Quitter le monde équestre pour “revenir à l’essentiel et se sentir plus utile“ : Jean-Baptiste Leroty témoigne

Après avoir passé plus de vingt-cinq ans dans le milieu équestre en tant que formateur de jeunes chevaux et cavalier-maison, profession qu’il a exercée aux côtés notamment de Kevin Staut pendant plus de trois ans, Jean-Baptiste Leroty a décidé d’ouvrir un nouveau chapitre de sa vie professionnelle pour “revenir à l’essentiel“ et de se reconvertir dans l’agriculture biologique. Ce témoignage, modeste, bienveillant et sincère, fait parfaitement écho aux tourments actuels de la société, frappée par une crise sans précédent, mais aussi aux réflexions individuelles et citoyennes permises par le temps libre qu’impose ce confinement.



Jean-Baptiste Leroty a passé trois ans et demi aux côtés du multimédaillé Kevin Staut, à l'époque où ce dernier travaillait avec le haras de Hus.

Jean-Baptiste Leroty a passé trois ans et demi aux côtés du multimédaillé Kevin Staut, à l'époque où ce dernier travaillait avec le haras de Hus.

© DR

Sur vos réseaux sociaux début avril, vous avez annoncé tourner la page de votre carrière équestre pour aller découvrir de nouveaux horizons, “avec une envie de servir encore, mais pour d’autres choses, aller à l’essentiel“, en vous reconvertissant dans l’agriculture biologique. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? 

Je vais bientôt fêter mes trente-huit ans et j’ai toujours travaillé auprès des chevaux car mon père, ancien cavalier de concours complet à haut niveau, était gérant d’un centre équestre. J’ai un peu grandi dans ses jupes et j’ai fait très jeune le choix de suivre ses traces dans ce milieu. À partir de l’adolescence, je ne pratiquais plus que l’équitation et j’y baignais complètement. En plus, mon lycée donnait sur le centre équestre de mon père et je passais mon temps à jeter des coups d’œil par la fenêtre ! Après autant d’années passées aux côtés des chevaux, je ne vais pas dire que j’en ai fait le tour car c’est impossible, mais j’ai l’impression d’avoir fait mon temps. Puis, je dois dire que je suis un peu fatigué des expériences que j’ai eues, qui n’ont pas toujours été glorieuses. C’était le moment ! Cela dit, cela fait déjà un bout de temps que j’avais envie de raccrocher, et j’ai déjà essayé plein de fois, mais c’est difficile de se détacher des chevaux quand ils ont autant compté dans une vie… Ce choix correspondait à une volonté de revenir à des choses plus essentielles et d’exercer un métier que je juge plus utile à la société. 

Votre métier, comme celui de groom et de tous ceux qui œuvrent en coulisses, sont toujours un peu cachés derrière la médiatisation des cavaliers de haut niveau, donc le grand public vous connaît très peu. Pouvez-vous résumer votre parcours ? 

J’ai arrêté les études au moment du bac, puis j’ai obtenu mon monitorat après une formation effectuée chez mon père et dans le centre équestre de ma sœur, à Lamotte-Bevron. Je commençais à devenir adulte et j’avais besoin de voir de nouvelles choses, donc j’ai suivi une formation pour devenir cavalier de jeunes chevaux au haras du Pin. À l’époque, mon père était un mentor, presque un dieu pour moi. Le fait de partir m’ouvrait sur d’autres approches et façons de travailler, mais aussi de nouvelles cultures et de nouveaux territoires. J’avais extrêmement soif d’apprendre et de rencontrer de nouvelles personnes. J’ai travaillé pour de nombreuses écuries de manière assez succincte, un an en moyenne dans chacune. Ma plus longue collaboration a été avec Kevin Staut, que j’ai rencontré en 2007. Nous sommes vite devenus amis, et j’ai ensuite travaillé pour lui environ trois ans à partir de 2009.

Que retenez-vous de votre parcours équestre ? 

Chaque rencontre m’a apporté quelque chose, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Mais les deux rencontres professionnelles les plus importantes pour moi ont été Kevin (Staut, ndlr) et Jean (Alazard, dresseur et pédagogue extrêmement réputé, malheureusement disparu le 13 novembre 2015 après s’être longtemps battu contre la maladie, ndlr). Jean, qui entraînait Kevin via le haras de Hus, était un génie de l’équitation et m’a inculqué une nouvelle vision des chevaux et de mon travail. Nous le surnommions l’accordeur de guitare ! (Rires) Au-delà de ses qualités professionnelles, il faisait preuve d’une ouverture sur toutes les différentes cultures et était très cultivé dans plein de domaines différents. C’était quelqu’un de très enrichissant. Il m’a pris sous son aile et m’a beaucoup apporté. Quant à Kevin… En plus d’être quelqu’un pour qui j’ai beaucoup d’amitié, je le respecte beaucoup. C’est un travailleur forcené, un vrai homme de cheval et quelqu’un extrêmement passionné par son sport. Il a toujours privilégié l’équipe de France et les grands championnats plutôt que de participer à la course à la dotation sur le Longines Global Champions Tour par exemple.



“L’une des choses que j’apprécie d’ailleurs le plus chez Kevin, c’est sa classe et son respect pour tout le monde“

Grand entraîneur et pédagogue, le regretté Jean Alazard a été l'une des plus belles rencontres de Jean-Baptiste Leroty.

Grand entraîneur et pédagogue, le regretté Jean Alazard a été l'une des plus belles rencontres de Jean-Baptiste Leroty.

© DR

Quels sont vos plus beaux souvenirs de cette époque ? 

J’en ai beaucoup… Je me souviens très bien du jour où Kevin est devenu numéro un mondial pour la première fois (le 9 août 2010, devenant le deuxième cavalier français de l’histoire à occuper ce rang après Éric Navet, ndlr). Jean faisait travailler Kevin et Silvana dans la carrière. Je venais de rentrer de ma séance avec Kraque Boom, et comme souvent, je grappillais un peu de temps pour écouter les conseils de Jean en laissant Kraque brouter un peu d’herbe à côté. Quand Kevin est passé devant moi pour retourner aux écuries, j’ai fait une petite remarque à Kevin, en rigolant. Là, Jean s’est avancé vers moi en me demandant si je savais à qui je parlais… Je ne comprenais pas, je savais bien à qui je parlais ! (Rires) Et il enchaîne : “Tu parles au nouveau numéro un mondial!“ Kevin venait tout juste de recevoir le mail de la FEI pour l’avertir de sa première place ! Le soir, nous avons fêté ça aux écuries avec tout le monde. Quand je dis tout le monde, je parle de Kevin, Christophe (Ameeuw, propriétaire des écuries d’Écaussinnes, où Kevin Staut était installé jusqu’en 2012, ndlr), les cavaliers, les grooms, les palefreniers, les jardiniers… Même les cavaliers brésiliens, qui occupaient les écuries d’Écaussinnes en même temps que nous, étaient venus et nous avaient fait profiter d’un super barbecue brésilien ! C’était un superbe moment de partage et de diversité. L’une des choses que j’apprécie d’ailleurs le plus chez Kevin, c’est sa classe et son respect pour tout le monde. Il accorde autant d’importance à ses propriétaires qu’aux grooms et aux gens qui entretiennent la piste, sans distinction. À l’époque où il était au sommet, il n’y avait pas une seule interview où il ne remerciait pas son équipe. Il sait que nous avons un rôle important dans la réussite d’un système. 

Qui sont les chevaux qui ont le marqué votre route ? 

Je pense que c’est Le Prestige Saint-Lois, qui est le premier que j’ai connu chez Kevin. Ce cheval dégageait quelque chose de pas normal. Il avait une personnalité atypique et j’avais une complicité précieuse avec lui. Il donnait toujours tout ce qu’il pouvait, et avait une expression dans le regard vraiment spéciale. Franchement, je ne saurais même pas l’expliquer. J’ai aussi beaucoup aimé Gastronom de Hus (ex-Castronom Z), qui était un amour. Enfin, je pourrais aussi citer Zeta de Hus (décédée tragiquement en mars 2013 après un accident au Sunshine Tour avec Michel Robert, qui en était le nouveau cavalier, ndlr). Cette jument était une force de la nature. Honnêtement, sans le travail et les conseils de Jean, elle n’aurait jamais vécu cette carrière-là. Quand nous l’avons récupérée, ça a été très compliqué, si bien que Jean, qui ne voulait jamais monter à cheval car il répétait “ne pas venir pour donner du poisson dans l’assiette, mais pour apprendre les autres à pêcher“, a dû remettre le pied à l’étrier.



“Cette volonté de bien consommer, c’est-à-dire peut-être moins mais mieux, m’a séduite“

© DR

Est-ce que cette crise, que certains qualifient de signal d’alerte quant à notre modèle de société, et le confinement, qui laisse davantage le temps à la réflexion, ont été des accélérateurs dans votre décision de quitter les chevaux pour l’agriculture biologique ? 

En réalité, cela fait déjà plusieurs mois que je pense à travailler dans le secteur de l’agriculture biologique. Il y a un an et demi, j’ai rencontré une femme qui travaille dans ce milieu. Elle m’a ouvert à un nouveau monde, m’a fait découvrir des personnes superbes et de nouvelles activités. J’ai vite adhéré à ce réseau, car l’ambiance et l’état d’esprit qui y règnent me correspondent complètement. Cette volonté de bien consommer, c’est-à-dire peut-être moins mais mieux, m’a séduite. Avant, ce n’est pas que je ne me sentais pas concerné par les problèmes environnementaux et notre modèle de consommation, mais je n’y faisais pas plus attention que ça. Je savais que je consommais “mal“, mais j’avais besoin d’un déclic. Et peut-être que je serai moi-même le déclic de quelques-uns. En tout cas, j’ai le besoin de revenir à quelque chose de plus essentiel et de me sentir plus utile. Et je tiens à préciser que je n’ai pas du tout été éduqué autour de l’écologie ou quoi que ce soit. Mes parents sont nés juste après la Seconde guerre mondiale et nous étions cinq enfants… Même s’il n’y avait pas Amazon ni de fast-food, et que les produits alimentaires n’étaient pas autant industrialisés qu’aujourd’hui, nous ne mangions pas des produits de haute qualité car c’était peut-être trop cher - alors que le prix correspond finalement à la juste valeur de la production, ce que j’ai compris récemment. 

Quel regard portez-vous sur les sports équestres et le monde du cheval en général vis-à-vis de ce sujet ? 

Dans tous les secteurs d’activité confondus, je pense que nous devrions faire extrêmement attention à notre impact environnemental, d’autant que cela pourrait être une manière de nous sortir de situations comme celle que nous traversons actuellement. Au-delà de l’écologie, je trouve que l’on ne respecte plus assez le vivant de manière générale dans le sport de haut niveau. Un cheval de Grands Prix fait sûrement trois fois plus de concours par année qu’il y a dix ans, c’est énorme ! Certains font des dizaines d’heures d’avion par mois, coincés dans une boite où ils n’ont même pas la place de pouvoir se gratter l’oreille, et avant d’enchaîner par des épreuves à 1,50m le lendemain ! Si ce n’est pas éthique, c’est en tout cas un aspect du sport de haut niveau que je n’aime pas. Les chevaux sont gentils et généreux, en plus de ne pas avoir choisi cette vie d’athlète, et je trouve qu’on ne leur rend pas assez la pareille.  Je tiens à préciser que je ne critique pas tout du sport de haut niveau, dans lequel je me suis longtemps épanoui, d’autant que j’ai eu la chance de côtoyer de véritables hommes de chevaux respectueux comme Kevin Staut. 

Malheureusement, je crains qu'il en faille attendre une génération de plus pour que les choses changent vraiment. Nous sommes sur la voie d’une prise de conscience, mais quand je vois que les gens s’empressent de courir au McDonalds en plein confinement, je me dis que rien n’est encore gagné…