“Si l’on m’avait dit que je terminerais première et deuxième du CCI 3*-L de Kronenberg, je n’y aurais pas cru”, Charlotte Bordas

Pour son premier concours complet de niveau CCI 3*-L, Charlotte Bordas a réalisé une remarquable performance, remportant l’épreuve avec As Boy de Kappa et terminant deuxième avec Firewall des Aucels à Kronenberg. Les Pays-Bas ont particulièrement souri aux Français, présents aux quatre premières places de l’épreuve, Ugo Provasi ayant complété le trio de tête et Mathis Portejoie terminant au pied du podium. La Jeune Cavalière de dix-huit ans est revenue sur sa performance en se confiant à Anne-Sophie Azzos, de l’Institut français du cheval et de l’équitation.  



Aujourd’hui, quel bilan tirez-vous depuis votre arrivée au Pôle France en 2020 ?

J’ai eu un parcours avec des hauts et des bas. J’ai intégré le Pôle avec Firewall des Aucels (Z, Florian de la Vie*Bazooka x Totoche du Banney) que je ne connaissais pas beaucoup, ne le montant alors que depuis six mois. Ensuite, nous avons acheté As Boy de Kappa (SF, Tinka's Boy x Rosire). Comme je repartais un peu de zéro, le début n’a pas été facile. En parallèle, j’ai intégré un nouveau lycée privé, ce qui a été très compliqué au début, compte tenu du niveau d’exigence. Je rentrais monter à cheval le midi. Le rythme n’était pas facile. Heureusement, mon père m’a aidée. Il m’a accompagnée la première année. Mon niveau à cheval était juste pour rentrer au Pôle. Je ne connaissais pas mes chevaux, donc il a fallu du travail et du temps. L’hiver a bien porté ses fruits. J’ai néanmoins eu un début de saison 2021 compliqué, surtout à l’International de Saumur (CCI 2*-L, en avril 2021, ndlr) où j’ai vécu une descente aux enfers (la jeune cavalière a été éliminée avec Firewall des Aucels et a terminé soixante-quinzième avec As boy de Kappa, ndlr). Après, il a fallu rebondir. J’ai demandé de l’aide à Anne Le Coniat (préparatrice mentale à l’IFCE, ndlr) et Bertand Guérineau (psychologue du sport, ndlr) qui m’ont beaucoup apporté. Je ne pourrai jamais assez les remercier. En quelques semaines, ils ont réussi à me faire rebondir et à me changer. Trois semaines plus tard, je me suis classée deuxième et troisième de l’épreuve As Jeunes Élite au Lion d’Angers ! En bref, l’arrivée au Pôle a réellement bouleversé mon mode de vie, entraînant des répercussions sur mon début de saison. Mais j’ai su bien m’entourer, me remettre en question, continuer à travailler, et les résultats sont arrivés au fur et à mesure.

Depuis l’an dernier, sentez-vous une réelle progression pour vous et vos chevaux ? 

Lorsque je suis arrivée au Pôle, je n’étais pas toujours au rendez-vous. L’an dernier, nous avons essayé de tout remettre à flot. Maintenant, nous travaillons sur des ajustements, sur les barres et en dressage. J’ai complètement changé et mes chevaux aussi. Désormais, je suis à 100% avec mes chevaux. Philippe Mull (écuyer du Cadre noir, entraîneur des Jeunes Cavaliers du Pôle, ndlr) a su s’adapter à mes chevaux et moi. Si l’on m’avait dit qu’un an après mon arrivée j’allais terminer première et deuxième du CCI 3*-L de Kronenberg, je n’y aurais pas cru. En un an, mon équitation a beaucoup évolué.

 



“À ce niveau, au-delà de la technique, sans mental, on n’y arrive pas”

Charlotte Bordas

Charlotte Bordas

© B. Lemaire/IFCE

Comment coordonnez-vous votre travail avec votre entraîneur, Philippe Mull, et Michel Asseray, directeur technique national adjoint au concours complet ?

Philippe observe tous les jours les chevaux, sur le plat et à l’obstacle. Il nous regarde galoper et nous entraîne également sur le cross. Il a un très bon œil et connaît parfaitement nos chevaux, même sur le dressage. Il arrive à nous aiguiller, tout en nous laissant une certaine liberté puisque chaque cheval a besoin d’un entraînement différent. Il ajuste en fonction de ce que nous lui proposons. Avant les échéances, nous déroulons les reprises plusieurs fois s’il le faut et il nous entraîne en cours collectifs et particuliers. Le reste du temps, nous nous entraînons par groupe de six, ce qui n’est pas toujours facile pour travailler en profondeur. Sur les barres, nous enchaînons pas mal de parcours. Nous en avons besoin puisque nous ne sommes pas sans faute tous les week-end ! Enfin, nous faisons faire pas mal de gymnastique à nos chevaux, surtout lorsque nous enchaînons les concours. Tout est planifié chaque début de semaine, où nous avons une réunion avec Philippe pour établir le programme de la semaine, et faire le point sur les concours. Au fur et à mesure des compétitions, le planning peut changer si les objectifs ne sont pas atteints. Il nous donne également les temps de galop du vendredi. Nous n’avançons jamais dans l’inconnu, rien n’est laissé au hasard avec Philippe ! Quant à Michel, il vient nous voir de temps en temps et nous filme pour que nous puissions nous observer. 

Quelle place accordez-vous à la préparation physique ?

Tous les matins, nous faisons avec Philippe des étirements, du gainage et de la proprioception. Nous avons abordé ce thème avec Alexis Moreau, podologue et posturologue qui intervient auprès de nous. Je pense que cela a changé pas mal de choses. Rien que sur notre équilibre à cheval, cela nous a été très bénéfique. Outre nos séances matinales, nous travaillons deux à trois fois par semaine avec Bamdad Memarian qui entraîne la voltige, où les séances sont très physiques !

Quid de la préparation mentale ? Avez-vous senti un bénéfice dans votre pratique au quotidien comme en compétition ?

Dans ce domaine, je travaille avec Anne Le Coniat et Bertrand Guérineau, en qui j’ai entièrement confiance. Dès que j’en ai besoin, je prends rendez-vous. Nous avons tout remis à plat. Ils m’ont aidée à mieux recentrer mes objectifs, à mieux gérer la pression, et à me sortir de situations de stress en me remettant dans un mode de compétition sans me bloquer ou me tétaniser. La préparation mentale m’a complètement sauvée. Sans cette dernière, je me serais complètement effondrée sur le test du saut d’obstacles à Kronenberg, compte tenu de la pression qu’il faut savoir gérer. La préparation mentale est un pilier. À ce niveau de compétition, au-delà de la technique, si l’on n’a pas le mental, cela nous bloque forcément.



“Désormais, je vise les championnats d’Europe”

Est-ce bénéfique pour vous d’être entourée de professionnels ? Avez-vous régulièrement des échanges avec d’autres cavaliers et écuyers?

Oui. Nous échangeons beaucoup avec Arnaud Boiteau (cavalier international de concours complet et écuyer au Cadre noir de Saumur, ndlr), avec qui je m’entends très bien. Parfois, nous partons en trotting ensemble. J’ai également pu échanger avec Thibaut (Vallette, ndlr) sur ses expériences, notamment à Rio en 2016 (médaillé d’or olympique par équipes, ndlr), et sur la vie en équipe de France. Pendant les stages d’hiver du Pôle Senior, je suis allée voir les cavaliers sauter avec Patrice Delaveau (intervenant en saut d’obstacles auprès de l’équipe de France de concours complet, ndlr). J’ai aussi pas mal travaillé avec Philippe Limousin. Le voir avec les chevaux des cavaliers du Groupe 1 nous permet d’observer les ajustements et les changements qu’il propose avec son binôme Jean-Pierre Blanco. Je trouve cela très intéressant. Ces moments nous permettent de discuter avec les cavaliers. Je suis également assez proche de Thomas Carlile. Les écuyers et cavaliers ont l’expérience et le recul que nous n’avons pas, ce qui est très important pour nous. Ils nous permettent de nous faire redescendre de notre petit nuage de jeunes cavaliers. 

Comment conciliez-vous votre entraînement et vos études?

Je suis à distance une licence de droit à Grenoble. Ce n’est pas facile : nous montons le matin et faisons nos boxes très tôt. Ensuite, je rentre manger je me mets à travailler avant de retourner m’occuper des chevaux et de refaire du sport le soir. Je peux réellement étudier à partir de 20h. Mes premiers partiels se sont plutôt bien passés et j’ai validé mon premier semestre, mais il faut avoir le mental pour allier les deux.

Il est aussi compliqué de voir les autres cavaliers se tourner vers le cheval. C’est ce que je voudrais faire, mais quand on voit la situation de certains cavaliers, cela ne donne pas envie de mener la même vie. J’ai donc décidé de faire des études pour avoir une porte de sortie. Certes, les études de droit sont dures et longues puisque j’ai choisi la magistrature, mais pour l’instant cela me plaît et je m’accroche. C’est beaucoup de travail mais j’espère que cela paiera.

Quel sont vos objectifs, à plus ou moins long terme?

Je ne visais pas les championnats d’Europe en début de saison car je n’étais pas qualifiée et que je trouvais cela présomptueux d’imaginer un championnat d’Europe sans qualification. Maintenant, mes deux chevaux sont qualifiés. Ils ont obtenu de très bons résultats en fin d’année dernière et ont réalisé un excellent concours à Kronenberg. Cela devient donc un peu mon objectif, mais je ne mets pas de pression. Il reste encore deux concours. Il va encore falloir montrer de quoi nous sommes capables. Les chevaux doivent rester en forme, et moi aussi. Comptant trois années en Jeunes Cavaliers, cela me permet de viser les championnats d’Europe pendant quelque temps. À plus long terme et si tout va bien, je pourrai viser les championnats du monde U25, puis rester sur le circuit Senior.

Pouvez-vous d’ores et déjà compter sur d’autres chevaux dans votre piquet pour prendre la relève?

Ma première force, ce sont mes actuels chevaux, qui sont tous deux très bons. Ils ont à peu près le même niveau, même si je pense que Fire a davantage de capacités que As. Pour autant, aujourd’hui As a parfaitement rempli son contrat puisque c’est lui qui a gagné à Kronenberg. Ma seconde force réside dans ma relève. Mon père a acheté plusieurs poulains qui arrivent à un bon âge. Je pourrai notamment compter sur une jument de six ans et une autre de sept ans, ainsi qu’un étalon et d’autres poulains avec de très bonnes origines. Seront-ils aussi bons que mes deux chevaux actuels? L’avenir nous le dira!