“La FEI devrait prendre une mesure responsable concernant la vaccination”, Christophe Schlotterer

Avant-hier, la Fédération équestre internationale a dévoilé ses projets de nouveaux protocoles sanitaires en vue de la reprise de ses concours, prévue le 12 avril. Parmi ses propositions, certaines mesures semblent difficilement applicables partout aujourd’hui. Directement concerné par l’épizootie en cours de rhinopneumonie équine de type HVE-1, le Dr Christophe Schlotterer, vétérinaire équin installé en Seine-et-Marne et officiant en tant que délégué vétérinaire dans de nombreuses compétitions internationales, livre son point de vue sur ces protocoles.



“J’ai beaucoup réfléchi à la lecture du communiqué de la Fédération équestre internationale (FEI) et les réflexions qu’il m’inspire sont mitigées. D’un point de vue scientifique, les recommandations de la FEI me semblent pertinentes, en ce qui concerne la biosécurité et les mesures de gestion des chevaux en concours. En revanche, je ne suis pas d’accord avec l’argument développé par Göran Åkerström (directeur du service vétérinaire, de la FEI, ndlr) concernant la vaccination. D’abord, bien que celle-ci n’ait pas empêché certains chevaux de présenter des signes cliniques graves, la grande majorité des chevaux vaccinés n’exprime, comme chacun le sait, qu’une forme mineure de la maladie. Ensuite, tous les experts s’accordent à dire que cela limite l’excrétion du virus, ce qui limite nécessairement la propagation. Si l’on veut donc protéger la population équine, la vaccination semble tout à fait recommandée. Par ailleurs, il n’y a pas plus de rupture de stocks ou de problèmes d’approvisionnement pour ce vaccin-là que pour les autres vaccins commercialisés pour les équidés ou les autres espèces animales. Si l’on devait vacciner tous les chevaux de sport, les laboratoires suivraient la cadence sans aucune difficulté. L’immunité collective devrait être encouragée, et il me semble particulièrement responsable d’inciter l’ensemble des propriétaires à vacciner leurs chevaux contre la rhinopneumonie. À cet égard, on peut noter que la Fédération nationale des courses hippiques en France a mis en œuvre cette politique en rendant obligatoire la vaccination contre la rhinopneumonie sans rencontrer de problèmes dans sa mise en œuvre. Le monde des courses est tout aussi international que celui du sport, alors nous attendons la même cohérence dans le domaine de la protection des populations équines. 

Après l’épisode de Valence, il n’est pas sérieux de dire aux gens qu’il ne faut pas vacciner contre cette maladie, et il est faux de dire que ce n’est pas efficace. Scientifiquement, ce qui s’est passé au CES Valencia est très particulier: le nombre de chevaux présentant des symptômes (50%) est très inhabituel. La contagiosité et la virulence de l’infection sont probablement liées à des circonstances très particulières: des centaines de chevaux hébergés dans les mêmes tentes, présentant une ventilation défectueuse voire inexistante, des températures extérieures élevées ainsi qu’une possible mutation de virus, ont probablement favorisé cette flambée de contaminations et expliqué la charge virale particulièrement importante que présentaient la plupart des individus. Ce mode d’expression de la maladie n’est pas celui que nous rencontrons sur le terrain. Nous assistons plutôt à quelques cas sporadiques dans des effectifs sans contagiosité extrêmement importante. C’est d’ailleurs ce que nous avons pu constater sur le terrain avec les quelques cas contact générés par les chevaux rentrés de Valence, sans assister à des flambées spectaculaires comme dans le foyer initial. Je pense donc que la vaccination devrait devenir obligatoire, au même titre que celle contre la grippe équine pour tous les chevaux participant à des CSI, à raison d’une injection tous les six mois.

 



“La prise de température dans les camions ou sur un parking est dangereuse, donc inenvisageable en l’état”

Par ailleurs, je qualifierais l’ensemble des autres mesures préconisées de catalogue de bonnes pratiques et de bon sens. Pour autant, je pense que la mise en œuvre d’un certain nombre d’entre elles va être extrêmement compliquée dans certains concours. Si ces recommandations me semblent applicables aux championnats et événements mondiaux, ou de niveau 5*, elles me semblent bien plus difficilement susceptibles d’être mises en œuvre dans les concours de niveaux plus modestes. En l’état, il est illusoire de penser que les moyens humains et financiers seront les mêmes dans les grandes compétitions internationales que dans des CI 1*, 2* ou 3*, par exemple. Pour moi, il devrait y avoir deux niveaux d’exigence en termes d’organisation, qui tiennent compte du niveau des événements: une catégorie pour les championnats et concours 5* et 4*, et une autre pour les concours 1*, 2* et 3*, dont les organisateurs disposent de moyens financiers et humains incontestablement inférieurs. Il n’est pas question de brader la biosécurité. Pour autant, à l’heure actuelle, par exemple, je pense que personne ne sait assurer correctement le contrôle des chevaux au moment de leur entrée dans les écuries. La prise de température dans les camions ou sur un parking est dangereuse, donc inenvisageable en l’état. Imagine-t-on une file de cinq cents camions patientant tranquillement en attendant un contrôle de température de leurs chevaux. Je n’ai jamais vu un tel protocole mis en œuvre, pour des raisons de bon sens.



“Ces mesures trahissent une méconnaissance claire des réalités du terrain”

Si de nouvelles règles sont scientifiquement justes mais inapplicables dans la réalité, alors quelque chose ne va pas, et ces règles ne sont pas bonnes. J’ai parfois l’impression que la FEI, en procédant ainsi, cherche à se dégager de ses responsabilités. Ainsi, elle se réserve le droit de pouvoir accuser les organisateurs de ne pas mettre en place les mesures préconisées. Dans la très grande majorité des cas, la bonne volonté des organisateurs est évidente. Ils cherchent à respecter au mieux les règlements et à protéger les chevaux le plus possible. Par exemple, pour les championnats d’Europe Jeunes de saut d’obstacles, concours complet et dressage, en 2018 à Fontainebleau, nous avions contrôlé les certificats de bonne santé des chevaux à leur arrivée, puis les avions réceptionnés et installés, avant de prendre leur température. C’est ce qui nous avait semblé le plus intelligent et le plus sûr pour les cavaliers comme pour les chevaux. Pour autant, en l’état, nous ne respections pas les règlements à la lettre. Même si elles sont scientifiquement justes, ces mesures trahissent une méconnaissance claire des réalités du terrain.

Je comprends que la FEI essaie d’organiser les choses au mieux pendant cette période de crise, en disant que tous les concours devront fonctionner sous le même régime, mais c’est clairement impossible pour des raisons logistiques et financières. J’aurais trouvé bien plus juste que la FEI encourage la vaccination et surtout reconnaisse deux niveaux de compétitions internationales, avec des degrés d’exigences différents en termes d’organisation. Il faudrait instaurer un socle commun, y compris sur le plan sanitaire, à tous les organisateurs, puis des exigences de niveau variable selon le niveau du concours. En réalité, le comité scientifique qui accompagne les prises de décisions de la FEI manque cruellement de vétérinaires de terrain, ce qui se ressent fortement dans les décisions et les règlements, au détriment de l’organisation du sport en général et du bien-être animal en particulier.”