Dentisterie équine : un secteur en plein essor soumis à une réglementation rigoureuse

En plein essor depuis deux décennies, la dentisterie équine ne peut légalement s’exercer depuis le 1er janvier 2020 qu’à condition de détenir le titre de technicien dentaire équin (TDE). Pourquoi ce métier est-il si important ? À quoi est dû son développement exponentiel ? Comment ce titre désormais obligatoire s’obtient-il ? Thomas Guimbellot, président de la Fédération française des techniciens dentaires équins (FFTDE), nous éclaire sur ce sujet fondamental, incontournable si l’on veut avoir un cheval en bonne santé évoluant dans des conditions sanitaires qui respectent son bien-être. Marguerite Courrat



Pas de dents, pas de cheval…

Si le métier de TDE revêt autant d’importance, c’est qu’un cheval, pour être en bonne santé, a absolument besoin d’être suivi régulièrement (chaque année, ou au moins tous les deux ans) au niveau de la dentition, et ce d’autant plus que ses dents poussent pendant une grande partie de sa vie (il est ce que l’on appelle hypsodonte). C’est la raison pour laquelle il est sujet aux surdents, des pointes d’émail très coupantes qui le blessent au niveau de la langue et des joues, ce qui est très douloureux, et qui peuvent finir par avoir des conséquences sur le schéma corporel, notamment des douleurs de dos. On peut aussi évoquer les dents de loup, des prémolaires atrophiées qui poussent entre deux mois et deux ans et demi, et qu’il faut extraire car elles font souffrir le cheval au travail à cause du contact avec le mors.

Claude Hinnekens, docteur vétérinaire, précise : « Une bouche sensible car non soignée peut avoir des conséquences relativement graves sur la locomotion d’un cheval, car il va prendre des postures de défense afin d’éviter la douleur, ce qui, à moyen et long terme, risque de créer des lésions irréversibles. En effet, il va adopter de façon permanente une attitude au travail “à l’envers”, avec l’encolure haute, donc le dos creusé, ce qui typiquement mène à des lésions de conflit de processus épineux en région thoracique. Quand on en arrive là, le cheval a ensuite du mal à passer sans aide médicale (infiltration) le cap de la remise en forme. Peuvent aussi découler de ce processus de fonctionnement avec un dos très figé des problèmes lombaires, sciatiques, ainsi qu’au niveau des membres, notamment du jarret. J’aime à dire : “un cheval a besoin d’une bonne gestion de ses aplombs, d’une bonne bouche, de bonne bouffe, et après il n’y a plus qu’à bien les monter !” »

À noter toutefois que tous les chevaux doivent voir le dentiste, y compris ceux qui sont au repos ou à la retraite. Un cheval d’âge qui a été correctement suivi par le dentiste n’aura pas les problèmes de mastication trop souvent rencontrés en fin de vie. Les soins dentaires doivent en effet, pour la garantie de la bonne santé et du confort du cheval tout au long de sa vie, être délivrés de façon préventive. 

Qui sont les « vrais » techniciens dentaires équins, communément appelés TDE ?

Si la profession de dentiste équin existe depuis longtemps, son statut est resté, jusqu’à l’an dernier, flou. Afin d’identifier clairement les professionnels compétents, qualifiés et de confiance, maîtrisant le panel de techniques et de connaissances spécifiques propres aux soins de la dentition des équidés, le statut de technicien dentaire équin (TDE) a été rendu obligatoire depuis le 1er janvier 2020. C’est grâce à la mobilisation, depuis 2001, de la Fédération française des techniciens dentaires équins (FFTDE), organisme professionnel référent pour les pouvoirs publics et la profession vétérinaire, ainsi que certificateur de la profession de TDE (le titre est délivré conjointement par la FTTDE et le GIPSA), que les praticiens se sont vus, à compter de 2011, octroyer une existence légale par le Code Rural.
 Et pour exister légalement, un diplôme est nécessaire. Pour obtenir celui-ci, seules deux formations sont désormais, depuis le 1er janvier 2020, reconnues : une publique, au Lycée Agricole Lons-le-Saunier Mancy en France, et une privée à l’École européenne de dentisterie équine (E.E.D.E.) en Belgique. Ce diplôme doit être chaque année enrichi de points de formation continue (séminaires, formations traitant des soins aux chevaux, congrès de la FFTDE) afin de maintenir les compétences et connaissances nécessaires à l’exercice de leur métier et de rester à la pointe des progressions de la profession et innovations technologiques (nous reviendrons en détails plus loin sur la formation continue). Il est également important de préciser ici que la dimension juridique a aussi son importance : les nouvelles règles régissant la profession donnent un cadre permettant aux praticiens d’exercer avec une assurance adéquate et aux propriétaires de disposer d’un recours en cas de litige. 



Un métier conventionné

Pour pouvoir exercer son métier en effet, un TDE doit non seulement être titré, donc avoir obtenu un diplôme délivré par un organisme agréé ou par la VAE, mais aussi être conventionné. « C’est une démarche obligatoire que le TDE doit initier, en signant une convention avec le président de l’ordre des vétérinaires. Cette dernière oblige le TDE à différents niveaux, à la fois vis-à-vis du client, de ses pairs et des vétérinaires. Elle définit aussi clairement le cadre technique, administratif, réglementaire dans lequel le TDE doit travailler. Cela permet au praticien de clairement connaître les limites et les possibilités de son cadre d’exercice. Et par sa signature, il nous montre qu’il a bien pris conscience de ce cadre », précise Thomas Guimbellot. Il s’agit là d’une subtilité dans la loi qui revêt une importance capitale. En effet, comme l’explique Thomas Guimbellot : « Elle définit non seulement clairement les droits des TDE, mais aussi leur demande de se plier à un cadre disciplinaire strict : si l’un d’eux enfreint une règle ou en cas de litige, il doit accepter dans un premier temps de se plier à une discipline syndicale, puis à une discipline ordinale si aucune solution n’est trouvée par l’instance professionnelle (la FFTDE)qui s’est dotée d’une commission disciplinaire qui a pour vocation d’arbitrer ces litiges. Il s’agira alors pour cette dernière de tenter de résoudre à l’amiable un litige survenu entre un TDE et un client, entre un TDE et un vétérinaire ou entre deux praticiens. Dans le cas où il s’avère impossible de trouver une solution de façon amicale, c’est une commission disciplinaire émanant du conseil des vétérinaires, dont la FFTDE sera partie intégrante, qui prendra le relais sur l’affaire et obligera le TDE à respecter les devoirs qui lui incombent vis-à-vis du client, confrère ou vétérinaire, avec éventuellement des mesures punitives. » Concrètement, de quoi s’agit-il ? D’arbitrer, de trancher dans une affaire qui pose problème, dans laquelle la responsabilité du TDE est engagée et où il s’agit de prouver sa responsabilité ou, le cas échéant, de confirmer son innocence. « Il peut arriver qu’un client se plaigne, estimant que le TDE venu voir son cheval l’a mal soigné, ou que son cheval ne va pas bien, a par exemple déclenché un abcès, depuis que le TDE est intervenu », illustre Thomas Guimbellot.

Cette convention met également en lumière une notion fondamentale, celle du consentement éclairé, obligeant légalement le TDE à informer son client. Thomas Guimbellot développe : « Le TDE se doit d’éclairer son client, de lui expliquer ce qu’il se passe dans la bouche de son cheval, les soins qu’il compte effectuer, lui donner la garantie qu’il va mettre en œuvre toutes ses compétences pour délivrer un soin adapté, avec bien entendu pour objectif final que le cheval aille mieux après l’intervention. Le client ne doit en aucun cas se laisser entraîner dans une séquence de soins dont il n’a pas fait le choix. Avec la nuance suivante : le TDE est soumis, comme les vétérinaires ou les autres professionnels de santé, à une obligation de moyens, pas de résultat. Ainsi, le client doit être conscient de la pathologie dont souffre son cheval, et des risques qu’il y a à tenter de la guérir. Ces notions de transparence et de transmission étaient auparavant occultées, avec pour résultats de nombreux malentendus. La convention pose le cadre de ce dialogue, permettant au TDE de travailler sereinement, et au client de prendre en conscience les décisions concernant la santé buccale de son cheval. Pour résumer, le fait que le praticien ait signé la convention signifie qu’il accepte les contraintes inhérentes à son métier : soigner les chevaux au mieux en ayant éclairé son client. »

Sans oublier la formation continue : en signant la convention, le praticien s’engage à rester toujours au fait des dernières évolutions de son métier, avec toujours comme objectif de soigner au mieux les chevaux.

La formation continue 

Dans le cadre de la convention, les TDE sont tenus, comme les vétérinaires et beaucoup d’autres professions réglementées, de suivre une formation continue tout au long de leur carrière, ce qui accroît leurs compétences d’une part, et d’autre part donne une garantie aux clients quant à la qualité du travail fourni. Thomas Guimbellot développe : « Pour pouvoir exercer, les TDE sont tenus de prouver qu’ils ont suivi une formation continue tout au long de l’année, et ce chaque année. Cela permet une mise à niveau permanente. La FFTDE est en charge de la surveillance de cette formation continue, et se donne pour mission de proposer différents modules, notamment à travers des séminaires, sans oublier le congrès annuel de la profession ou le congrès annuel de l’AVEF (Association des vétérinaires équins français) qui est désormais accessible pour certains modules aux TDE. La démarche étant assez récente, les formations ont pour le moment lieu à l’échelle nationale, mais des sessions régionales commencent à être mises en place. Cette notion pédagogique de formation continue est fondamentale pour garantir la qualité du travail des membres de notre profession, et permet aux clients d’avoir la garantie de se trouver face à des praticiens qui réfléchissent régulièrement au niveau de leurs compétences, cherchent constamment des manières de s’améliorer, désirent devenir plus performants en étant formés aux dernières techniques de pointe. Il s’agit aussi de se tenir au courant, d’apprendre, d’échanger aussi. Car les séminaires que nous proposons constituent l’occasion pour les membres de la profession de se retrouver, de discuter de leur quotidien, des techniques qu’ils emploient, de la façon dont il est opportun d’agir dans telle ou telle situation. Ces moments sont importants car les TDE travaillent seuls, ces moments de réunion leur permettent de grandir encore plus, de ne pas s’enfermer dans leurs certitudes ni se sentir coincés avec leurs doutes. »



L’évolution du quotidien des praticiens

Toutes les démarches évoquées plus haut ont pour objectif de permettre aux TDE de travailler avec la confiance du client, en ayant acquis les compétences adéquates. Mickael Pitrey, TDE en Normandie, témoigne des évolutions qu’il a constatées dans la profession depuis l’instauration d’un cadre strict. « La réglementation qui a été mise en place a selon moi facilité et apaisé la collaboration entre les TDE et certains vétérinaires encore réticents. En effet, certains de ces derniers, à cause d’un passif compliqué, quand tout un chacun exerçait sans pouvoir justifier d’une formation sérieuse, ne voulaient pas entendre parler des TDE. Il a pu par exemple m’arriver par le passé qu’un vétérinaire refuse de venir sédater un cheval sur lequel je devais pratiquer une intervention car pour lui ma profession n’avait pas lieu d’être. Aujourd’hui tout cela est bel et bien terminé, grâce à l’obtention par les TDE d’un réel statut garantissant leurs compétences. Ce qui est vraiment important aussi, c’est la notion de formation obligatoire et de structure agréée pour cela. Avant, on pouvait se déclarer dentiste équin après avoir suivi une obscure formation de trois semaines, une catastrophe pour notre profession !Ce qui je trouve très bénéfique également, c’est la notion de consentement éclairé. Il est en effet très important à mon sens de systématiser la communication avec le client. D’une part bien sûr pour une question de transparence, mais aussi parce que je suis convaincu que plus on sensibilisera le public, plus celui-ci comprendra la nécessité de notre métier. Par exemple, ce n’est pas pareil de dire à un propriétaire que je vais traiter les surdents de son cheval, et de lui montrer ce que c’est, qu’il mette la main dans la bouche et constate à quel point c’est coupant ! Si on va plus loin, on peut même dire que le client bien informé peut anticiper : s’il sait reconnaître une dent de loup par exemple, et dire si elle est incluse ou non, il va pouvoir contacter son vétérinaire traitant qui sera alors prévenu lorsque le TDE le contactera afin de programmer la sédation nécessaire à l’extraction. Cela constitue un gain de temps considérable sachant le nombre de kilomètres que nous, TDE, parcourons chaque jour pour parvenir chez nos clients - pour ma part, même si je suis basé en Normandie je couvre les deux tiers de la France, et je parcours plusieurs dizaines de milliers de kilomètres par an. Cette communication doit commencer avec les moniteurs et leurs élèves. C’est pourquoi deux fois par an j’interviens dans un centre de formation : j’explique les signes indiquant qu’il faut appeler le dentiste, le cheval qui mange mal, dont la bouche subit une déformation, qui fait des boulettes, rencontre des soucis au mors, se fâche, fait des coliques à répétition… C’est cette communication menant à une compréhension entre le client et le TDE qui va permettre qu’un maximum de chevaux soit systématiquement et régulièrement vus par le dentiste. » 

Ainsi, l'on voit bien que tout ce processus de réglementation de la profession a permis aux TDE de voir évoluer positivement leur manière de travailler. Le fait de structurer le métier a imposé un relationnel différent, tant avec les clients qu’avec les vétérinaires. Le dernier mot à Thomas Guimbellot : « Le quotidien des TDE s’est ainsi stabilisé, apaisé, grâce à l’instauration de règles, d’un cadre et d’un climat de confiance. Le client est en effet désormais rassuré lorsqu’il va contacter un TDE car celui-ci a validé ses compétences et d'un cadre légal adapté. »

 

Un cadre législatif strict 

Chaque TDE devrait être en règle depuis le dernier décret publié en octobre 2018. Thomas Guimbellot explique : « À compter de cette date, l’ordre des vétérinaires aurait été en droit d’engager des poursuites contre tout TDE n’entrant pas dans ce cadre législatif strict. » Toutefois, les praticiens déjà en exercice avaient la possibilité jusqu’au 30 juin 2019 de régulariser leur situation en accédant au titre TDE grâce à la validation des acquis de l’expérience (VAE). Thomas Guimbellot rappelle : « La VAE était possible pour tous les praticiens qui sont déjà sur le terrain, via une session de validation organisée chaque mois : les praticiens expliquaient alors leur parcours devant un jury composé d’un technicien dentaire équin, d’un représentant du ministère de l’Agriculture et d’un vétérinaire, afin de déterminer s’ils remplissaient les conditions préétablies. » Un temps de mise en conformité avait été négocié par la FFTDE avec le Conseil national de l’ordre des vétérinaires, ce qui impliquait un moratoire sur les poursuites jusqu’au 1er janvier 2020. Thomas Guimbellot continue : « Cette période de transition a été nécessaire pour nous permettre de finaliser la mise en place des VAE, le déroulement de nombreuses sessions de VAE et la constitution des dossiers de conventionnement pour chaque TDE titulaire du titre ; afin que chaque TDE puisse travailler en toute légalité, et éventuellement pour repêcher les redoublants. Nous avions, pour en arriver à ce cadre, largement préparé le terrain en amont : durant trois ans avant cette date butoir, nous avons informé le public et les praticiens par le biais de publications, de congrès, de réunions… Tout un chacun savait ce qui l’attendait, et ce qu’il devait faire pour pouvoir exercer en toute légalité. Pour ceux qui n’ont pas ‘réagi’, il s’agit heureusement d’une minorité, ils doivent désormais soit cesser leur activité soit retourner à l’école… »