« S?il suffisait de couper les têtes pour progresser? », Serge Lecomte



Plus d’un mois et demi après les Jeux olympiques de Londres et à l’issue d’une série de réunions de débriefing, Serge Lecomte, candidat à sa succession à la présidence de la Fédération française d’équitation, tire son bilan de la bérézina londonienne, qu’il tient avant tout à replacer dans le contexte favorable d’une olympiade relativement faste pour les sports équestres français. De cette interview fleuve, publiée hier sur le site de la FFE, ne ressort ni grand enseignement ni mesure choc. Kevin Staut explique que la France a "manqué d’arrogance" dans l’interview exclusive qu’il a accordée à Grand Prix Magazine, à paraître ces jours-ci dans le numéro d’octobre. Dans la droite lignée du champion d’Europe 2009, Serge Lecomte pense que les cavaliers de saut d’obstacles ont fait preuve d’une trop grande modestie. Pleinement satisfait du parcours en dressage de Jessica Michel mais beaucoup moins tendre avec les complétistes, le président évoque à peine une possible réorganisation, dans la continuité, mais pas avant les élections fédérales, qui auront lieu le 6 décembre à Villepinte, lors du Salon du cheval. Morceaux choisis.

 
Comment analysez-vous les résultats de saut d’obstacles?
S.L. : Nous partions avec un statut de favoris et c’est très décevant de se retrouver douzièmes. Les cavaliers et les chevaux étaient au top. A voir les bons résultats avant et après les Jeux, personne ne peut mettre en cause ni la préparation, ni la sélection. Nous avons actuellement une très belle relève de cavaliers, de chevaux et de propriétaires investis, nous avons de vrais talents qui ont un grand avenir devant eux, c’est une réalité reconnue par tous. Le bilan de l’olympiade 2012 démontre que le saut d’obstacle en France est sur la bonne voie. Il n’y avait eu aucun résultat dans les grandes échéances de l’Olympiade précédente, aucun cavalier qualifié pour Pékin et l’équipe de France reléguée en Ligue 2 (Promotional League de Coupe des nations, ndlr).

 
Où en est le saut d’obstacles aujourd’hui?
S.L. : Le saut d’obstacle français est en première ligue et nos cavaliers ont été qualifiés pour Londres avec le quota maximum en remportant des médailles aux championnats du monde et d’Europe. Ils remportent de gros Grands Prix et des Coupes des nations. Kevin Staut a été champion d’Europe et numéro un mondial. Bien sûr, je suis très déçu des résultats le Londres, très déçu que l’un de nos cavaliers n’ait pas été le meilleur des soixante-quinze participants à ces JO, très déçu de ne pas avoir contribué au succès des sports français. Mais aussi, j’ai le sentiment du devoir accompli en ayant, durant ces quatre dernières années, contribué, avec toute l’équipe fédérale, à faire remonter la France parmi les meilleures nations mondiales du saut d’obstacle alors qu’elle n’y existait plus et d’avoir aujourd’hui des équipes de France capables de s’imposer.

 
Les mauvais résultats sont-ils dus aux aléas du sport ou à des problèmes de fond?
S.L. : Les performances des cavaliers sélectionnés démontrent bien que ce n’est en aucun cas un problème de fond, la victoire de la France à Aix-la-Chapelle annonçait le meilleur pronostic possible. Alors que Pénélope (Leprévost, ndlr) a été sortie dès les qualificatives à Londres, sa récente victoire à Vienne avec trois sans faute à la suite sur 1,60 - 1,65m confirme son niveau. La qualification des trois autres couples pour la finale individuelle montre qu’ils étaient dans le top des médaillables.

 
Qu’en est-il du rôle majeur joué par Henk Nooren?
S.L. : Le plan de travail d’Henk et de la DTN a été jugé très bon jusqu’à la veille des Jeux. La sélection n’a pas appelé de commentaire. Henk a fait un travail de formation qui nous permet d’avoir aujourd’hui une dizaine de cavaliers sélectionnables pour les plus grands concours. Cela ne nous était jamais arrivé. On s’inquiétait plutôt d’en trouver un quatrième au niveau pour faire l’équipe. Dans la dernière ligne droite, il est normal que l’on resserre la liste des sélectionnables et que l’on y porte une attention exclusive.

 
La qualité des chevaux est-elle en cause?
S.L. : Les chevaux français ont été à l’honneur pendant ces Jeux. Leur qualité a de nouveau fait ses preuves. Il convient d’en conserver et il convient aussi d’en exporter sinon nous n’aurions plus d’élevage à la hauteur des enjeux. Pour ma part, j’observe que certain chevaux survolent les obstacles, d’autres non. Il y a là un savoir-faire qui doit être percé.

 
A posteriori, quelles ont été les erreurs dans la préparation?
S.L. : Sans doute trop de modestie. Mais en cas de victoire, cela aurait été identifié comme une qualité.

 
Le staff a parlé de concours « comme les autres » à propos des JO. N’est-ce pas une erreur?
S.L. : C’est une "déclaration-défense" à chaud qu’il convient de replacer dans son contexte. S’ils avaient gagné, on y aurait vu une preuve de leur sang-froid ! Cela n’autorise pas une mise en cause primaire de tous les acteurs qui ont contribué à cet événement.

 
Comment analysez-vous les résultats de concours complet?
S.L. : Nous sommes huitièmes à Londres, alors que nous étions éliminés à Hong Kong. Le concours complet traverse une passe difficile. Nous avons une nouvelle génération de cavaliers en construction et leur émergence parmi les meilleurs est complexe : moins de sorties en compétitions possibles que dans les autres disciplines, risques pour l’intégrité physique des chevaux plus importante, cycle de renouvellement des chevaux plus long et importantes difficultés économiques de conduire une écurie de complet. Le manque d’investisseurs et le désengagement des institutions sont autant de raisons qui renforcent la difficulté de mettre en place une équipe en capacité de gagner une médaille et qui oblige à un véritable changement de cap dans cette discipline. Mais, nous pouvions croire dans la valeur sûre qu’est Nicolas Touzaint qui est toujours en capacité d’atteindre un podium.

 
Quels sont les points de faiblesse?
S.L. : La prestation de dressage de Londres a été pire que celle de Hong Kong qui a été mauvaise. Dont acte. J’ai le sentiment que nos prestations de dressage du complet s’inscrivent toujours dans le passé. L’excellence technique ne suffit pas, il faut désormais créer de l’émotion. Aujourd’hui, nous savons tous que pour être médaillé, il faut être en haut du tableau dès le dressage. Si je comprends bien que la compétition ne produit qu’un seul vainqueur, on ne peut pas accepter l’absence de progrès. Depuis quatre ans, j’ai régulièrement rappelé les progrès que nos cavaliers de complet doivent faire en dressage. Ils sont très insuffisants. Point par point, nous devons avoir des cavaliers et un encadrement qui nous démontrent leur capacité à faire des progrès. Alors qu’en CSO et en dressage, nous avons le sentiment du travail accompli, en concours complet, il manque des efforts visibles.

 
Pourquoi faire intervenir Hartwig Burfeind si tardivement?
S.L. : Nous avons fait appel à lui dès les championnats d’Europe ou nous avions été médaillés d’argent par équipe. En plus de l’intervention d’un entraîneur de qualité, il faut une véritable volonté de réussir et cela ne tolère aucune excuse, mais seulement des solutions de progrès.

 
Peut-on raisonnablement préparer les Jeux Olympiques sur le Grand National?
S.L. : Les JO se préparent sur les grandes échéances internationales en se mesurant à la concurrence. Sur le Grand National de complet, on s’entretient, on forme de nouveaux chevaux ou on tend vers le niveau international. Ce n’est en aucun cas un tremplin pour les Jeux.

 
Les juges français sont-ils au niveau international pour bien orienter le travail des cavaliers?
S.L. : Sur ce point aussi, il faut progresser constamment, sinon on recule. Les juges de dressage ont un rôle majeur pour donner les repères nécessaires, c’est l’une des raisons qui doit nous mener à participer le plus possible aux concours qui ont véritablement une fréquentation internationale, en dressage du complet comme en dressage pur.

 
Qu’en est-il des résultats du dressage?
S.L. : Nous ne pouvons que nous féliciter de la participation de Jessica Michel aux Jeux. Ses progrès rapides réveillent les témérités et montrent que c’est possible de progresser rapidement. Pour le dressage, notre objectif a toujours été pragmatique : faire augmenter régulièrement les notes obtenues dans les compétitions internationales. Le dressage, comme le complet, souffre d’un contexte difficile : modestie des gains en compétitions, réductions des effectifs de cavaliers soutenus par l’Etat, difficultés économiques des écuries privées, investissements à long terme…

 
Comment expliquer que la France ne puisse pas aligner une équipe?
S.L. : Le niveau français demeure trop loin des exigences internationales. Le haut niveau de cette discipline est face à de réelles difficultés, les gains sont faibles et un cavalier indépendant rassemble difficilement les moyens de sa survie économique. Les sur-dotations fédérales sur le Grand National ont été mises en place pour les y aider. Force est de constater que les économies que doit faire l’Etat en réduisant ses achats de chevaux et ses personnels affectés à la compétition n’est pas compensé par la relève issue du secteur privé.

 
Quels sont les points de faiblesse? L’âge des cavaliers? L’absence d’écuries professionnelles? La rareté des propriétaires qui investissent sur de bons chevaux?
S.L. : Tout cela à la fois. C’est pourquoi la tâche est immense. Mais c’est encourageant de voir que de plus en plus de cavaliers participent aux compétitions de dressage et que l’intérêt pour cette discipline est réel. Nous avons la chance d’être l’un des rares sports qui ont une Ecole Nationale d’Equitation. C’est le conservatoire des arts équestres en France et c’est aussi le Pôle France du dressage et du complet, son dynamisme est déterminant pour progresser dans cette discipline.

 
Pourquoi la fédération ne finance-t-elle pas cette discipline?
S.L. : Les situations artificielles n’ont aucun avenir et les activités subventionnées sont condamnées. La fédération doit encourager toutes les disciplines. Elle le fait grâce au soutien apporté par ses licenciés. La fédération doit maintenir des engagements financiers pérennes qui ne l’endettent pas, ne la déséquilibrent pas et elle doit répartir ses efforts pour tous ceux qui la constituent et lui permettent de vivre. Je pense bien sûr aux compétiteurs, mais aussi à tous ses clubs. Comme en complet, nous devons soutenir les bases économiques nécessaires qui permettront de rebondir. Cela passe par l’engagement entrepreneurial de nos sportifs.

 
Quelles sont les leçons du débriefing?
S.L. : Les constats du débriefing sont multiples, beaucoup de détails qui ne mettent pas les compétences en cause. Pour ma part, j’en tire un enseignement majeur : exiger davantage.

 
Quelles décisions vont être prises?
S.L. : Nous sommes en fin de mandat. Dans le cadre de la nouvelle élection du président de la fédération et de ma prochaine candidature, j’annoncerai aux électeurs, s’ils m’accordent à nouveau leur confiance, les mesures que j’entends conduire pour le haut niveau.

 
Qu’allez-vous changer dans le staff FFE?
S.L. : Les grandes valses médiatiques des lendemains de défaite sont rarement productives. Dans le sport, comme dans toutes les autres activités, le droit du travail s’applique, il y a des contrats de travail, des âges de départ en retraite, des contrats privés et aussi des fonctionnaires mis à disposition. Tout cela doit se gérer dans l’intérêt du sport et aussi dans le respect des personnes. S’il suffisait de couper les têtes pour progresser, nous pourrions être champions toutes catégories. Je suis plutôt enclin à garder des relations positives avec chacun pour mutualiser les savoir-faire.

 
Qui va constituer cette équipe?
S.L. : La composition du staff fédéral pour conduire les équipes de France se fera dans la mise en place du prochain projet sportif de la FFE. Nous allons d’abord définir le projet, construire une nouvelle stratégie et ensuite mettre les meilleures personnes possibles pour le réaliser. Le changement d’organigramme sera la conséquence du nouveau projet, et ne satisfera pas la tentation de balayer d’un revers de main les compétences qui nous ont fait progresser par un règlement de compte effectué dans l’effervescence des commentaires.

 
Quelle est l’incidence de l’absence de médailles sur l’élection du président?
S.L. : Les prochaines élections nous l’apprendront. J’ai une longue expérience de la vie fédérale depuis 1983 et j’ai souvent pu observer que des présidences qui avaient décroché des médailles aux Jeux se sont fait balayer. Je fixe la continuité de mon action pour développer la filière cheval et toutes ses fonctions dans la référence positive qu’accordent nos concitoyens au cheval et à l’équitation. C’est là que se développent les valeurs olympiques qui sont avant tout des valeurs humanistes. Davantage de cavaliers, davantage de compétiteurs, davantage de champions sont les conséquences d’un travail positif en faveur de nos concitoyens, du partage de notre passion et des succès des sports équestres.

 
Quel est le bilan global de votre politique sportive?
S.L. : Factuellement : rien aux JO. En CSO, seconds aux championnats du monde et d’Europe, un titre de champion d’Europe individuel CSO, la remontée en Ligue 1 (Top League de Coupe des nations, ndlr), des premières et deuxièmes places au classement général de la Coupe des Nations FEI, davantage de cavaliers dans le top cent, un numéro 1 mondial. En CCE, une deuxième place par équipe en championnat d’Europe. S’y ajoute une bonne réussite en CSO et CCE jeunes et dans la plupart des autres disciplines FEI ainsi qu’une bonne santé globale de la compétition, en termes d’engagements, d’organisations de concours et d’accès aux meilleurs niveaux. J’y ajouterai la mise en place du groupe JO-JEM pour bien identifier et valoriser l’engagement des propriétaires de chevaux de haut niveau. Ils sont passionnés. Ils investissent pour le sport. C’est l’occasion de les remercier. Les indicateurs démontrent que les sports équestres français sont en très bonne santé. Il faudra beaucoup de détermination et de discernement pour poursuivre la croissance que nous connaissons depuis quatre ans.

 
Dans quel état d’esprit abordez-vous les quatre années à venir?
S.L. : Dans un esprit de progrès. Toujours faire mieux demain qu’hier avec l’expérience acquise. Toujours exiger davantage. Mettre tous ses efforts au service du progrès de l’homme par le sport.
La FFE a beaucoup investi pour un travail de fond. Elle a recherché la collaboration des meilleurs techniciens. Elle a envoyé beaucoup de cavaliers sur de grands concours, notamment à l’étranger. Elle a mis en place des circuits pour favoriser l’accession vers le haut niveau et pour dynamiser les grands concours en France. L’analyse des résultats internationaux sur les quatre dernières années est très positive. C’est le meilleur bilan global des trois dernières olympiades.

 
Avez-vous songé à une nouvelle équipe?
S.L. : Du savoir-faire et de l’expérience ont pris corps parmi tous les acteurs concernés directement par le haut niveau. C’est le capital d’expérience que nous devons consolider. Ce sont nos atouts pour demain. Il faut les préserver et les fortifier par de nouvelles compétences. Il serait bien imprudent, à l’image de grands clashs sportifs médiatisés, de faire table rase pour tout recommencer. Il nous appartient de donner de la force à l’équipe en place et de lui apporter des renforts pour la rendre plus conquérante. Il ne serait pas raisonnable de s’emballer sur un projet pour satisfaire les questions qui fusent, même si elles ont pour mérite de favoriser la réflexion et de solidifier les convictions. Le bilan, point par point, permettra de raisonner utilement sur le projet de la nouvelle olympiade qui sera présenté fin 2012.

 
Envisagez-vous de mettre en place une préparation mentale?
S.L. : Nous sommes actuellement dans l’analyse et le bilan. Le projet en sera la conséquence et ne sera pas arrêté avant la nouvelle organisation qui suivra les élections fédérales.

 
Considérez-vous le haut niveau comme une priorité fédérale?
S.L. : La priorité de la fédération est de remplir avec succès toutes ses missions en mettant en place un projet adapté pour chacun. Le haut niveau est le secteur qui mobilise le plus d’efforts fédéraux en termes de financement et de moyens humains.

 
Pourquoi les cavaliers n’étaient-ils pas au village olympique?
S.L. : Ils y sont allés très souvent mais les infrastructures équestres étaient à une heure de voiture du village olympique, il était plus pratique de privilégier un hébergement proche des terrains et des chevaux. C’est très habituel à la plupart des Jeux olympiques depuis Séoul où les sports équestres ne se déroulent plus sur le stade principal.

 
Pourquoi la FFE n’a-t-elle pas joué le jeu du Club France?
S.L. : Les cavaliers et tout le staff fédéral sont bien évidemment allés au club France. Le club France, c’est très bien pour fêter les médailles !

 
Pourquoi les cavaliers étaient-ils absents des cérémonies d’ouverture et de clôture?
S.L. : Les cavaliers et le staff de complet ont défilé à la cérémonie d’ouverture. Pour la première fois, le CSO s’est terminé avant la fin des Jeux. Les chevaux repartaient des la fin des épreuves et les cavaliers embrayaient vers d’autres rendez-vous. De nombreuses autres équipes ont fait le même choix.

 
La FFE a-t-elle l’esprit olympique?
S.L. : L’esprit olympique, c’est d’abord de placer l’homme au cœur de sa préoccupation pour son bien-être, son rayonnement et ses qualités humaines. C’est aussi accepter la victoire sans triomphalisme et la défaite sans découragement. C’est ce que nous faisons dans le cadre de toutes nos missions au sein de la FFE.

 
Le staff fédéral sur place était-il suffisant? Ne manquait-il pas un chef de mission et un attaché de presse?
S.L. : C’est un sujet. Il faut savoir que l’on a utilisé toute les accréditations disponibles et que des personnes supplémentaires n’auraient pas été admises dans les coulisses. Donc davantage de monde n’aurait fait que plus d’affluence avant et après les épreuves. La première analyse que nous avons faite avec les cavaliers ne décèle pas d’intérêt réel pour un staff élargi. Avez-vous déjà observé si l’attaché de presse ou le chef de mission supplémentaire étaient des éléments décisifs de la performance? Soyons réalistes, nous avons fait des prestations de dressage insuffisantes, des refus au cross et des barres à l’hippique, c’est là-dessus qu’il faut d’abord faire porter nos efforts pour aller chercher les médailles.

Sébastien Roullier (avec communiqué de presse FFE)