Mieux investiguer pour défendre efficacement un sport juste, équitable et respectueux du cheval

Retrouvez lédito de la rédaction, paru du dernier numéro du magazine GRANDPRIX.



Ces derniers temps, le Tribunal arbitral du sport (TAS) a froidement cassé deux jugements prononcés par le tribunal de la Fédération équestre internationale (FEI), estimant son travail d’instruction préalable insuffisamment probant. Dans les deux cas, à différents égards, les faits sont pourtant graves... tout comme le préjudice à l’image de la FEI et de son rôle de garant de l’équité du sport et de la protection du bien-être animal. 

En avril, le TAS a traité un recours de Mathilda Karlsson et Andrea Herck contre la décision de la FEI d’annuler les résultats d’une série d’épreuves comptant pour le classement mondial Longines des cavaliers. Celles-ci s’étaient tenues lors de CSI 2* organisés entre décembre 2019 et janvier 2020 à Villeneuve-Loubet, dans des infrastructures appartenant à Mircea Herck, le père du cavalier roumain. La décision reposait sur les conclusions d’une enquête lancée par la FEI au sujet de l’intégrité de ces concours. Les investigations avaient établi que douze épreuves fantoches, disputées par moins de dix cavaliers (!), comptant également pour le classement olympique, avaient été ajoutées après la date limite des inscriptions définitives, en violation du règlement général de la FEI. Ces modifications avaient été soumises à la FEI par la Fédération française d’équitation, qui ne pouvait juridiquement pas les refuser, puis approuvées par erreur. On se souvient que John Roche, directeur du jumping, avait été poussé à prendre sa retraite quelques mois plus tôt que prévu, probablement en raison de cette affaire. 

Finalement, le TAS a annihilé la décision prise par Sabrina Ibáñez, secrétaire générale de la FEI, et confirmée par le tribunal en juin 2020. Tous les résultats annulés ont donc été rétablis, si bien que la Sri-Lankaise Mathilda Karlsson a recouvré sa qualification pour les Jeux olympiques de Tokyo... Le jury a estimé à juste titre que l’article 112.3 du règlement fédéral n’avait pas pour objet de “permettre à la FEI de rectifier rétroactivement des erreurs découlant entièrement de sa propre responsabilité”. Un revers cinglant...

Toujours en avril, un autre jugement du tribunal de la FEI a été retoqué par le TAS. Cette fois, il s’agit d’une décision concernant la suspension de vingt ans infligée au cheikh Abdoul Aziz ben Fayçal al-Qasimi pour maltraitance. Castlebar Contraband, le cheval de ce cavalier émirati d’endurance, avait subi une fracture ouverte du canon antérieur droit lors d’une CEI 1* courue en 2016 à Fontainebleau et avait dû être euthanasié. Des échantillons de sang prélevés post mortem avaient révélé la présence de xylazine, une substance contrôlée utilisée comme sédatif, analgésique et relaxant musculaire. Interdite en compétition et rapidement excrétée du corps, elle est connue pour abaisser la fréquence cardiaque des chevaux. En outre, l’autopsie avait révélé de multiples lésions très localisées, traduisant des injections récentes et démontrant, selon la FEI, que l’animal avait été désensibilisé avant et pendant la compétition. Associé à l’arthrose du boulet avant droit, cet acte aurait entraîné des fractures de fatigue qui auraient finalement causé la blessure irréversible.



Le sport en général et l’équitation en particulier n’échappent pas à la judiciarisation galopante du monde

De son côté, le TAS a estimé que ni l’athlète ni son vétérinaire n’auraient pu “raisonnablement déceler” une fatigue osseuse chez le cheval. Et il a surtout jugé que toutes les conclusions et sanctions imposées par le tribunal de la FEI étaient “mal fondées”, qu’il n’y avait aucune preuve que le cheval eût été bloqué ou anormalement désensibilisé, et donc conclu qu’aucune sanction pour maltraitance ne pouvait être imposée au cavalier... “S’il est vrai que la preuve circonstancielle peut avoir une certaine valeur probante, il n’en demeure pas moins que, dans un cas comme celui-ci, concernant de graves allégations d’abus pouvant, si elles sont établies, entraîner de lourdes sanctions, il doit y avoir une preuve convaincante établissant la violation présumée des règles.” Sévères conclusions...

“La FEI continuera à enquêter et poursuivre ceux qui maltraitent des chevaux, mais aussi à travailler dur pour s’assurer que cette décision du TAS ne découragera pas les tiers de porter des cas de maltraitance à la connaissance de la FEI”, a déclaré Sabrina Ibáñez. “Nous devons travailler ensemble pour que ceux qui maltraitent les chevaux soient traduits en justice, mais nous devons également nous assurer que nous disposons de preuves solides et irréfutables.” Pour sa part, Göran Åkerström, directeur du service vétérinaire de la FEI, estime que le système de contrôle d’hyposensibilité récemment entré en vigueur “fournit désormais des preuves physiques d’un éventuel blocage nerveux, ce qui était pratiquement impossible auparavant. Ainsi, bien que la décision du TAS ne rende malheureusement pas justice à ce cheval en particulier, elle a abouti à un système qui aidera à prévenir de telles blessures tragiques.” 

Espérons que le TAS ne cassera pas un autre jugement, plus récent, du tribunal de la FEI, concernant l’utilisation d’éperons électriques en compétition par Andrew Kocher. Après les révélations de GRANDPRIX, il y a un peu moins d’un an, et au terme d’une enquête menée par l’Unité d’intégrité de la communauté équestre (ECIU), le cavalier américain de saut d’obstacles a été condamné à dix ans de suspension. À en croire le prévenu, sa victoire ne ferait aucun doute... “La FEI s’est entièrement fondée sur des on-dit d’employés actuels d’une entreprise que j’ai traînée en justice car elle me doit beaucoup d’argent. [...] Ses témoins ont déclaré que l’appareil visé ne m’appartenait même pas, qu’il était la propriété d’un employé de cette entreprise, et qu’ils l’utilisaient lorsqu’ils entraînaient leurs propres chevaux. Bien qu’ils aient reconnu ces agissements, ils ont été immunisés grâce à leur témoignage à mon encontre. Encore plus fou, le tribunal a refusé que mon équipe juridique examine les preuves un mois avant l’audience finale. [...] Tout le monde mérite un jugement équitable dans une affaire aussi sérieuse”, clame-t-il. 

Le sport en général et l’équitation en particulier n’échappent pas à la judiciarisation galopante du monde. Face à cet implacable constat, la FEI ne demeure pas immobile. Ainsi a-t-elle récemment réformé ses codes antidopage humain et équin, de même que certains fondements de ses règlements. Pour autant, si elle entend continuer à défendre et promouvoir efficacement un sport juste, équitable et respectueux du cheval, qui plus est dans une arène où les appelants sont parfois défendus par des cabinets d’avocats très puissants n’hésitant pas à s’adjoindre les services d’anciens conseillers... de la même FEI, elle n’a d’autre choix que de muscler son jeu. Il lui faut adopter des procédures plus rigoureuses et donner davantage de moyens à ses services sportifs et vétérinaires, à son tribunal ainsi qu’à l’ECIU. Pas si simple dans un contexte où ses recettes sont fragilisées par la crise sanitaire et où les contributions sont souvent perçues comme confiscatoires par différentes parties prenantes du sport. Lausanne, ton univers impitoyable...