“Je milite pour une redistribution des cartes afin que chacun ait sa chance”, Marie Pellegrin
À l’approche d’une pause hivernale méritée, Marie Pellegrin se tourne vers de nouveaux objectifs. Dans la seconde partie de cet entretien, réalisé quelques jours après l’assemblée générale de la Fédération équestre internationale (FEI), la cavalière de quarante-deux ans, membre du comité fédéral de la Fédération française d’équitation, exprime son vif mécontentement quant aux décisions relatives au format olympique, votées fin novembre à Anvers. À l’initiative du projet Kupp, qui devrait voir le jour en 2022, l’amazone semble motivée pour défendre, à sa manière, la filière équestre.
L’assemblée générale de la Fédération équestre internationale (FEI) s’est tenue il y a deux semaines à Anvers, en Belgique. L’avez-vous suivie?
Bien évidemment! Je me sens très concernée par ces débats. J’ai discuté avec Steve (Guerdat, qui s’est rendu à Anvers afin d’y porter la voix du Club des cavaliers, ndlr). J’étais très déçue (l’assemblée générale de la FEI a maintenu le principe des équipes de trois couples pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, ndlr), particulièrement pour lui, qui se donne tellement de mal alors qu’il est très occupé... De fait, je déplore un peu qu’il soit le seul cavalier de ce niveau – ou presque – à prendre la parole. Quand j’ai vu que le format en vigueur à Tokyo était maintenu, j’ai immédiatement réagi sur les réseaux sociaux en repostant un entretien que j’avais donné à GRANDPRIX l’an dernier, et qui est malheureusement plus que jamais d’actualité. Je trouve cette décision scandaleuse. Notre fédération (internationale, ndlr) va à contre-sens de la volonté de ses athlètes. C’est une aberration!
Tant que le vote d’une fédération nationale comme celle du Népal aura le même poids que celui de la France ou de l’Allemagne, on ne pourra pas faire évoluer notre sport dans le bon sens. Certains de ses pays reçoivent des fonds, issus notamment de nos contributions, à travers le programme de solidarité de la FEI. Naturellement, je n’ai aucun problème avec ce principe – au contraire – mais rien ne justifie que la voix d’une fédération comptant 10.000 licenciés pèse autant que celle d’une organisation en comptant 600.000! En démocratie, en général, une personne est égale à une voix...
La grande majorité des cavaliers de haut niveau s’insurge contre ces équipes de trois aux Jeux. Les JO ne concernent que très peu de cavaliers, mais impactent fortement l’image de notre sport vis-à-vis du grand public. Je comprends qu’il soit compliqué de satisfaire le plus grand nombre, qu’il faille rester ouvert à de nouvelles propositions et savoir vivre avec son temps, mais nous ne sommes pas assez entendus. Évidemment, il existe aussi des sujets nationaux et internationaux qui nous concernent tous et qui n’aboutissent pas...
Malgré tout, la mobilisation des cavaliers, propriétaires et grandes fédérations n’a pas été tout à vaine puisque seulement 70% des fédérations qui se sont exprimées ont voté pour, contre près de 90% lors l’assemblée générale de Tokyo il y a cinq ans. L’opposition gagne du terrain...
Oui, mais le format à trois couples par équipe a été confirmé, donc cela ne change rien. Les pays émergents ont voté pour, de même que le Portugal, l’Italie et l’Espagne, qui connaissent sûrement un peu plus de difficultés à aligner quatre couples de très haut niveau. Contre toute attente, alors que tous ses cavaliers militaient pour le retour du format à quatre, la Belgique fait aussi partie de la liste (Ingmar de Vos, président de la FEI, est belge et fut secrétaire général de sa fédération nationale, ce qui n’est pas anodin, ndlr). Que l’on compte plus d’opposants est une bonne chose, mais ce n’est pas suffisant. Que devons-nous faire: boycotter les concours? Pénaliser les organisateurs? Nous séchons tous face à ce problème...
“Les gens n’aiment pas se mouiller, et plus personne n’ose rien dire”
Malgré le maintien des équipes de trois, des aménagements semblent possibles concernant ces formats. Selon vous, que faudrait-il modifier?
Les critères de qualification des couples doivent être plus stricts. Conclure un Grand Prix CSI 4* avec moins de huit points n’est clairement pas suffisant pour accéder aux Jeux olympiques. Participer à des JO et finir avec un score énorme dès le premier jour n’a aucun intérêt pour le cheval et le cavalier, sans compter l’image que cela donnera de notre sport.
Cela rejoint un peu les débats autour du règlement des CSI, qui devrait être revu. Il n’est pas normal que les cavaliers les moins bien classés au classement mondial soient souvent les premiers à s’élancer dans les Grands Prix, et que les meilleurs partent à la fin (c’est le cas dans bon nombre de CSI 5*, dont ceux de la Coupe du monde, où l’ordre de départ comporte deux groupes, au sein desquels les couples sont placés par tirage au sort, ndlr). Ce système avantage les seconds, qui disposent de davantage de temps et de données pour analyser les difficultés des parcours. C’est également compliqué pour les chefs de piste, qui doivent fixer définitivement le temps imparti après les trois premiers parcours, souvent accomplis par des novices. Cela explique sûrement en partie le fait que nous nous retrouvions régulièrement avec trop de parcours sans faute! Aujourd’hui, on ne peut ni proposer des obstacles plus hauts et plus légers, ni des parcours plus difficiles techniquement, alors il faut se servir du temps. La vitesse est l’aristocratie du sport. De même, l’ordre de départ du barrage devrait dépendre du chronomètre réalisé au tour initial. En somme, je milite pour une redistribution des cartes afin que chacun ait sa chance. La vraie concurrence n’a jamais fait de mal à personne, et il nous faut accompagner davantage les cavaliers jeunes ou émergents, qui ont envie de progresser.
Quelles décisions aimeriez-vous voir aboutir?
Selon moi, il faudrait valoriser le classement mondial par couples en saut d’obstacles (tel que celui en vigueur en dressage; en jumping, il n’est édité qu’un fois par an, ndlr) et en tenir compte dans le système d’invitation en concours mis en place par la FEI. Le classement des cavaliers tel qu’il existe aujourd’hui n’est pas représentatif et donne l’image d’un vase clos. Notre sport repose sur la notion de couple. En 2010, quand il a été sacré champion du monde (à Lexington, avec Vigo d’Arsouilles, ndlr), Philippe Le Jeune figurait très loin au classement (soixante-quatorzième, ndlr), tout comme Jeroen Dubbeldam en 2014 (couronné avec Zenith, le Néerlandais était alors soixante-neuvième, ndlr). Gagner des épreuves comptant pour le classement mondial chaque week-end aux quatre coins du monde signifie quelque chose. Cependant, remporter des épreuves de vitesse avec plusieurs chevaux n’a pas la même valeur à mes yeux que finir sur le podium d’un Grand Prix CSI 5* quatre ou cinq fois de suite avec le même cheval! Et encore faut-il pouvoir participer aux meilleurs concours pour s’habituer à sauter des épreuves à 1,60m. Hélas, de nombreux cavaliers sont obligés de vendre leur cheval de tête car ils n’en ont qu’un et que l’accès à ces compétitions leur est très compliqué. Faire les choses bien demande du temps et de l’argent, mais la pression du résultat fait qu’on n’a pas tous le temps… À ce sujet, le Club des cavaliers internationaux de saut d’obstacles (IJRC) a son mot à dire, en tant que légataire du classement (il est régulé par un groupe de travail paritaire composé de trois élus du Club et trois représentants de la FEI, ndlr).
Comment expliquez-vous que si peu de cavaliers prennent la parole sur des sujets aussi cruciaux?
Les gens n’aiment pas se mouiller, et plus personne n’ose rien dire. Je me mets à la place de certains, qui craignent d’être pénalisés financièrement ou sportivement. Cependant, il faut prendre position et faire front, ou bien nous serons tous rattrapés un jour ou l’autre. J’ai le luxe de pouvoir me permettre de parler, mais je pourrai aussi décider de ne pas le faire parce que je prends des risques. J’ai une toute petite position dans le monde du cheval, mais j’essaie de l’optimiser parce que je le vis comme un devoir. J’ai eu la chance d’être élevée par des parents semi-professionnels. Mon père (François Pellegrin, qui a eu le bon goût de miser sur l’extraordinaire Galoubet A, ndlr) a toujours eu à cœur de faire bouger les lignes. Depuis plus de quinze ans, il écrit des lettres à la FEI afin de demander un classement mondial par couples. J’aime me battre pour mes convictions, pour les autres et pour mon sport. Je ne crains pas d’essayer, quitte à me prendre des portes.
“Notre sport est une aberration économique”
Qu’entreprenez-vous, à votre échelle, pour essayer d’améliorer le système?
Avec quelques personnes, nous travaillons sur un projet qui, je l’espère, contentera le plus grand nombre et qui va révolutionner le sponsoring du saut d’obstacles, car nous estimons que les gens qui travaillent dur et bien ne sont pas rémunérés à leur juste valeur. Le projet Kupp a pour objectif de recréer de l’enjeu sportif, de récompenser la performance et de valoriser le couple cavalier/cheval à tous les niveaux de compétition. Nous en présenterons le fonctionnement en janvier 2022. Cela permettra que les retombées financières de notre sport profitent à tous, et œuvrera également pour le bien-être animal. Pendant plusieurs mois, nous nous sommes creusé la tête en partant d’un constat simple: notre sport est une aberration économique. Notre secteur draine énormément d’argent, mais la plupart des professionnels peinent à boucler leurs fins de mois et les amateurs commencent à trouver tout cela très coûteux pour peu de retour sportif et financier. Nous nous sommes demandé comment les investissements pourraient profiter à tous. Je pense que nous avons trouvé une bonne solution, qui permettra de redistribuer les cartes. Ce projet devrait être dévoilé dans quelques semaines.
Une loi sur la maltraitance animale a été adoptée par le Parlement. Que pensez-vous des mesures adoptées, qui ne concernent pas spécifiquement le secteur équestre, notamment la mise en place d’un certificat d’engagement et de connaissances des besoins spécifiques de l’espèce pour toute personne qui souhaite avoir un animal, la fin progressive de l’exploitation des animaux sauvages dans les cirques et parcs d’attraction, ou encore le durcissement des peines encourues pour des faits de maltraitance?
Je suis globalement d’accord avec cette loi. Dans toutes les associations de défense des animaux, certains se font une fausse idée du bien-être animal. Cette notion est fondamentale à mes yeux, mais encore faut-il en avoir une bonne définition. Beaucoup de gens tombent dans l’anthropomorphisme. Concernant notre secteur, il faut protéger le bien-être des chevaux, mais aussi changer nos règlements, car ils sont obsolètes. Je ne suis pas pour une surenchère des interdictions, mais davantage pour sanctionner tout débordement. J’aime la phrase: “Il faut arrêter de tout interdire parce que je n’arrive pas à tout désobéir”. Il faut également rééduquer les commissaires au paddock, leur donner davantage de poids et les soutenir. Nombre d’entre eux craignent certains cavaliers et n'osent rien dire face à des comportements inadmissibles. Ce n’est pas normal! Le règlement doit être le même pour tout le monde, quels que soient le concours et le niveau.