La FEI entend maintenir ses nouveaux formats olympiques à Paris… malgré l’opposition des cavaliers, propriétaires et grandes fédérations

Le système de qualification olympique constituera le sujet le plus controversé de l’assemblée générale de la Fédération équestre internationale, qui se tient demain à Anvers, en Belgique. Depuis hier que sont réunis l’état-major de la maison-mère et les représentants des fédérations nationales et autres parties prenantes des sports équestres, ce sujet anime bien des échanges. Pourtant, comme il y a cinq ans à Tokyo, où avaient été adoptés les nouveaux formats, comprenant la réduction des équipes de quatre à trois couples dans des épreuves où tous les scores comptent, la vague d’opposition des cavaliers, propriétaires de chevaux et grandes fédérations risque fort de se briser sur le mur d’un système démocratique non représentatif des réalités internationales.



On prend (presque) les mêmes et on recommence. Ainsi s’annonce l’assemblée générale de la Fédération équestre internationale (FEI), qui se déroule demain à partir de 9h dans une salle du cossu hôtel Hilton d’Anvers. Cinq ans après leur adoption, lors de l’assemblée générale de Tokyo, les formats des épreuves olympiques reviennent sur le tapis. Non pas directement, l’état-major de la FEI n’ayant guère prévu de les modifier en profondeur, mais à travers l’adoption du système de qualification pour les Jeux de Paris 2024 qui, tenant compte du quota de deux cents couples (soixante-quinze en saut d’obstacles, soixante-cinq en concours complet et soixante en dressage) accordé par le Comité international olympique, s’appuie sur des équipes de trois couples, telles qu’on les a vues à Tokyo, malheureusement pas toujours pour le meilleur.

Hier, le discours très étayé et sincère prononcé par Steve Guerdat, au nom du Club des cavaliers internationaux de jumping, avec le soutien du Club des propriétaires de chevaux de saut d’obstacles (JOC), a eu le mérite de remettre l’église, à savoir le cheval et son bien-être, au milieu du village de ceux qui ont expérimenté ces nouveaux formats à Tokyo. Ils en appellent en grande majorité au retour des équipes de quatre couples, avec le fameux drop score, cette règle qui veut que l’on ne tienne compte que des trois meilleurs résultats de chaque collectif pour calculer son total de points. Aujourd’hui, son appel a été relayé notamment par Kevin Staut, président de l’IJRC. “L’objectif principal de l’IJRC en ce qui concerne les formats olympiques est de garantir que notre sport reste une discipline d’excellence pratiquée par les meilleurs cavaliers, tout en respectant le bien-être de nos chevaux. J’apprécie tout ce que dit Steve Guerdat, un cavalier qui se bat pour des valeurs saines selon ses convictions de champion et sa foi de cavalier”, salue le champion olympique par équipes de Rio 2016.

Cette opinion est également partagée par la plupart des grandes fédérations européennes, y compris la Fédération française d’équitation (FFE), et par celle des États-Unis, qui avait voté pour les nouveaux formats en 2016. “Nous soutenons le retour d’équipes de quatre couples”, dit clairement la FFE. Cette affirmation est renforcée par l’expérimentation des nouveaux formats aux Jeux de Tokyo 2020, où l’on est forcé de reconnaître qu’il y a eu plus de dérives concernant les problématiques de bien-être des chevaux que lors des précédents Jeux olympiques: cavaliers surmenant leurs chevaux, couples de niveaux inférieurs aux normes de sécurité. En sous-estimant dans ces formats le facteur si singulier qu’est l’animal pour notre sport, nous menaçons sa place dans le mouvement olympique et la société. Nous soutenons le volonté d’impliquer davantage de nations aux JO tant que cela ne compromet pas le bien-être des chevaux et que tous les participants se qualifient selon des procédures mondiales équitables pour assurer la sécurité et avoir le meilleur de notre sport aux JO. Pour augmenter le nombre de drapeaux, nous recommandons d’ouvrir davantage de qualifications individuelles aux meilleurs couples des nations émergentes au lieu d’avoir des équipes pas entièrement composées de couples suffisamment sûrs au niveau olympique.”

Pour sa part, Ingmar de Vos dit avoir apprécié le spectacle offert par ces Jeux, même en jumping. “Je trouve que la compétition a été formidable. Maintenant, nous devons probablement effectuer quelques ajustements, c’est évident”, reconnaît-il tout de même, dans un long entretien exclusif accordé cet automne à GRANDPRIX. “Jusqu’à présent, je n’ai pas souhaité faire de commentaire à ce sujet car il faut d’abord effectuer un bilan avec toutes les parties prenantes concernées, mais aussi attendre le retour du CIO, et les statistiques médiatiques. Nos chiffres ont été bons sur nos plateformes (sur les réseaux sociaux notamment, ndlr) et nous avons reçu beaucoup de commentaires positifs des télévisions généralistes. Les commentateurs ont trouvé notre sport plus facile à expliquer aux gens. Il faut garder une vision d’ensemble, poursuivre le dialogue avec les cavaliers, qui reste ouvert, pour constater ce qui peut être amélioré, même s’il est trop tôt pour dire exactement quoi. Mais nos résultats sportifs sont positifs et notre position dans le mouvement olympique en sort renforcée”, estime le Belge, qui jouera demain à domicile, ayant grandi dans la petite ville voisine de Kapellen.



Une lettre du CIO qui pose question

Et pour emporter la partie, avant que ne soit soumis au vote de l’assemblée générale le principe de revenir à des équipes de quatre couples, il sortira de sa manche un atout-maître: une lettre du CIO, datée du 3 novembre 2021 et signée de la main de Kit McConnell, directeur du service des sports. “Ce changement a eu un certain nombre d’avantages que nous avons déjà vus: une plus grande universalité dans les épreuves par équipes, ce qui engage un public plus large et de plus grandes opportunités de promotion et d’engagement dans un plus grand nombre de territoires; chaque résultat est essentiel pour les résultats de l’épreuve, s’alignant sur les formats en place dans presque tous les autres sports et épreuves; c’est plus compréhensible pour le public mondial, tout en mettant en valeur les compétences et performances de chaque couple; cela garantit des règles du jeu plus justes et équitables pour tous les comités nationaux olympiques (CNO) participants, plutôt que de favoriser les fédérations nationales et CNO plus importants”, détaille le Néo-Zélandais, en poste depuis fin 2013, avant de conclure: “Pour les raisons mentionnées ci-dessus, le CIO accueillerait favorablement des propositions de système de qualification olympique et de formats de compétition pour Paris 2024 qui maintiennent les mêmes principes.” Circulez, il n’y a plus rien à voir?

C’est ce que l’on pourrait comprendre en lisant l’avis du comité de jumping de la FEI, mis à jour après une dernière réunion à ce sujet organisée le 4 novembre au soir. “Le comité avait tenu des réunions antérieures pour discuter de cette question, mais n’avait pas obtenu de réponse unanime (on imagine notamment la ferme opposition du Brésilien Pedro Veniss, représentant les cavaliers, ndlr). Après réception de la lettre adressée par le CIO au président de la FEI, le comité s’est engagé à suivre les recommandations formulées par le CIO. Pour cette raison, le Comité recommande de maintenir le système de qualification tel que proposé et est ouvert à la discussion avec les différentes parties prenantes pour trouver les meilleurs formats possibles dans une formule avec des équipes de trois couples.”

Attention toutefois, ledit courrier émane d’un salarié du CIO, certes éminent, et non d’un membre élu, tel que l’est par ailleurs Ingmar de Vos, et encore moins du président Thomas Bach. “Le comité de saut d'obstacles est un comité technique qui émet des recommandations au conseil d’administration de la FEI”, rappelle Rodrigo Pessoa, qui en fut membre de 2004 à 2008 puis de 2014 à 2018. “Son travail consiste à écouter les parties prenantes pour recueillir des informations et, à partir de celles-ci, effectuer les meilleures recommandations possibles. En l’espèce, ce n’est évidemment pas le cas. Le comité et la FEI se cachent à mon avis derrière la lettre du CIO qui ne contient pas de recommandations mais accueille les suggestions sur le format de la compétition. Le CIO n’interfère pas dans les règlements des fédérations internationales”, poursuit le Brésilien, sacré en 2004 à Athènes, qui s’est exprimé ce matin sur le site de nos consœurs de World of Showjumping, partageant également une proposition de compromis. “Si le comité était impartial et écoutait ses parties prenantes les plus importantes, telles que les cavaliers et les propriétaires, son message serait totalement différent.” Par ailleurs, certains estiment plus ou moins ouvertement que ladite missive contient des éléments de langage qui pourraient bien provenir de la FEI.

Quoi qu’il en soit, le vote symbolique sur le nombre de couples par équipes a toutes les chances d’aboutir à une nouvelle défaite du camp des “conservateurs”. En effet, comme de nombreuses autres organisations internationales, la FEI applique le principe d’une voix par nation, quand bien même soixante-sept de ses cent trente-six fédérations nationales membres, soit quasiment la moitié, comptent moins de vingt chevaux enregistrés dans la base de données des compétiteurs internationaux. Le ratio est quasiment le même pour les cavalier, tandis que plus de la moitié n’a accueilli aucun concours en 2021… Et les délégués de ces modestes organisations nationales suivent presque toujours l’avis du président. “Il y a un équilibre à trouver entre le besoin d’universalité des Jeux et la présence des meilleurs couples mondiaux. Et il pourrait très bien consister à réduire le nombre d’équipes de quatre et augmenter le nombre d’individuels (comme l’avait déjà proposé l’IJRC et l’EEF en 2016, ndlr), rappelle Quentin Simonet, coordonnateur des relations internationales de la FFE, qui prendra part au vote sans grandes illusions. “En fonction du résultat, nous adapterons notre plan d’actions en vue des prochaines étapes. En tout cas, il faut tout faire pour ne pas revoir les images que nous avons vues cet été.”



Tout n’est pas perdu…

Tout n’est pas perdu. C’est en tout cas le message qu’a tenté de véhiculer la FEI cet après-midi lors de la session de discussions préparatoires à l’assemblée générale, malheureusement non télévisée et fermée aux journalistes afin “de permettre aux délégués de s’exprimer librement sans crainte que leurs opinions soient reportées dans la presse”, selon un porte-parole… Ainsi, si le CIO a fixé aux fédérations internationales décembre 2021 comme date limite pour lui soumettre leurs systèmes de qualification pour les Jeux de Paris 2024, l’approbation des formats olympiques aura lieu lors de la commission exécutive du CIO programmée début février 2022, ce qui laisserait deux mois aux parties prenantes pour trouver un compromis.

Par ailleurs, Ingmar de Vos a informé les délégués qu’un processus complet de consultation sur les règlements olympiques et les exigences minimales d’éligibilité (MER) débuterait après l’assemblée générale d’Anvers et qu’une session du Forum des sports de la FEI, prévu en avril, serait dédiée à ces sujets techniques mais de la plus haute importance, avant une mise au vote lors de l’assemblée générale de 2022. Les MER ne changeront toutefois pas en para-dressage, discipline où la période de qualification débutera dès le 1er janvier 2022. Seront également en discussion les décisions sur l’équité, l’attribution des épreuves de qualification régionales et la redistribution des quota de places inutilisées. Le président de la FEI a aussi rappelé que le principe des équipes de trois, s’il est approuvé demain, ne s’appliquera qu’aux Jeux olympiques et paralympiques et dans aucun autre championnat.

Cet après-midi, la Fédération équestre européenne (EEF), représentée notamment par le Néerlandais Theo Ploegmakers, son président, et Quentin Simonet, l’un de ses administrateurs, a présenté un projet comprenant des voies alternatives de qualification, avec deux scénarios, l’un avec des équipes de quatre, l’autre avec des équipes de trois. L’EEF propose de mettre davantage l’accent sur les championnats du monde et les séries des Coupes des nations dans les trois disciplines, plutôt que sur les championnats “régionaux”, estimant ceux-ci impliquent de trop grandes distorsions entre l’Europe et le reste du monde. “La secrétaire générale de la FEI, Sabrina Ibáñez, s’est dite préoccupée par le fait que la proposition ne respecte pas les principes du système de qualification olympique du CIO, consistant notamment à offrir plus d’une possibilité aux athlètes ou équipes de se qualifier, des chances justes et égales qui ne nécessitent pas de déplacements coûteux ou longs, et à assurer une représentation continentale”, selon les termes du communiqué fédéral.

Le président du groupe régional VIII de la FEI, le Taïwanais Jack Huang, a déclaré “que le manque de préparation avant les Jeux de Tokyo en raison des restrictions de déplacement liées à la pandémie de Covid-19 pourrait expliquer certaines performances non optimales, mais que cela serait éliminé par le renforcement des MER pour Paris 2024.” Le président de la FEI a convenu que le règlement olympique pour Paris 2024 serait inclus dans le Forum des sports de l’an prochain, ce qui pourrait permettre, en jumping, d’inverser à nouveau l’ordre des compétitions individuelle et par équipes, mais aussi de rediscuter de la remise à zéro des compteurs entre qualificatives et finales et du nombre de points de pénalité infligés à une équipe en cas d’élimination ou d’abandon. Voire de réintroduire un drop score, pour ne plus garder que les deux meilleures performances de chaque nation. À ce jeu-là, à Tokyo, la France aurait été sacrée en saut d’obstacles, tandis que l’Australie et l’Allemagne auraient échangé leur deux et quatrième places… ce qui change tout! “Heureusement qu’il reste un peu de temps pour cela. Là, pour les systèmes de qualification, nous n’avons eu que trois mois pour émettre des propositions, ce qui s’est avéré impossible pour les plus modestes fédérations”, rappelle Quentin Simonet.

Rien se serait donc figé dans le marbre? Tant mieux, car les mordus d’équitation, ceux qui garniront les tribunes du stade éphémère de Versailles, sont en droit d’attendre un spectacle plus convaincant que celui offert à Tokyo, surtout en saut d’obstacles. La conclusion reviendra à Isabell Werth, qui s’est également exprimée hier à Anvers. “Je considère qu’il est essentiel qu’un niveau adéquat soit maintenu dans le système de qualification, car certaines nations admises n’ont pas un niveau olympique, et le bien-être des chevaux en souffre alors”, a déclarée l’Allemande, présidente du Club des cavaliers internationaux de dressage et surtout cavalière la plus titrée de l’histoire des Jeux. “Laissant de côté la question des trois ou quatre couples, il est essentiel que toutes les équipes soient capables de concourir à un niveau olympique. C'est surtout nécessaire en saut d’obstacles et concours complet, disciplines où le risque est élevé tant pour les chevaux que pour les cavaliers. Nous ne voulons pas avoir une mauvaise image du sport à cause de la pression pesant sur les épaules des cavaliers.”