Le cheval va-t-il devenir un parent pauvre de la Politique agricole commune?

Dans deux communiqués distincts, le Groupement hippique national et la Fédération nationale du Cheval d’une part, la Fédération nationale des conseils des chevaux, la Société hippique française ainsi que des organisations représentatives du monde des courses et du cheval de travail d’autre part, s’inquiètent quant à la classification des activités équines dans la Politique agricole commune de l’Union européenne, pour la période 2023-2027. Considérées comme “off farm”, elles ne pourraient plus, ou beaucoup moins, bénéficier d’aides aux investissements structurants. À l’occasion du Salon international de l’agriculture, ces corps intermédiaires appellent le Gouvernement à rétropédaler sur le sujet.



“Les chevaux seront-ils toujours présents au Salon international de l’agriculture en 2023?”, s’interrogent le Groupement hippique national (GHN), la Fédération nationale du Cheval (FNC) et les Jeunes agriculteurs (JA), trois syndicats associés à la puissante Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), alors que l’édition 2022 de cet immense rendez-vous bat son plein au Parc des expositions de la Porte de Versailles, à Paris. Au-delà du ton volontairement provocateur, cette question met en lumière les inquiétudes de la filière équine vis-à-vis de la prochaine mouture du Plan stratégique national (PSN) de la Politique agricole commune (PAC) de l’Union Européenne (UE), qui entrera en vigueur le 1er janvier 2023 pour une période de quatre ans. Dans une version présentée le 22 décembre 2021 et proposée par la France à la Commission européenne, la filière équine est considérée comme “off farm” – l’Académie française appréciera… Concrètement, cela signifie que les activités liées au cheval relèveraient d’une agriculture hors sol ou de seconde zone, au même titre que la transformation et la commercialisation des produits agricoles ou encore l’exploitation forestière. 

Au-delà de ce déclassement tout sauf anodin, issu d’une distinction opérée pour la première fois par la ministère de l’Agriculture, il est question de gros sous. En clair, les crédits européens alloués à l’aide aux investissements structurants seront beaucoup plus réduits pour les activités “off farm” que celles dites “on farm”. “Par le soutien au développement, à la modernisation et à la diversification des entreprises exploitant ou valorisant les productions agricoles, cette intervention contribuera au renforcement de la compétitivité coût de l’aval, y compris dans l’incitation aux changements de pratiques et à l’innovation visant à l’amélioration des conditions de travail, et par la réduction des coûts de production”, précisent les auteurs du PSN, ajoutant plus tard: Pour la filière équine, il est proposé de regrouper l’ensemble des projets dans cette intervention, quel que soit leur objet, dans une logique de simplification de mise en œuvre. En effet les projets relevant de cette filière peuvent s’avérer très divers (élevage, entraînement, enseignement de l’équitation, etc.).”

Face à cela, la FNSEA affiche son incompréhension. “Nos organisations n’ont eu de cesse, depuis la loi sur le développement des territoires ruraux de 2005, d’accompagner la professionnalisation des acteurs de la filière et de promouvoir leur intégration dans le milieu agricole. L’élevage d’équidés a de tout temps été reconnu par l’UE comme une activité agricole à part entière. Comme tous les élevages et autres activités équestres, il participe pleinement à conserver la biodiversité, à stocker le carbone, ou encore à façonner les paysages en utilisant de nombreuses prairies naturelles et autres ‘infrastructures agro-écologiques’, à savoir les haies, les arbres, les zones humides ou encore l’agroforesterie. Autant d’atouts à priori, pour bénéficier de la future PAC.”



“Nous demandons l’ouverture effective du soutien ‘off farm’ à la filière équine dans toutes les régions”

Pour autant, pas question pour le syndicat majoritaire chez les agriculteurs français de tout jeter à la poubelle.“Encore fallait-il, après le traumatisme vécu en mai 2015 par de nombreux agriculteurs de la filière équine, rétablir les éleveurs professionnels du cheval dans leurs droits comme tous les autres agriculteurs. C’est désormais chose faite, puisque toutes les activités équines, y compris les activités de préparation et d’entraînement d’équidés en vue de leur exploitation, sont prises en compte dans le PSN. La profession s’en félicite mais reste particulièrement vigilante sur la définition précise de l’agriculteur actif. Apprendre fin décembre que, dans le PSN, ‘les projets de la filière équine, y compris les projets d’élevage et quel que soit le bénéficiaire, relèveront des fiches intervention Off farm’ n’a donc politiquement aucun sens et inquiète la filière sur les perspectives pour 2028, notamment pour les jeunes agriculteurs. Aussi, vu l’importance de la filière cheval en France, nos organisations défendent auprès de Régions de France et du ministère de l’Agriculture le maintien de l’éligibilité des projets de la filière équine au dispositif 73.01 ‘On farm’ dans le cadre du deuxième pilier de la PAC, et que soient prévues des lignes budgétaires suffisantes sur le dispositif 78.03 ‘Off farm’ pour les activités qui ne sont toujours pas considérées au niveau européen comme agricoles.”

Par ailleurs, l’attribution de ces crédits seront soumis au bon vouloir des régions. Et en dehors de la Normandie, terre d’excellence du cheval dans toutes ses cultures et expressions, une majorité de conseils régionaux semblent peu enclins à flécher des fonds de la maigre enveloppe “off farm” vers les activités équines, jugées moins prioritaires à leurs yeux que l’exploitation des forêts et la valorisation des productions agroalimentaires, par exemple. “Les exploitations équines, y compris lorsqu’elles n’ont pas d’atelier d’élevage, sont des entreprises rurales, créatrices d’emploi, qui maillent notre territoire. Elles ont besoin d’un soutien aux investissements afin de valoriser le produit agricole ‘cheval’ et générer de la valeur ajoutée, tout en assurant le respect d’exigences élevées concernant le bien-être animal, la biosécurité et l’environnement. A ce jour, la fiche d’intervention ‘73.03 soutien aux entreprises off farm’ prévoit explicitement l’ouverture à la filière équine. Toutefois, la décision d’ouvrir réellement ce dispositif à la filière équine en région et de prévoir son calibrage dans les maquettes financières relève évidemment du conseil régional. C’est pourquoi nous demandons l’ouverture effective du soutien ‘off farm’ à la filière équine dans toutes les régions”, arguent de concert la Fédération nationale des conseils des chevaux, la Société hippique française, la Société française des équidés de travail, le Syndicat des entraîneurs, drivers et jockeys de trot, l’association des entraîneurs de galop et le syndicat agricole Coordination rurale.

À en croire la FNSEA, rien n’est encore perdu. “Pour voir encore de nombreux chevaux au Salon de l’Agriculture en 2023, nous nous mobilisons au quotidien à l’occasion de l’édition 2022, afin de nous assurer que tous les agriculteurs professionnels du cheval puissent bénéficier d’aides de la PAC pour relever les défis économiques, sociaux, environnementaux et climatiques d’aujourd’hui et de demain. Les premiers rendez-vous avec Régions de France et le ministère de l’Agriculture vont dans le bon sens, mais la vigilance de la profession est à la hauteur des enjeux à relever, notamment en termes de renouvellement des générations.”

La proposition portée par la France doit faire l’objet d’échanges entre les autorités françaises et la Commission européenne dans le courant de l’année 2022, afin de permettre l’adoption formelle du PSN, et sa mise en œuvre en France à partir du 1er janvier 2023.