“Vivre une saison sans objectif n’est pas facile”, Thibaut Vallette (partie 1)

Depuis les championnats d’Europe Longines de Blair, en 2015, où il avait décroché deux médailles de bronze à la surprise générale, Thibaut Vallette est devenu la pierre angulaire de l’équipe de France de concours complet. Cet été, il aurait dû vivre ses seconds Jeux olympiques avec le fabuleux Qing du Briot*IFCE. Ceux-ci ayant été reportés d’un an, le lieutenant-colonel se projette déjà vers 2021. Profondément attaché à ses missions d’enseignement et de représentation, l’écuyer du Cadre noir de Saumur s’attèle aussi à dénicher et former de nouveaux chevaux, dans l’espoir de continuer à briller au plus haut niveau après la retraite de son crack. S’il n’y parvenait pas, le cavalier de quarante-six ans assure qu’il ne s’en formaliserait pas outre mesure, sachant que des fonctions supérieures l’attendent un jour prochain. Bien qu’il ne coure pas après les interviewes, cet homme discret et méticuleux n’en demeure pas moins capable d’aborder de nombreux sujets avec bon sens et conviction.



Où et comment avez-vous vécu les deux mois de confinement décrétés par le gouvernement pour endiguer la pandémie de Covid-19?

Ici à Saumur, entre l’École nationale d’équitation (ENE) et mon domicile. Heureusement, cette région a été assez préservée par le coronavirus. Pendant le confinement, tous les élèves de l’ENE sont repartis chez eux. Une partie d’entre eux vient de revenir pour passer le DE JEPS ou le DES JEPS (entretien réalisé le 10 juin, ndlr). N’ayant ni échéance ni examen à passer cet été, les étudiants inscrits en première et deuxième années de formation initiale, eux, ne reprendront qu’à la rentrée. Nous avons pu mettre au pré une centaine de chevaux servant à la formation, ce qui a permis de libérer un peu de personnel, essentiellement des soigneurs. Pour eux, un système de roulement a été mis en place afin de limiter les risques de contamination. Le personnel administratif a été mis en télétravail, et nous, cadres, sommes restés ici pour monter les chevaux. La différence la plus notable a été l’absence des élèves, qui a entraîné l’annulation des cours. Par rapport à tant de gens qui sont restés bloqués dans de petits appartements en ville, notre confinement a été relativement aisé dans le sens où nos habitudes n’ont pas vraiment été bouleversées. De plus, notre appartenance à la fonction publique nous a protégés, contrairement à toutes les personnes qui ont perdu leur emploi ou une part plus ou moins importante de leurs revenus.

Quelle était l’ambiance sur le site de Saint-Hilaire-Saint-Florent ? 

C’était calme, trop calme même, parce que c’est très grand ici ! Les élèves rythment nos journées et la vie dans cette école. Sans eux, nous avions un peu plus de chevaux à monter, mais nous nous les sommes bien répartis. Afin de minimiser les risques, nous les soignions, préparions et montions les uns après les autres, en faisant attention de ne pas mélanger le matériel. Même si rien n’est jamais parfait, nous nous en sommes plutôt bien sortis.

Dans quelle mesure les choses sont-elles rentrées dans l’ordre?

Nous attendions le déconfinement depuis pas mal de temps. Dans une période comme celle-là, le plus dur est de ne pas avoir de perspectives précises, notamment pour le maintien au travail des chevaux et pour l’intensité de ce travail. Par exemple, l’hiver est toujours un peu compliqué à gérer, notamment avec les chevaux d’âge, mais nous savons que la saison de concours reprend dès que celui-ci se termine. Nous nous organisons aussi en fonction des stages fédéraux. Là, c’était différent dans le sens où il a fallu attendre et accepter l’incertitude. À l’heure qu’il est, la situation commence à s’éclaircir mais nous n’avons pas beaucoup plus de perspectives précises.

Quid des galas et activités culturelles du Cadre noir?

Là aussi, nous manquons encore de visibilité. Certaines manifestations ont été annulées, mais nous allons reprendre gentiment les présentations publiques ici cet été, sans doute dans des conditions particulières. Ici, les visites ont déjà repris, pour de tout petits groupes de personnes invitées à porter un masque. Pour la suite de l’année, notamment les Musicales du Cadre noir (programmées du 16 au 18 octobre, ndlr), nous n’avons pas encore d’informations précises. Quant aux galas délocalisés, celui prévu en décembre à Clermont-Ferrand a été annulé. Espérons donc, comme tant d’autres acteurs de spectacles vivants, que l’année 2021 sera plus favorable.

 




À titre personnel, continuez-vous, comme depuis votre arrivée en 2009, à cumuler sport, enseignement et représentations? 

Oui, c’est un choix que je n’ai jamais souhaité remettre en cause. On m’a parfois proposé d’arrêter les cours ou de moins me produire en galas, mais je tiens à ces trois missions. D’abord, elles me semblent complémentaires. Pendant toute une période, pour des reprises de manège ou pas de trois, j’ai pu monter des chevaux hyper bien dressés capables d’exécuter tous les mouvements du Grand Prix: passage, piaffer, pirouettes, changements de pied au temps, etc. Même s’ils n’ont pas toutes les qualités et les bonnes allures pour briller en compétition, cela m’a énormément aidé pour faire travailler mes chevaux de complet sur le plat. Cela m’a permis d’avoir des références, d’exercer mon œil et de gagner de la confiance et de la maîtrise. Même si monter des chevaux de spectacle réduit d’autant mon piquet de chevaux de sport et le nombre d’épreuves auxquelles je peux participer, je rentre régulièrement en piste devant des tribunes combles et dans des conditions qui peuvent tendre les chevaux, avec la volonté de réussir ce que l’on attend de moi. De la même manière, l’enseignement enrichit ma propre pratique, à l’entraînement comme en compétition. Cela m’oblige à me remettre en question tout le temps et à trouver des solutions aux problèmes posés par les élèves.

Enfin, c’est aussi une façon de ne pas mettre tous mes œufs dans le même panier. En effet, un cavalier de sport s’épanouit grâce à de bons résultats, ce qui nécessite de bons chevaux et des propriétaires fidèles et généreux. Quand tout va bien, c’est très gratifiant. Mais quand on perd des chevaux ou des propriétaires, on peut vite être mis à l’écart, et il n’est pas toujours facile de remonter la pente. Certains écuyers sont passés par là. Pour ma part, je continuerai le sport tant que je le pourrai et que j’aurai des chevaux pour le faire. Et en cas de coup dur, il me restera toujours les cours et les galas. Finalement, cela m’ôte un peu de pression. Au fil des ans, ma situation a tout de même légèrement évolué. Par exemple, s’il y a un conflit entre un spectacle et une compétition importante, celle-ci aura la priorité.

À quoi ressemble un cours avec le lieutenant-colonel Vallette ?

Là aussi, afin de soulager mon planning, ma mission a beaucoup évolué. Pendant longtemps, j’intervenais auprès des étudiants de première et deuxième années du cursus de formation initiale. Il s’agit d’un cycle post-bac de trois ans et demi au cours duquel ils préparent d’un côté une licence au campus saumurois de l’université d’Angers et de l’autre le BP JEPS, le DE JEPS puis le DES JEPS. Depuis cette année, je m’occupe uniquement d’un groupe d’élèves de première année pratiquant le concours complet avec leurs propres chevaux. C’est vraiment super pour moi, parce que ce sont des jeunes motivés, qui montent bien à cheval et qui ont envie d’en faire leur métier. Cela me permet de travailler de façon pointue et individualisée, de les suivre tous les jours et d’organiser leurs saisons de concours. Quand ils montent les chevaux de l’école, c’est différent, parce que ceux-ci passent de main en main. Ils rendent un grand service aux élèves, qui sont contents de pouvoir disposer de montures de cette qualité- là pour leur formation, mais nous, écuyers, les connaissons un peu trop bien, donc je suis très heureux de cette évolution.

Combien de chevaux montez-vous en ce moment ?

Actuellement, je n’en ai que six: deux de l’écurie Prestige, un sauteur et un cheval de manège, et quatre chevaux de complet. Qing du Briot*IFCE (SF, Éolien II x Étalon Or) me prend beaucoup de temps. Comme il ne va ni au marcheur ni au paddock, je dois le monter deux fois par jour. Le matin, nous nous baladons et l’après-midi, il a droit à sa séance de travail. Ce rythme-là lui va assez bien. C’est un petit prince, qui sait qu’il est bon et aime le faire remarquer.

Depuis un peu moins de trois ans, je monte également Babacool de Brenne (SF, Controe x Yarlands Summer Song), neuf ans, qui appartient à Jean-Denis Desaules. Comme il n’avait concouru qu’en saut d’obstacles auparavant, j’ai pris le temps de le former au complet. Il est presque qualifié pour le niveau 4*. En juillet, je l’engagerai normalement au CCI 3*-S de Marnes-la- Coquette avec l’objectif de le lancer au niveau 4* en fin d’année. Il est assez particulier, mentalement et physiquement. Il est encore vert et parfois timide, donc pas aussi sûr que Qing, mais il arrive gentiment à maturité. J’ai aussi Castellet du Castay (Z, Canabis x Jus de Pomme), six ans, que l’école a acheté la saison passée. Il toise presque 1,80m au garrot! Du fait de sa taille, il a rencontré quelques pépins de santé, donc je pense qu’il faut attendre encore un ou deux ans avant qu’il puisse nous montrer quelque chose. Pour autant, il a beaucoup de qualités en termes de saut, de locomotion et de mental. Enfin, il y a six mois, j’ai récupéré Grain de Sel (AA, Upsilon x Ryon d’Anzex), âgé de quatre ans et également propriété de l’IFCE. Je pense que c’est un très bon cheval parce qu’il bouge et saute très bien. Il a aussi un petit peu de caractère. Je ne l’ai pas engagé au concours de reprise du Cycle classique, au Lion d’Angers, parce qu’il n’est pas encore tout à fait prêt, que l’environnement là-bas est un peu trop regardant pour lui et surtout parce qu’il n’y a pas d’urgence.

D’une manière générale, j’aime prendre mon temps avec les jeunes, ce que permet notre structure publique. Je préfère les former très progressivement et les engager d’abord en saut d’obstacles. Ils prennent peut-être un peu de retard par rapport à des chevaux valorisés dans une écurie privée, mais la finalité reste d’accomplir une longue et belle carrière. Après tout, cela a plutôt bien réussi à Qing, qui n’a été débourré qu’à cinq ans et n’a concouru en complet que deux fois à six ans!

Espérez-vous pouvoir élargir votre piquet dédié au sport?

Ici, le nombre de chevaux fluctue toujours un peu. J’attends actuellement des jeunes, provenant de l’école ou de l’extérieur. À ce sujet, nous avons le droit d’accueillir des chevaux acquis en partenariat avec l’IFCE et un seul cheval extérieur en pension. Pour essayer d’assurer la relève de Qing, je cherche donc des jeunes que l’école et/ou des propriétaires pourraient acheter. Dans le sport, le plus difficile est de durer. Ici, contrairement à une écurie privée, on a d’autres missions à accomplir, alors on peut connaître de gros creux entre les générations de chevaux, sans compter les blessures et ceux qui n’atteignent pas le niveau espéré. Pour ma part, je n’ai peut-être pas consacré assez régulièrement de temps à la recherche de nouveaux chevaux. Et puis je sais très bien que le sport ne durera qu’un temps parce que je serai appelé un jour ou l’autre pour d’autres missions, ce qui est très clair depuis le départ.

Chaque semaine ou presque, de nouveaux concours sont annulés. Compte tenu de ceux qui restent au programme, quels objectifs vous fixez- vous cette année?

Je n’ai pas encore planifié ma saison parce que le calendrier reste flou. Je dois appeler Thierry (Touzaint, sélectionneur national, ndlr) à ce sujet. Je ne m’inquiète pas pour les jeunes chevaux puisque le Cycle classique a repris. Pour les plus âgés, une Pro2 et une Pro3 ont été programmées ici fin juin en guise de remise en route avant les CCI prévus en juillet au haras de Jardy et en août au Pin, dans le cadre du Grand Complet. J’entends participer aux deux, comme bon nombre de cavaliers. Ensuite, j’ai cru comprendre que le Grand National de Pompadour, qui n’a pas pu se tenir en avril, pourrait être reporté à la fin de l’été ou au début de l’automne pour nous donner un objectif de championnats nationaux. Tant que les dates ne sont pas officialisées, il est difficile de nous projeter, mais nous commençons à préparer nos chevaux à ce retour. Il faut donc réviser ses enchaînements, ses reprises de dressage et partir galoper. 

Compte tenu du report des Jeux olympiques de Tokyo à l’été 2021, le CCI5*-L de Pau peut-il faire office d’objectif pour Qing?

Non, sauf si Thierry m’oblige à y aller. D’une part, Qing reste qualifié pour les JO, ce que leur report ne remet pas en cause – heureusement, d’ailleurs. D’autre part, il n’a pas besoin de beaucoup concourir, donc je n’ai pas envie de prendre des risques pour sa santé. Je sais qu’il est prêt, alors je le préserve en vue d’une sélection pour les Jeux. C’est clairement notre objectif! Il devra simplement disputer des épreuves de format court, ce qui m’inquiète moins. Reste à savoir si je l’engage cet été à Jardy ou au Pin, ou bien ailleurs en début de saison 2021. En tout cas, vivre une saison sans objectif n’est pas facile. De 2015 à 2019, nous avons disputé tous les championnats internationaux, donc participé à tous les stages estivaux de Saint- Martin-de-Bréhal. Qing ne disputait généralement que quatre concours avant ce stage (cinq en 2017 et seulement trois en 2019, ndlr), et sa saison prenait fin en septembre. Tout était réglé comme du papier à musique. Là, il faut se réorganiser et trouver la motivation ailleurs.

Sous votre selle, Qing a gagné deux médailles de bronze aux championnats d’Europe Longines de Blair Castle en 2015, une médaille d’or par équipes aux JO de Rio en 2016 puis une médaille de bronze par équipes aux JEM de Tryon en 2018, se classant toujours bien en individuel. En 2021, il aura dix-sept ans. Le report des Jeux ne vous inquiète-t-il pas quant à son âge ?

Qing est en super forme physique et mentale. Il est bien plus souple que la majorité des chevaux de dix ans. Et comme je l’ai expliqué, il a été préservé, en termes de concours comme d’entraînement. Il n’a pas besoin de répéter pour assimiler les choses. À un moment, il ne sautait presque pas ici. Même si sept semaines s’écoulaient entre deux concours, je ne lui demandais de sauter qu’un vertical, un oxer et une combinaison juste avant de partir, ce qui n’était pas suffisant. Depuis, j’ai un peu modifié ma façon de travailler, mais Qing reste un cheval tout à fait singulier. En tout cas, son âge ne m’inquiète pas. Bien évidemment, le report des JO ne m’a pas ravi, parce que Qing était en super forme en ce début de printemps (le couple s’était classé troisième du Grand National de Saumur, ndlr). Sauf blessure ou grosse contre-performance, nous étions sur la bonne voie en vue d’une sélection... C’est rageant, mais c’est comme ça. Maintenant, à moi de faire tout mon possible pour qu’il soit en pleine forme dans un an.