organisation et gestion de l’évènement. La façon qu’ils ont eu de vouloir cacher cela sous le tapis afin de gagner du temps, puis de me mettre un deuxième coup de couteau en terminant par me raccrocher au nez a été insupportable. 

J’ai eu Emmanuèle Perron-Pette au téléphone, qui m’a expliqué qu’elle avait vécu exactement la même situation (en 2015, lors du CSIO 5* de Saint-Gall, la jument du haras des Coudrettes Quismy des Vaux*HDC avait été grièvement blessée dans son box par Otello du Soleil,ce qui avait prématurément mis un terme à sa carrière, ndlr). Nous sommes tous deux représentés par Maître Bacquet. L’affaire Quismy des Vaux*HDC est toujours en cours, et celle de Step Up vient donc s’y ajouter. 

Pour information, il faut savoir qu’à Saint-Gall, les détentes se font dans deux petites tentes misérables et que les tentes de l’espace VIP sont plus grandes… Je crois qu’il est temps de se poser les bonnes questions…”



“Le concours de Saint-Gall doit prendre ses responsabilités”

“Je préfère que l’on parle de moi pour mes résultats sportifs plutôt que pour de tels faits divers, mais je pense qu’il est important que cette affaire soit mise en lumière car le sujet est trop grave et que cela ne doit plus arriver. Le concours de Saint-Gall doit prendre ses responsabilités. La Fédération équestre internationale avait par ailleurs rajouté à l’ordre du jour de son assemblée générale le sujet de la sécurité dans les boxs. Il y a donc une prise de conscience de cette entité, mais ce n’est pas suffisant, il est nécessaire d’agir. Les organisateurs de concours et la FEI doivent prendre conscience que la sécurité et le confort des chevaux ne sont pas des options. Il y a régulièrement des accidents, mais ce qui est plus dur à accepter dans ce cas, c’est qu’il s’est déroulé alors que Step Up était à côté d’un autre cheval à moi, avec lequel il avait déjà voyagé pendant de longues heures de camion. Ils se connaissaient très bien, donc je ne comprends pas ce qu’il s’est passé étant donné que je n’ai jamais reçu les bandes vidéo. Rocker et Step Up avaient tous deux terminé leur concours, je les avais montés deux fois chacun la veille. Il ne s’agit donc pas d’un problème survenu parce que le cheval était trop frais, car ils étaient détendus et sur place depuis cinq jours. D’autre part, l’accident est arrivé en pleine nuit, à un moment où la responsabilité est donc transférée du cavalier à l’organisateur car les écuries sont fermées la nuit. 

 

Au-delà de la perte de mon cheval, du capital que cela représente et de l’impact sur ma carrière sportive, un tel accident a amputé une part du plaisir que j’ai à concourir. Heureusement, grâce à de nouveaux propriétaires, j’ai intégré six chevaux à mon écurie, qui auront sept ans en 2020 et qui présentent beaucoup de potentiel. Je vais donc repartir de l’avant avec de nouveaux projets et passer à autre chose. Mais quoi qu’il en soit, je ne savoure plus les concours de la même manière et j’ai vécu une véritable souffrance. Lorsque mon téléphone sonne en concours ou tard le soir, j’ai toujours peur que l’on m’appelle pour me signaler un problème. La groom qui m’a accompagné l’année précédant l’accident et avec laquelle tout se passait très bien a changé de profession depuis, car elle ne s’en est pas remise. 

Pour ma part, j’ai toujours privilégié le sport au commerce. Toutefois, à l’avenir, si je redeviens un jour propriétaire d’un cheval aussi prometteur, je ne sais pas si je prendrais le risque de le garder… Je ne souhaite à personne de vivre une telle tragédie, car les images restent. Je n’ai pas fait de dépression, je ne veux pas arrêter mon sport, mais ma passion en a pris un sacré coup.”