Rio 2016 : cinq grooms au sommet de l'Olympe

Le 17 août 2016 à Rio de Janeiro, l’équipe de France de saut d’obstacles avait été sacrée championne olympique. Une médaille d’or que les Vestes Bleues devaient en partie à Laurence Gazel, Claude Lebon, Maud Ligouzat, Jérôme Gaudoux et Marine Pujo, infatigables grooms de Kevin Staut, Roger-Yves Bost, Philippe Rozier, Pénélope Leprevost et Simon Delestre. Trop souvent dans l’ombre de leurs cavaliers et chevaux, les cinq camarades étaient revenus sur cette semaine inoubliable, pour le pire et pour le meilleur.
Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX n°80, en octobre 2016. À la suite de l'annonce officielle du report des Jeux olympiques de Tokyo à 2021, la rédaction vous propose de vous replonger dans l'épopée tricolore de Rio.



© Jessica Rodrigues

Vendredi 5 août, Laurence Gazel, Marine Pujo, Maud Ligouzat, Jérôme Gaudoux et Claude Lebon s’envolent, direction le Brésil et les Jeux olympiques. Tandis que ce dernier, groom de Roger-Yves Bost, est désigné pour assister les cinq montures dans l’avion au départ de Liège, ses camarades s’envolent depuis Paris avec le staff fédéral et les cavaliers. “Nous étions dans les écuries d’Aix-la-Chapelle quand nous avons appris que seul un groom par nation pourrait voyager avec les chevaux. Nous nous sommes tous regardés et l’avons aussitôt désigné. Claudius est le plus expérimenté d’entre nous, j’ai une confiance aveugle en lui. Évidemment, il a tout de suite accepté ce rôle !“, confie Maud Ligouzat, soigneuse de Rahotep de Toscane, appuyée par Marine Pujo, groom de Hermès Ryan des Hayettes. “Il nous fallait quelqu’un qui connaisse tout par coeur. Nous, nous sommes juste venus aider à embarquer les chevaux à Liège. D’ailleurs, aucun n’a hésité à rentrer dans les boîtes ! Il faut dire que ce site est vraiment bien, très fonctionnel.“ 

Une fois arrivés à Rio après onze heures de vol, les grooms n’ont tous qu’une seule hâte : rejoindre leurs protégés au stade équestre de Deodoro. Les quatre alezans et le gris ont tous bien voyagé, et semblent en forme, en particulier Flora de Mariposa, très fraîche. “Non seulement elle avait passé trois jours sans travailler, mais en plus, il y avait toute l’agitation des autres disciplines sur ce très grand site, si bien qu’elle était surexcitée ! Après deux jours, elle est heureusement redevenue normale“, se remémore son soigneur. Bien installés dans les écuries olympiques, les chevaux profitent de conditions parfaites. “C’était génial pour eux ! Le responsable des boxes était un habitué qui travaille dans les plus beaux concours en Europe. Les boxes étaient en dur, très spacieux, et nous disposions d’un ventilateur par cheval“, décrit Marine Pujo. Un robinet d’eau par box, du caoutchouc sous la litière, des copeaux de très bonne facture et une partie du cross ouverte pour faire marcher et brouter les chevaux, les conditions, encore améliorées par la Fédération française d’équitation, ont été à la hauteur.

En revanche, la demeure des soigneurs et du vétérinaire fédéral, Jérôme Thévenot, s’est avérée un poil moins luxueuse. “Nous logions dans un appartement fonctionnel avec plusieurs chambres et salles de bain, une petite cuisine et un balcon, mais cela ne semblait pas fini. Les canalisations se bouchaient souvent, par exemple… En revanche, c’était à peine à dix minutes à pied du stade ! Les organisateurs avaient aménagé une grande laverie et une grande pièce commune à tous les grooms avec un billard, un baby-foot et des boissons à volonté… C’était plutôt bien conçu !“, avoue Maud Ligouzat. “C’est vrai qu’il manquait des semaines de travail, ça n’avait pas vraiment de charme. En même temps, nous avons tellement l’habitude des concours européens où tout est très beau…“, relève Jérôme Gaudoux, le soigneur de Flora de Mariposa.


“Nous étions très tristes pour Marine“

© Jessica Rodrigues

Cinq jours après l’arrivée de l’équipe de France, un coup du sort vient perturber la bonne ambiance : Ryan s’est blessé dans son box et Simon Delestre, pilier bleu, doit déclarer forfait. “La veille, nous sommes partis des écuries vers 20h00“, se souvient Marine Pujo. “Nous avons effectué une dernière vérification à 22h00 avant la fermeture, et Ryan allait bien. Quand je suis revenue à 6h00 le lendemain, comme d’habitude, j’ai l’ai nourri et lui ai enlevé ses bandes. Quand il a commencé à tourner dans son box, j’ai vu qu’il ne s’appuyait pas sur l’un de ses membres, c’était bizarre. Je l’ai fait marcher, et j’ai bien vu qu’il boitait. Tout ce travail pour rien… Cela faisait deux ans que nous préparions ce rendez-vous. La déception était immense. Le pire est que nous ne savions pas ce qui s’était passé. Même si son état s’était amélioré, nous ne serions pas partis. Nous ne pouvions pas prendre le risque de casser Ryan. Nous n’étions pas là pour ça !“

Les visages se ferment. Le vétérinaire et le cavalier arrivent rapidement. L’équipe tente de réconforter le trio, abattu par la nouvelle. “Nous étions très tristes pour Marine. Ryan était un pilier. C’était un gros coup pour le moral. Ça commençait très mal“, confie Jérôme Gaudoux. Après plusieurs jours de soins, plus ou moins superficiels, Marine et Ryan rentrent en France avec les chevaux de dressage. “Là-bas, c’était compliqué. Il ne devait pas beaucoup marcher, mais je ne voulais pas qu’il reste cloîtré dans son box. Je le faisais donc marcher matin et soir pendant une quinzaine de minutes. Je le laissais se reposer et lui prodiguais les soins que je pouvais. Il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire sur place car nous n’avions pas tout le matériel. Finalement, comme les vols des complétistes étaient pleins, nous sommes rentrés avec les chevaux de dressage. Vu que Ryan était blessé, nous étions prioritaires“, conclut Marine Pujo.

Maud Ligouzat, elle, doit donc se préparer à entrer en lice avec Rahotep de Toscane. Une tâche difficile. “Les autres grooms sont tout de suite venus me taper dans le dos pour m’encourager. En réalité, je ne pensais pas à nous, juste à ma copine qui vivait un moment très dur. Au début, je ne faisais que répéter à Marine que je ne voulais pas courir, que j’étais réserviste et voulais le rester. Je ne voyais pas Rahotep sauter. Il était prêt, mais je ne voulais pas que cela se passe comme ça. Avec Philippe, nous étions très mal à l’aise, car nous sentions bien qu’un drame se jouait derrière nous. Finalement, c’était notre rôle, donc nous nous sommes mis un coup de pied aux fesses !“, confie-t-elle sincèrement.

Le sort n’a pas encore fini de s’acharner puisque deux jours plus tard, Flora de Mariposa est victime d’un début de coliques. “J’ai remarqué qu’elle était moins en forme que d’habitude. Quand nous avons su que c’était une colique, nous l’avons tout de suite emmenée à la clinique. Sur le coup, personne ne se parlait. Nous ne savions ni comment ni quoi dire, nous ne trouvions pas les mots“, livre Jérôme Gaudoux. Finalement, après une longue attente et notamment une nuit blanche partagée par Pénélope, Kevin, Philippe Guerdat et les deux Jérôme, tout rentre dans l’ordre. Parfaitement remise, la pépite de Geneviève Mégret prend le départ de la première épreuve.


“C'était quelque chose à vivre!“

La joie revient avec le premier parcours des Bleus, signé par Philippe Rozier et Rahotep qui survolent les obstacles. “J’ai vu un Philippe que je soupçonnais, mais que je n’avais jamais vu. Monter comme il l’a fait à Rio, c’était la première fois. À chaque sortie de piste, il ne me parlait que de Rahotep et me disait qu’il était incroyable ! Je pense que le cheval a senti tout l’enjeu. Les complétistes m’avaient donné des porte-bonheur en pensant qu’ils seraient aussi efficaces avec nous qu’avec eux. Visiblement, ça nous a porté chance !“, rit Maud.
Laurence Gazel et Claude Lebon se montrent tout aussi ravis, Rêveur de Hurtebise*HDC et Sydney Une Prince sautant parfaitement, tandis que Jérôme Gaudoux subit une véritable désillusion avec la chute de Pénélope et Flora, annihilant tout espoir de médaille individuelle. “Nous étions forcément déçus, surtout que la veille nous étions soulagés voyant que la jument pourrait sauter. C’était un événement que nous attendions depuis longtemps, nous n’arrivions pas à Rio pour tomber le premier jour… Notre sentiment est difficile à expliquer. Quand nous avons décroché l’or, sur le coup, nous ne pensions qu’à l’équipe. Mais le lendemain, forcément, c’était plus difficile parce que c’était fini pour nous. Pour autant, la finale individuelle de ces JO était quelque chose à vivre, même de l’extérieur“, se souviendra longtemps Jérôme Gaudoux.

Après quatre jours de compétition, la France, portée par un fabuleux travail collectif, est sacrée championne olympique. Un soulagement, un bonheur, une fierté pour ces travailleurs acharnés qui ont traversé bien des épreuves. “Cette médaille était magique. À chaque coup dur, nous étions là les uns pour les autres, ce qui a resserré nos liens“, avoue la groom de Philippe Rozier. “Comme les cavaliers, je trouve que nous avons réussi à rester calmes vis-à-vis de la pression. Je pense que c’est aussi pour cela que nous avons réussi à dérocher l’or. Chacun était concentré sur son cheval, sans viser quelque chose en particulier. Nous étions là pour donner le meilleur de nous-mêmes, tout simplement.“

L'ambiance à la française

Tous les grooms ont raffolé de l’ambiance dans la délégation française, profitant des autres disciplines pour se souder autour d’une même passion. “Ce qui était vraiment sympa, et très rare, c’est que nous nous sommes retrouvés avec tout le staff et les cavaliers des autres disciplines. Tout le monde s’entendait bien, comme dans une grande famille !“, confie Marine Pujo, qui conserve un souvenir mémorable de la médaille d’or de l’équipe de France de complet. “L’ambiance était vraiment bonne. Nous avons eu la chance de vivre cette première médaille d’or. En soit, ce sont des gens qui pratiquent le même sport que nous, mais nous ne les voyons jamais! Même entre nous, à l’appartement, l’atmosphère était super. Le soir, nous nous retrouvions tous sur la terrasse. Nous parlions de notre journée, du sport, du programme à venir… C’était très décontracté !“, apprécie Maud Ligouzat. Bref, pour le pire et pour le meilleur, les grooms n’oublieront jamais l’aventure Rio 2016!