Corentin Pottier : “Le jugement prononcé en urgence est provisoire”

Au lendemain de la publication de la Fédération française d’équitation (FFE) concernant le rejet de la requête auprès du Comité National Olympique Sportif Français (CNOSF) de Corentin Pottier, non sélectionné avec Gotilas du Feuillard pour les championnats d’Europe de Riesenbeck, le cavalier a pris la parole sur les réseaux sociaux : 

 

“Après deux semaines d’engagement tenace et d’efforts collectifs pour tenter de faire réviser une décision qui semble aller à l’encontre du bon sens et de l’équité sportive, je ne prendrai malheureusement pas le départ des Championnats d’Europe de Riesenbeck.

Je n’avais initialement pas prévu de communiquer sur le sujet, par discrétion et respect pour mes coéquipiers de l’équipe de France à quelques jours seulement du lancement de la compétition. 

Le communiqué de la FFE me force cependant à prendre la parole aujourd’hui.

Le référé-suspension est une procédure d'urgence pour demander au juge d'empêcher l'exécution immédiate d'une décision administrative, en l’occurrence une sélection. Le jugement prononcé en urgence est provisoire, en attendant que l'affaire soit tranchée par le jugement au fond.

Si l’audience s’est effectivement soldée par un rejet au tribunal administratif, la magistrate ayant estimé le préjudice sportif et financier insuffisant pour justifier d’une procédure d’urgence en référé, c’est bien la forme et non le fond qui a été jugée ce jeudi 31 août à Orléans. 

En tant que sportif de haut niveau, c’est pourtant bien le fond qui m’intéresse le plus : j’estime qu’il vaut amplement qu’on s’y attarde.

J’imagine déjà certains commentaires, « cela ne remet pas en cause une potentielle sélection pour les jeux olympiques » et j’objecte : l’échéance des championnats d’Europe 2023 est bel et bien un objectif à part entière, l’enjeu sportif majeur de cette saison pour Gotilas qui pointe actuellement à la 31e place au classement mondial FEI. Objectif qui par ailleurs a justifié des dizaines de milliers d’euros d’investissement depuis un an : entraînement, concours, soins … Fort heureusement, le parcours d’un athlète ne se résume pas à une échéance tous les quatre ans. 

À chaque jour suffit sa peine. 

Ces dernières semaines, je me suis souvent entendu dire par mes amis cavaliers : « ne conteste pas publiquement cette décision ou il risquerait d’y avoir des conséquences sur ta carrière sportive » ou encore cette question qui glace « n’as tu pas peur des représailles ? » 

Mais pourquoi craindre en France, en 2023 que la liberté d’expression ou le droit à un procès équitable puissent être remis en question voire sanctionné ? J’ai confiance dans ma fédération qui malgré ce fâcheux désaccord, ne manquera pas d’honorer sa mission d’accompagnement des sportifs de haut niveau et de sélection des athlètes les plus performants tout au long de la saison mais également en vue des jeux olympiques de Paris 2024. Je n’imagine pas une seconde me voir privé d’une sélection ou recevoir un traitement défavorable pour avoir mis en doute le bien-fondé d’une décision qui plus est via une procédure parfaitement légale et transparente. Je garde bien en tête, comme vous tous, l’engagement solennel du sélectionneur national de sélectionner sur le sport et les résultats. 

J’ai pour moi la certitude de n’avoir à aucun moment de cette procédure travesti la réalité ou manipulé la vérité pour arriver à mes fins.

En quinze jours, ont été invoqués par la FFE pas moins de neuf motifs pour tenter de justifier ma non-sélection, non pas cumulatifs mais chacun tour à tour annulant et remplaçant les précédents. 

Commençons par mentionner les trois motifs de non sélections communiqués au téléphone par Jean Morel le lundi 14 août :

 

- Non participation au CDI5* de Crozet : la FFE a admis m’avoir autorisé (au même titre qu’un autre couple de la longue liste) à ne pas participer à ce concours. Notons qu’aucune compétition n’est rendue obligatoire par la Saison Sportive. Il y est d’ailleurs indiqué que le programme de concours est mis en place pour chaque couple en CONCERTATION avec la fédération et non imposé par celle ci. Dès le mois d’avril, l’incompatibilité de calendrier entre le circuit seniors et jeunes chevaux est porté à l’attention du staff (Crozet ayant lieu à la même date que les championnats du monde) 

- Absence au stage fédéral de Lamotte Beuvron en avril : j’ai participé avec Gotilas à 2 des 3 jours de stage et à l’ensemble des activités proposées (le cheval revenant juste du CDI4* d’Aix La Chapelle et repartant vers le CDI4* du Mans dans la foulée). A noter l’absence d’un autre couple de l’équipe de France pour des motifs similaires. 

- Manque de « passion olympique » : il semble absurde de s’attarder à justifier la motivation d’un cavalier professionnel et sportif de haut niveau à un an des jeux olympiques à domicile

 

Étonnement, c’est un tout autre argumentaire qui est tenu dans la presse le mercredi 16 août :

- Choix de cavaliers « engagés pour le drapeau » : je serais suffisamment « engagé » pour remporter avec l’équipe de France la Coupe de Nations de Rotterdam, participer au CHIO Aix-la-Chapelle, faire partie de la liste « À Cheval pour Paris »mais pas pour participer au Championnat d’Europe ?

- Prise d’expérience par des couples moins aguerris : négligence totale de la Saison Sportive qui indique que le Groupe 1 est la « référence pour les sélections des rendez-vous majeurs, championnats du monde et championnats d'Europe ». Quid du palmarès et de l’expérience réelle des cavaliers sélectionnés dont certains ont monté déjà de multiples championnats internationaux ?

 

Finalement, lors de la conciliation, les arguments précédents seront totalement balayés pour intégrer trois motifs alternatifs :

- « Contre performance » à Aix La Chapelle où Gotilas et moi nous qualifions pour la finale réservée aux 15 meilleurs après un Grand Prix à 72% et un Grand Prix Spécial à 72,5%. Dans la reprise en musique (notons qu’il n’est fait mention que des résultats du GP dans la Saison Sportive), le cheval s’arrête à deux occasions pour faire son crottin (sanctionné par 2/10 sur le piaffer coefficient 2 ; 3/10 dans la transition vers le passage ; 3/10 dans l’appuyer au galop) ! Rappelons que ces résultats viennent s’ajouter à la victoire dans la Coupe des Nations de Rotterdam la semaine précédente (72,3 dans le GP ; 78,2% dans la libre)

- L’état de santé de Gotilas : le 21/08, le vétérinaire fédéral Dr Fresnel rédige une attestation certifiant de l’inaptitude physique de Gotilas à participer au championnat d’Europe (risque 3/4), se basant sur une vidéo d’entraînement publiée sur notre Instagram le 07/08 soit quinze jours plus tard. Or, à la demande de la FFE, Gotilas a effectué le 25/07 un examen complet au CIRALE dont la conclusion est qu’il « présente ce jour une locomotion satisfaisante dans toutes les circonstances de l'examen ». Le 22 au matin, un expert judiciaire indépendant, le Dr Autenne effectue un bilan complet du cheval avec examen locomoteur et test sous la selle. La conclusion est identique : « l’examen clinique réalisé ce jour ne met en évidence aucune contre-indication médicale s’agissant de la pratique de dressage de haut niveau ». Je rappelle qu’à ce jour, tout télédiagnostic de ce type est interdit en médecine vétérinaire. D’autre part, j’ai confirmé au staff fédéral par mail que « comme toujours, mon cheval était à disposition du vétérinaire fédéral ». Si la conciliatrice du CNOSF a proposé une deuxième expertise vétérinaire indépendante le lendemain pour confirmer l’état de forme du cheval, elle a été catégoriquement refusée par la FFE. 

- La non-participation au CDI3* Ermelo : j’ai fait une demande de participation pour le CDI3* Ermelo qui est acceptée par la FFE (et pour le CDI3* Kronenberg en second choix si nécessaire). Le FFE reçoit trois demandes de participation pour Ermelo mais l’organisateur ne lui alloue que deux places, précisant par mail qu’il revient à la FFE d’indiquer son ordre de priorité. Si la FFE valide l’engagement de Gotilas sur FFE Compet, elle omet d’indiquer à l’organisateur que ce cheval est prioritaire. J’apprends le 24/07 qu’il me sera impossible de participer à Ermelo, trop tard pour me rabattre sur Kronenberg dont les engagements sont clos et bien trop tard pour annuler la participation du cheval que j’entraîne Fétiche de Hus, sélectionné par la Société Hippique Française pour participer au championnat du monde des jeunes chevaux. À noter qu’il est fait mention dans la Saison Sportive qu’il est obligatoire de participer à un concours dans les deux mois précédents les engagements nominatifs des championnats d’Europe soit le 04/08 et que Gotilas participait au CDI5* d’Aix-la-Chapelle le week end du 02/07. 

Le mercredi 23/08, je m’entretiens avec le référent de l’Agence Nationale du Sport détaché à la FFE. Celui-ci lui indique un neuvième et nouvel argument pour justifier ma non sélection : 

- Le comportement. Hormis un e-mail du Conseiller Technique National Laurent Gallice daté du 04/07 félicitant l’ensemble des cavaliers présents au CDI5* d’Aix-la-Chapelle pour leur comportement (date après laquelle il n’y a plus eu de rencontre ni d’échange), je n’ai en réalité jamais fait l’objet du moindre avertissement, blâme, sanction et ne suis jamais passé devant un conseil disciplinaire qui aurait confirmé l’existence d’un tel problème. La fédération cherche selon lui à « marquer son autorité » et faisant de moi un « exemple ». 

Durant ces deux semaines, j’ai été époustouflé par la pugnacité de mes avocats qui ont œuvré jour et nuit pour une cause qu’ils ont manifestement eu à cœur de défendre. J’ai été ému par la mobilisation d’un public incroyablement solidaire sur les réseaux sociaux - des passionnés qui souhaitent plus que tout voir la meilleure équipe de France porter haut nos couleurs dans chaque grand championnat. J’ai été touché de recevoir de la communauté équestre internationale, cavaliers et entraîneurs étrangers en tête, un très grand nombre de témoignages de soutien et d’encouragement. 

J’ai aussi été porté dans cette épreuve par toute l’équipe qui gravite autour du couple que je forme avec Gotilas et qui elle aussi se voit privée de cette sélection, la reconnaissance pourtant bien méritée de l’excellent travail accompli collectivement depuis six ans. 

Ma motivation n’est aucunement entachée par cette épreuve qui ne m’aura rendu que plus clairvoyant sur la réalité du sport de haut niveau. Ma passion pour les chevaux, le dressage et la compétition reste entière.

Je réitère tous mes vœux de réussite à mes coéquipiers la semaine prochaine en Allemagne.”