Fein Cera, du sommet de Jerez de la Frontera jusqu'au meilleur de l'élevage (partie 1)

En mars 2019, la mémorable Fein Cera s’est éteinte au bel âge de vingt-huit ans. Sacrée meilleure jument des Jeux équestres mondiaux de Jerez de la Frontera en 2002 avec l’Américain Peter Wylde, à qui elle avait offert une superbe médaille de bronze individuelle, la Holsteiner a marqué aussi profondément le monde du saut d’obstacles que celui de l’élevage. Poulinière de renom, comptant notamment sur les prolifiques Kleine Cera et By Ceira d’Ick, cette crack n’est pas prête de tomber dans l’oubli. Retour sur deux carrières d’exception.



© Collection privée

Il y a un peu plus de deux ans, en septembre 2018, l’extraordinaire Alice (DSP, Askari x Landrebell x Landadel) était sacrée championne du monde de saut d’obstacles sous la selle de l’Allemande Simone Blum, deuxième femme de l’histoire à s’octroyer le titre. Seize ans auparavant, en 2002, la meilleure monture des Jeux équestres mondiaux de Jerez de la Frontera avait été une autre jument d’exception, Fein Cera (Holst, Landadel x Cor de la Bryère). Cette remarquable baie, qui a glané ses plus beaux succès avec le glorieux pilote américain Peter Wylde, tout comme la jolie alezane, sont issues de la meilleure lignée de l’élevage de la famille Thormählen. Installés à Kollmar, à une cinquante de kilomètres au nord-ouest de Hambourg, en Allemagne, ces passionnés du Holsteiner ont connu un succès phénoménal avec leur “souche 3615”. Plus de soixante-dix chevaux de compétition descendent de cette ligne maternelle, allant des foals jusqu’aux jeunes chevaux, montures de sport et poulinières. Parmi eux, Fein Cera est demeurée la réussite la plus emblématique, autant pour sa carrière sportive que pour son héritage génétique.

L’histoire commence avec Gera (ex-Sarbit, Holst, GalvaniI x Heidestamm). Née en 1958 chez Klaus Emil Peters, cette puissante jument baie est repérée à quatre ans par Rheder Thormählen, éleveur allemand réputé pour son œil sacrément aiguisé. “Mon père a dû négocier avec son propriétaire pendant plus de cinq heures pour l’acheter!”, se souvient son fils Harm, qui a repris la structure familiale en 1973. “Quand Gera est arrivée dans nos écuries, elle n’était pas à 100% de ses capacités physiques… De fait, elle a dû passer plusieurs mois au pré avant de retrouver la forme. À ses cinq ans, nous avons participé à nos premières compétitions à Neumünster dans des épreuves à 1,30m. Elle a toujours sauté très au-dessus des obstacles… Elle avait d’énormes moyens et une technique de saut incroyable. Elle montait tellement le garrot que je me cognais constamment contre son encolure! Quand nous avons commencé à bien la valoriser, il y a immédiatement eu des clients, mais mon père n’a jamais voulu la vendre.” Décrochant ses premiers trophées à six ans avec Harm Thormählen, Gera vit ensuite une belle carrière internationale avec l’Allemand Kurt Jarasinski, champion olympique par équipes en 1964 à Tokyo. Sous sa selle, la baie remportera de nombreux ou bon nombre de Grands Prix et de Coupes des nations avec la Mannschaft, avant de regagner, comme prévu, le domaine de la famille Thormählen pour se consacrer à l’élevage. Elle donnera quatre poulains, dont trois ayant concouru jusqu’à 1,40m. Deux de ses filles, Larsa et Mandalayn, sont devenues à leur tour des poulinières de qualité.



LARSA ET MANDALAYN, LA PROLONGATION.

© Collection privée

Première à naître, en 1974, Larsa (Holst, Capitano) livre directement une belle descendance, à commencer par son fils Lacapo (Holst, Landgraf I), un imposant étalon gris d’1,68m. Ce dernier laissera à son tour Flemmingh (Holst, mère par Carneval), devenu un reproducteur emblématique pour la race du KWPN. Larsa donne également Gera VI (Holst, Calando I), une jolie jument repérée sur des épreuves à 1,40m en Allemagne sous la selle de Philipp Baumgart, qui la cédera plus tard à l’Américain Michael Morrissey. Alors cavalier en catégorie Juniors, ce dernier formera un couple solide avec la belle grise. “De toute ma carrière, Gera est sûrement le cheval avec qui j’ai préféré évoluer de toute ma carrière”, confie ce cavalier désormais âgé de trente-quatre ans et évoluant en CSI5* outre-Atlantique. “Je l’ai eue très jeune, et elle m’a accompagné depuis mes premières compétitions Amateurs et Juniors jusqu’au niveau international. C’était une vraie battante, et une sacrée gagnante! Elle était petite, mais son cœur et sa compétitivité faisaient la différence. Elle me donnait une confiance incroyable parce que je savais qu’elle se donnait constamment à 200%. J’ai eu beaucoup de chance de croiser sa route, et aussi d’avoir pu la faire reproduire après sa carrière, parce que ses poulains ont hérité de ses qualités.” 

Mandalayn naît un an après Larsa, fruit du même croisement entre Sarbit et Capitano. La Holsteiner grise a concouru jusqu’à 1,40m sous la selle de l’Allemande Peggy Pohl, cavalière internationale de saut d’obstacles et de dressage. Après sa carrière sportive, la jument retourne dans les installations d’Harm Thormählen afin d’être vouée à l’élevage. En 1987, elle donne naissance à Cera I (Holst, Cor de la Bryère), connue sous le nom de Bella Hopp sur la scène sportive. Formée par son naisseur, cette gracieuse jument gravit les échelons vers le haut niveau sous la houlette des Germaniques Karsten Huck, Philipp Baumgart puis Carsten-Otto Nagel. C’est en 1995 qu’elle voit sa carrière prendre une nouvelle dimension, remportant ses premières épreuves internationales sous la selle de l’Irlandais Paul Darragh, dont les Grands Prix de Barcelone et Séville. Le couple est même sélectionné pour les championnats d’Europe de Mannheim en 1997, avant que la crack soit vendue à Otto Becker. Ensemble, les deux compères remporteront notamment les championnats d’Allemagne et la mythique Coupe des nations d’Aix-la-Chapelle. 

Pour autant, avant même de franchir sa première barre, Cera vit une première brève carrière de poulinière. À quatre ans, elle donne en effet naissance à son premier produit, une fille de Landadel (Holst, Landgraf I x Farnese): Fein Cera. “J’ai commencé à monter Cera à six ans”, se souvient son formateur Karsten Huck. “Quand elle est arrivée, elle avait encore le ventre d’une poulinière! Au début, je ne pensais pas qu’elle aurait autant de sang, elle sortait tout juste du pré. Au fur et à mesure, elle a gagné en condition physique et est devenue très facile à monter. Elle avait une bascule incroyable et était terriblement respectueuse. Nous avons gagné le championnat des six ans à Elmshorn ensemble (la championne a également remporté celui des cinq ans avec Harm Thormählen, ndlr). Plus tard, j’ai également monté sa fille Fein Cera lors de ses jeunes années. Fein Cera était une version moderne de sa mère, plus délicate et sensible.” Revenue à l’élevage des Thormählen pour profiter de sa retraite, Cera ne poulinera plus jamais, et Fein Cera reste son unique produit. “Cera était extraordinaire”, se remémore Harm Thormählen. “Elle était extrêmement sensible et avait du caractère. Par exemple, il était quasiment impossible d’effectuer des trajets de plus de deux heures avec elle. Dès son plus jeune âge, elle a montré une qualité incroyable à l’obstacle; elle sautait les cavaletti avec une telle classe! En plus de ses moyens énormes, elle était très agile. Dans les barrages, elle ne semblait jamais très rapide, mais elle explosait toujours le chronomètre et pouvait tourner dans un mouchoir de poche.” La belle grise passera ses vieux jours dans les prés de sa dernière propriétaire, la Princesse Haya bint al-Hussein, ancienne présidente de la Fédération équestre internationale.



FEIN CERA, LEPORTE-DRAPEAU D’UNELIGNÉE D’EXCEPTION.

Née en 1991, Fein Cera est donc le fruit d’un croisement entre Cera et Landadel. “Landadel a pour quatrième mère Cogia, qui était une sauteuse incroyable”, raconte Harm Thormählen, justifiant son choix. “Cette jument a également donné l’étalon Colibri (Holst, Cottage Son, Ps x Lortzing), qui est entre autres le père de mère de la jument Lorettchen (Holst, Royal Wash, Ps), mère et grand-mère d’un grand nombre de sauteurs internationaux comme Clinton I (Holst, Carolus I x Calypso II).” Dès ses premiers pas, Fein Cera se démarque des autres, et son naisseur voit en elle des capacités bien supérieures à la moyenne. “Vous pouviez mettre n’importe quel obstacle avec n’importe quelle distance, elle sautait tout avec facilité!”, se souvient son éleveur. “Un jour, j’ai voulu la tester. J’ai installé un énorme oxer d’1,70m de hauteur et de 2m de largeur - ce que mon épouse n’a pas du tout aimé d’ailleurs. Je voulais voir de quoi elle était capable, notamment parce que je voulais la faire pouliner avant qu’elle ne soit débourrée. Elle a sauté cet obstacle avec une aisance folle, elle était 50cm au-dessus! Je n’ai jamais vu un cheval avec une telle force. Sa mère, Cera, lui a légué une excellente technique, mais Fein Cera avait bien plus de moyens. En plus, elle n’avait peur de rien. Du coup, j’ai dit à mon épouse que nous tenions quelque chose de spécial et qu’il fallait la cacher!” Décidé à la faire reproduire, il la croise d’abord avec Calato (Holst, CapitolI x LandgrafI), ce qui donnera la jument Kleine Cera. “J’ai commis une erreur en utilisant Calato. Je l’avais vu sauter en concours avec Bo Kristoffersen et l’avais trouvé dingue. Finalement, cela a été la seule fois où il a sauté de cette manière... Je pense que j’aurais dû choisir directement Capitol.”

En fin d’année de cinq ans, Fein Cera, discrètement mise en vente, attire l’attention d’Alison Robitaille, cavalière américaine tout juste âgée de vingt ans. “Quand Alison l’a essayée pour la première fois, elle avait simplement voulu l’arrêter et lui caresser l’encolure”, revoit son naisseur. “Au lieu de rester tranquille, Fein Cera a sauté un obstacle d’1,60m en face de pied ferme… Au moins, les clients ont tout de suite pu remarquer ses moyens gigantesques! (rires) Séduite par sa qualité mais aussi par son tempérament de guerrière, la jeune Américaine l’acquiert, puis la rapatrie dans ses écuries virginiennes. Après l’avoir formée, des épreuves réservées aux six ans jusqu’aux Grands Prix 4*, Alison Robitaille décide de s’en séparer début 2001, la cédant à son coéquipier et ami Peter Wylde.

La deuxième partie de cet article, paru dans le magazine GRANDPRIX heroes n°113, sera publiée demain.