Vital Chance*de la Roque, itinéraire d’un petit génie à la volonté de fer

Élevé comme un prince toute sa vie, Vital Chance*de la Roque a suivi une ascension des plus conventionnelles vers le haut niveau. Monté par plusieurs pilotes de renoms, le Selle Français, issu de la célèbre souche d’Itôt du Château, a fini par crever l’écran outre-Atlantique, sous la selle de l’Irlandais Conor Swail. Doté d’un tempérament de feu, ce petit génie au cœur tendre a su mettre ses qualités au profit de ses cavaliers, donnant toujours le meilleur de lui-même. Né pour le compte de Marie Bourdin et Antoine Dechancé, Vital a toujours conquis ceux qui l’ont côtoyé. Portrait.



L'adorable Vital Chance*de la Roque alors qu'il n'était âgé que de quelques mois.

L'adorable Vital Chance*de la Roque alors qu'il n'était âgé que de quelques mois.

© Collection privée

Des origines solides, une éleveuse aux petits soins, une propriétaire passionnée et des cavaliers talentueux. Voici sans doute le cocktail magique qui a permis à Vital Chance*de la Roque d’exploser sur les terrains de concours. Associé à l’Irlandais Conor Swail depuis le début de l’année, le petit bai au caractère bien trempé totalise, cette année, onze classements sur la scène internationale, dont trois victoires, dans les Grands Prix CSI 3* de Lexington, 2* de Tryon et 4* de Saugerties. “Il veut vraiment être respectueux et laisser les barres sur leurs taquets. C’est un vrai battant et il fait toujours de son mieux. Quand j’entre en piste, j’ai toujours la conviction que je serais sans-faute si je monte bien. C’est un super sentiment”, assure son nouveau pilote, redoutable à chaque fois qu’il s’élance sur une carrière de saut d’obstacles.

Avant de traverser l’Atlantique, Vital Chance*de la Roque a passé les onze premières années de sa vie en France. Dès sa naissance, le 16 mai 2009, dans les prés du haras de Bacqueville-en-Caux, à vingt kilomètres au sud de Dieppe, le Selle Français a laissé une trace indélébile dans le cœur de sa naisseuse. “J’ai perdu ma maman à douze ans et son anniversaire était le 16 mai”, se souvient avec émotion Marie Bourdin, éleveuse hors-sol amateur et amoureuse des chevaux. “En plus, je suis Américaine et mon frère n’était jamais en France. Sauf le jour où est né Vital ! J’ai été profondément touchée par ce signe. Désormais, dès que Vital fait quelque chose de magique, nous pensons à ce jour et à maman.” Aidée par son beau-père, qui avait dressé une liste interminable de noms en V, la gérante de l’élevage Chance - qui tient son nom d’Antoine Dechancé, compagnon de Marie Bourdin -, baptise son petit protégé “Vital”, comme si sa présence était déjà indispensable.



“Nous avions détecté un grand potentiel chez Vital”, Gaspard Taverne

Vital Chance*de la Roque, ici à Chantilly sous la selle d'Adeline Hécart.

Vital Chance*de la Roque, ici à Chantilly sous la selle d'Adeline Hécart.

© Sportfot

Issu du croisement entre Diamant de Semilly (ISO 184, Le Tôt de Semilly x Elf III) et Image du Château II (SF, Rivage du Poncel x Galoubet A), une sœur utérine de l’illustre Itôt du Château (ISO 193, SF, Le Tôt de Semilly x Galoubet A), auréolé de succès tout au long de sa carrière, notamment avec l’Australienne Edwina Tops-Alexander, Vital grandit sous l’œil attentif de Daniel Colé, au haras du Bois d’Argile, à Berneuil-en-Bray, dans l’Oise. Pourtant, à l’origine, Marie Bourdin et Antoine Dechancé souhaitaient croiser leur poulinière à un autre étalon. “Comme Image était la sœur d’Itôt, nous avions choisi Le Tôt de Semilly (ISO 177, SF, Grand Veneur x Juriste) pour reproduire un croisement similaire”, narre ainsi la naisseuse. “Finalement, en arrivant au centre d’insémination, on nous a conseillé d’utiliser Diamant de Semilly, qui était plus moderne et convenait mieux à notre petite jument.” Si les origines d’Image du Château II, acquise par la famille Hécart pour le frère d’Adeline, Augustin, avant d’être cédée à l’élevage Chancé, laissait présager de belles choses, l’alezane n’avait évolué en compétition que jusqu’à 1,10m. 

Dès ses jeunes années, son fils, Vital Chance*de la Roque présente une personnalité affirmée. “Sa mère porteuse s'appelait Interplanétaire. Elle avait aussi beaucoup de caractère et nous n’arrivions pas toujours à l’attraper au pré ! En revanche, elle a très bien élevé Vital”, note Marie Bourdin. Traité “comme un prince” au haras d’Argile, puis chez Christian Hermon, en Bretagne, le bai est gardé entier jusqu’à ses cinq ans. “Avec ses papiers extraordinaires, et comme tous les éleveurs, nous rêvions”, confesse Marie Bourdin. Confié à Jean-Michel Lorrain, qui avait déjà décelé un fort potentiel chez lui, le fils de Diamant de Semilly ne séduit pas les juges et sa carrière de reproducteur ne verra jamais le jour.

Sa croissance suffisamment avancée, Vital débute sa carrière sportive à quatre ans, sous la selle de Gaspard Taverne. Cette année-là, la paire effectue huit parcours parfaits en treize sorties. “Il a toujours été généreux et un sauteur incroyable. Cela a été un plaisir de le monter car il sortait déjà du lot ”, détaille son premier cavalier. À cinq ans, toujours sous la selle de Gaspard Taverne, Vital poursuit ses démonstrations et enchaîne neuf sans-faute sur le Cycle classique. Issu d’une riche génération, dont ont émergé Varihoka du Temple, Vega de la Roche, Vertigo du Désert, Viking d’la Rousserie, Valmy de la Lande, Volage du Val Henry ou encore Volnay du Boisdeville, tous vus en Grands Prix 5*, le Selle Français ne participe pas aux finales nationales de Fontainebleau. “Nous avions décelé un grand potentiel chez Vital, donc nous n’avons pas cherché à courir après les résultats à cinq ans, sachant que le cheval était promis à un tout autre avenir”, assure son ancien cavalier. Et pour poursuivre son ascension et sa progression, le généreux bai intègre les écuries Hécart dès 2015.



Une histoire de famille(s)

Vital Chance*de la Roque a connu ses premiers succès avec Guillaume Batillat.

Vital Chance*de la Roque a connu ses premiers succès avec Guillaume Batillat.

© Sportfot

Alors âgé de six ans, Vital Chance*de la Roque continue sa formation. “Ma filleule, Adeline Hécart, débutait dans les chevaux et voulait en faire son métier. Elle avait de très bons résultats avec Pasha (du Gué, ndlr) donc nous nous sommes dit qu’il serait sympa de lui confier Vital pour l’exploitation”, reprend l’éleveuse. Et Adeline Hécart de confirmer : “Nous avons vite trouvé un accord. Ma marraine voulait qu’il intègre nos écuries, et comme il était assez délicat, plus il arrivait jeune à la maison, mieux c’était.

D’abord avec Michel Hécart, puis avec Adeline, Vital s’aguerrit sur le circuit international réservé aux chevaux de son âge. Malgré tout, le bai garde une personnalité singulière. Son premier cavalier se souvient d’un cheval “turbulent, avec beaucoup de tempérament et de sang”. Très délicat, Vital tient peut-être son caractère de sa lignée maternelle. Bouillonnant, l’inoubliable Itôt du Château avait gardé la trace de son caractère débordant, après avoir percuté une voiture… Finalement, cette force de caractère a sans doute été l’une des clefs du succès du petit bai, qui dépasse à peine le mètre soixante. 

Au quotidien, c’est un ange. Mais il a une partie un peu démoniaque. C’est ce qui fait sa qualité, parce que Vital est minuscule. Il est très calme, très sûr de lui, et n’aime pas qu’on l’embête. En revanche, une fois qu’on est dessus pour aller faire un parcours, c’est clairement un lion. C’est un battant, mais il faut faire couple avec lui. Ce n’est pas le cheval de tout le monde. Quand on le comprend, c’est un cheval qui irait au feu pour son cavalier”, loue Adeline Hécart, qui a vu son protégé progresser d’année en année, corrigeant ses quelques défauts de technique et de trajectoire. Convaincue du potentiel de son partenaire, Adeline Hécart acquiert Vital en totalité en 2017.

Tant dans sa généalogie que dans l’historique de ses propriétaires tout a finalement été une question de familles pour Vital Chance*de la Roque. Très liée à ce cheval, par l’histoire de sa génitrice, mais également par les affinités qui l’unissent à Marie Bourdin, Adeline Hécart a choisi d’ajouter l’affixe du haras familial au nom de Vital Chance. “Nous sommes nous-mêmes éleveurs et nous ne sommes pas du genre à changer le nom des chevaux. Si nous avons ajouté notre affixe, ce n’est pas pour rien. La mère nous appartenait, nous avons aidé au croisement, etc.”, justifie la jeune femme. 

Après deux saisons sous la selle de sa propriétaire, Vital Chance*de la Roque change de main et intègre les écuries de Julien Épaillard, partenaire de longue date du haras familial. Si le Normand apprécie le potentiel du petit bai, ses ambitions de haut niveau ne lui permettent pas de donner davantage d’expérience à Vital. “Nous avions formé Vital jusqu’à 1,40m, mais, quelque part, il avait besoin de plus d’expérience qu’un cheval classique car il restait très chaud et délicat”, explique Adeline, qui se tourne alors vers Guillaume Batillat. Au prix d’un travail de longue haleine, la paire trouve ses marques et se met en avant. Classés sur le circuit national, les deux compères reproduisent leurs performances sur la scène internationale, allant même jusqu’à remporter les Grands Prix 2* de Royan et 3* de Montpellier en 2018. “Nous avons monté les échelons très lentement pendant un an, puis, lors de concours plus importants, les victoires sont arrivées ! C’est un cheval très attachant, plein de vie et d’envie de bien faire, avec une énergie incroyable”, salue Guillaume Batillat, qui fondait de grands espoirs dans le potentiel de Vital Chance*de la Roque.

Au vu des résultats convaincants de son cheval, Adeline Hécart décide de lui trouver un nouveau pilote, pour viser le niveau supérieur. Marc Dilasser répond à tous les critères et prend alors les rênes du crack. “Quand je l’ai récupéré, j’ai eu une assez longue période d’adaptation. Sur la piste, notre partenariat s'est assez vite concrétisé par de très bons résultats : dès le premier concours, nous avons gagné le Grand Prix national à Saint-Lô. Cependant, à la maison, il était très chaud et chargeait les obstacles. Dès qu’il voyait une barre par terre, il partait à fond et faisait un saut démesuré par-dessus. Il a fallu beaucoup de temps avant de réussir à le calmer et à le rendre serein à la maison”, se souvient Marc Dilasser, qui ne tarit pas d’éloges sur son ancien complice. “À pied c’était un amour. Vital était le plus gentil de tous les chevaux. C’était un merveilleux cheval.” Quatrième du Grand Prix CSI 4* de Salzbourg début décembre, Vital Chance*de la Roque dispute le deuxième 5* de sa carrière, en février 2020, à Bordeaux. Avec une faute concédée dans les deux Grands Prix, le bai n’est pas loin d’une performance majuscule. Mais la crise sanitaire annihile les espoirs du duo. Les concours sont mis en pause pendant de longues semaines, et les plans sont révisés.

Vital Chance*de la Roque sous la selle de Marc Dilasser.

Vital Chance*de la Roque sous la selle de Marc Dilasser.

© Sportfot



La révélation américaine

Vital Chance*de la Roque ici présenté au modèle.

Vital Chance*de la Roque ici présenté au modèle.

© Collection privée

À l’aube des douze ans de Vital, sa propriétaire doit prendre une décision. En concertation avec Marc Dilasser, Adeline Hécart choisit l’option commerciale et rencontre l’Irlandais Conor Swail à l’occasion du Sunshine Tour de Vejer de la Frontera, en fin d’année 2020. Ayant déjà monté pour la famille Hécart par le passé, l’expérimenté pilote essaye le Selle Français. “À cette époque, Marc montait évidemment le cheval et faisait un très bon travail. Quand je l’ai vu en Espagne, il était troisième d’une épreuve Ranking et aurait pu terminer deuxième du Grand Prix 3* sans une faute sur le dernier. Quand j’ai vu le cheval, j’ai bien-sûr pensé qu’il avait l’air d’être un super sauteur”, détaille l’intéressé, qui devient copropriétaire à 50% du bai. “Conor a essayé le cheval, il a fait dix sauts à 1,20 et l’a adoré. Il en a acheté la moitié, comme cela je peux continuer l’aventure. J’aime le sport, et avoir l’opportunité de travailler avec des cavaliers comme cela est vraiment super”, ajoute Adeline Hécart, qui admire le travail de l’Irlandais. Forcément déçu de voir un tel cheval quitter ses écuries, Marc Dilasser a le sentiment du devoir accompli et peut se réjouir du travail effectué jusqu’alors. D’ailleurs, Conor Swail a conservé l’embouchure l’harnachement utilisé par l’ancien cavalier de son Selle Français. 

Arrivé aux États-Unis, Vital Chance*de la Roque fait connaissance avec son nouveau pilote. En véritable homme de cheval, Conor Swail prend son temps avant de lancer son nouveau complice dans le grand bain, et s’élance majoritairement dans des épreuves à 1,40 ou 1,45m en février, à Wellington. “Au début, comme toujours, je trouve qu'avec de nouveaux cavaliers et un nouveau système, il faut un certain temps pour se comprendre, mais j'ai trouvé qu'après quelques mois, nous commencions à avoir une bonne forme. Nous avons eu une très bonne période. Maintenant, nous sommes assez bien habitués l’un à l’autre et nous nous connaissons très bien”, se réjouit Conor Swail. “Vital est un cheval très gentil, agréable à côtoyer à l'écurie, même sur le plat. Il est d’ailleurs assez paresseux ! Nous devons toujours faire attention à le faire travailler suffisamment. S'il est frais, il devient très difficile, vraiment chaud. Il peut devenir assez agressif et alors, il peut être compliqué à monter. Mais il ne doit pas être trop calme non plus. Il est vraiment sympa pour un si petit cheval. Il est très courageux, très respectueux et a de bons moyens. C'est un cheval amusant.

Dès le mois de mai, le duo connaît un premier classement significatif. Dans le Grand Prix 2* de Tryon, les deux complices s’offrent une troisième place. Sentant qu’il tient le bon bout, Conor Swail enchaîne une poignée de concours, ne disputant souvent qu’une épreuve de mise en jambe et le Grand Prix. Ainsi, cela a permis à Vital, surnommé “Vinny” par son copropriétaire, de s’économiser en ne sautant pas entre les différents concours. Toujours extrêmement compétitif, Conor Swail met son talent au service du palmarès de Vital. À Lexington, fin juin, le duo s’adjuge le Grand Prix 3*, puis récidive dans les épreuves reines des CSI 2* de Tryon et 4* de Saugerties, signant le seul sans-faute de la dernière compétition citée. En huit Grands Prix disputés, le couple compte… sept classements ! 

Après une première partie d’année bien remplie, Vital Chance*de la Roque profite d’une petite pause. En cause ? Ses pieds, dépourvus de fers. En faisant l’acquisition du Selle Français, Conor Swail s’est laissé convaincre par la stratégie du haras de la Roque de laisser ses montures pieds nus. Ayant concouru à Thunderbird, et s’apprêtant à se rendre à Calgary, sur des pistes en herbe, l’Irlandais a laissé un peu de temps libre à son petit bai. “C’est seulement le premier cheval que j’ai qui n’a pas de fers. Et il semble vraiment apprécier cela. Il saute superbement et est parfaitement sain”, se réjouit le cavalier. Comme H&M All In de Vinck et King Edward, médaillés d’or avec la Suède aux derniers Jeux olympiques de Tokyo, cette méthode naturelle semble offrir un véritable confort aux équidés.

Une fois son break terminé, Vital reprendra le chemin des concours. Et si son éleveuse, ses propriétaires et ses anciens cavaliers espèrent évidemment le voir briller en Grands Prix 5*, seul le temps le dira. “Si vous regardez ses résultats passés, il a fait des épreuves plus importantes et les a bien réussies. Quand on regarde All In, il ressemble à mon cheval : il n’est pas très grand, avec une petite foulée. Honnêtement, je suis juste heureux. C'est un très bon cheval, un grand gagnant, et un personnage adorable. Il est toujours de bonne humeur”, sourit Conor Swail.

Quand il était petit, on pouvait presque lui lancer une pomme dans le pré et attendre qu’il nous la ramène ! C’était rigolo. Il était très chaud poulain, mais il était malin et comprenait tout ce qu’on lui disait”, sourit Marie Bourdin, toujours très émue par les performances de son protégé, qu’elle ne lâche pas d’une semelle. “Nous ne faisons pas des poulains dans tous les sens. Nous sommes avant tout des passionnés. Nous élevons hors-sol, cela coûte cher et est très difficile. Mais nous nous accrochons car c’est vraiment notre passion. D’ailleurs, nos chevaux sont tous gâtés.” Pour rêver, l’éleveuse peut compter sur Adrénaline Chance, propre sœur de Vital, née un an plus tard. Si sa production est encore jeune, un crack se trouve peut-être parmi Easy, Feeling, Give Me A, Heavenly, It’s My ou Keynote Chance.

Vital, son cavalier et sa groom.

Vital, son cavalier et sa groom.

© Sportfot