La longue histoire d’amour de la mode et du cheval
De tous temps, la pratique de l’équitation s’est vue auréolée de codes vestimentaires stricts. Aujourd’hui, alors que ces derniers se sont considérablement assouplis, un nouveau terme s’est paradoxalement imposé dans le milieu: la “mode cheval”. Car de même qu’un cheval brillant, à la crinière impeccable et au matériel assorti, la tenue d’un cavalier se doit, en plus d’être adaptée à sa pratique, de répondre à une règle: le style! Bottes, pantalon, pull, blouson, casque, ceinture, chaussettes, tenue de concours... Tour d’horizon d’une tendance forte, en piste comme à la ville!
Du pantalon au casque en passant par les bottes, la veste, le polo ou la chemise, tout est désormais étudié pour que les cavaliers puissent optimiser leur pratique de l’équitation. Mais si monter à cheval dans de bonnes conditions sportives est une chose, cela ne se fait pas au détriment de l’esthétique, et la “mode cheval” a clairement le vent en poupe. La preuve avec le sondage sur ce sujet que GRANDPRIX a proposé en ligne, en partenariat avec l’agence de marketing et de stratégie Horse Development, afin de constater des habitudes vestimentaires des équitants. Le sujet a clairement la cote, puisque pas moins de 893 lecteurs ont répondu à ce questionnaire ! Parmi eux, on comptabilise 85,1% de femmes, toutes générations confondues. Sans tomber dans des stéréotypes de genre, et en rappelant que cela s’explique avant tout par une construction sociale extrêmement ancienne, la mode, l’esthétique et la coquetterie demeurent encore aujourd’hui majoritairement féminines, même si les hommes se sont au fil du temps de plus en plus préoccupés de leur apparence – de nos jours, des marques de beauté pointues et élaborées leur sont même dédiées, au-delà du matériel de rasage, du gel pour les cheveux et du parfum, ce qui était impensable voici encore quelques décennies. Le monde équestre n’échappe pas à cette règle, et le principe de ce que l’on appelle la “mode cheval” est d’arborer des tenues alliant confort, sécurité, technicité et style! De fait, actualiser régulièrement sa garde-robe équestre semble important pour la majorité des sondés: 19,1% d’entre eux font du shopping au moins une fois par mois, 27% tous les trois mois et 21,2% tous les six mois. Sans oublier les 4,9% d’accros qui enrichissent leur garde-robe dédiée à l’équitation toutes les semaines ou tous les quinze jours.
Si la tendance “mode cheval” est forte actuellement, l’esthétique liée à cet univers a toujours revêtu une grande importance, avec des codes bien définis. De plus, au-delà des tenues pour pratiquer l’équitation, les codes de la pratique ont même investi le monde de la mode, et les podiums n’hésitent pas à s’en inspirer.
Si l’on remonte le fil de l’histoire...
Historiquement, dans l’Antiquité et jusqu’au Moyen-Âge, à une époque lointaine où les peuples étaient essentiellement nomades, le cheval était un outil de travail, utilisé pour la chasse, les cultures et le transport. Les cavaliers montaient alors essentiellement en tenue du quotidien. À noter tout de même qu’une tenue d’équitation se dessine avec les chevaliers médiévaux, qui arboraient le heaume, le haubert, l’armure plate, le bouclier, l’épée et les éperons – le cheval était, lui, attifé d’une barde et d’un chanfrein.
Le raffinement et la recherche esthétique apparaissent dans le monde équin à partir du XVIe siècle : la “mode cheval” prend bel et bien ses racines dans l’histoire! À cette époque, la pratique de l’équitation est un loisir exclusivement réservé aux nantis, dont les couturiers personnels rivalisent de créativité pour leur permettre d’arborer des tenues magnifiques et souvent extravagantes. En effet, les femmes de la haute société adoptent la monte en amazone, c’est-à-dire avec une position assise de côté, tournant l’épaule au côté droit de leur cheval. La raison? Entre autres, l’importance accordée à la virginité avant le mariage, la médecine de l’époque considérant que la monte à califourchon pouvait entraîner un déchirement de l’hymen. À noter que le terme amazone est ironique: il désigne initialement les femmes guerrières d’Afrique du Nord, qui se brûlaient un sein afin de mieux tirer à l’arc. Côté tenue, cela donne une jupe longue (assez pour couvrir les pieds) et ample qui se répandait tout autour de l’animal, fabriquée dans un tissu suffisamment lourd pour qu’elle ne se relève pas aux allures vives. C’est d’ailleurs cette tenue, rehaussée d’une veste ajustée, d’un chemisier, d’un jabot, de gants et d’un chapeau, qui aurait inspiré la création du fameux ensemble tailleur, dont on attribue l’invention officielle à Christian Dior à la fin des années 1940. Jusqu’au tournant des premières décennies du XXe siècle, la monte en amazone a été le prétexte pour les femmes d’exhiber des tenues plus luxueuses les unes que les autres.
Du côté des hommes, ils montent en habit: un justaucorps, des culottes courtes, une veste de brocart ajustée à la taille puis évasée afin de permettre le port de l’épée, une chemise rehaussée de galons aux poignets et d’un jabot blanc, des bas. Cet habit évoluera sous l’influence des Britanniques. En effet, au XIXe siècle, la jeunesse est fascinée par tout ce qui vient d’outre-Manche. À Paris, les philosophes anglais jouissent d’une belle réputation. Mais c’est surtout la passion des Anglais pour le cheval qui, contagieuse, va influencer la mode masculine. Leurs tenues à cheval sont plus adaptées et plus légères que les lourds habits portés par les Français, avec notamment beaucoup de soie au détriment de la lourde laine. Peu à peu, l’aristocratie et la bourgeoisie françaises vont ainsi modifier leurs habitudes vestimentaires.
On peut évoquer aussi la tenue historique des cowboys de l’Ouest américain: chemise, foulard, large chapeau, pantalon évasé type Wrangler en toile épaisse et ranger boots, sans oublier les grands éperons à molette! On ne peut pas vraiment affirmer qu’à l’époque, ceux-ci revendiquaient une allure particulière, ces vêtements étant surtout pratiques, mais ils ont assurément marqué l’histoire et signé leur identité avec. Nombre de tenues streetwear contemporaines s’en sont d’ailleurs inspirées, à commencer par le denim, basique incontournable actuel, qui a même fait dire à Yves Saint-Laurent: “Je n’ai qu’un regret, c’est ne pas avoir inventé le jean.”
Le tournant du XXe siècle marque une évolution: le pantalon pour tous! Pour autant, en remontant le temps, on trouve bien quelques dissidentes... En tête, citons Calamity Jane, mythique “cow girl” qui a participé à la conquête de l’Ouest américain à la fin du XIXe siècle, n’œuvrant clairement pas en tenue d’amazone! Mais plus généralement, ce n’est qu’en 1930, à la faveur des luttes féministes et de l’évolution des mœurs, qu’une loi est promulguée en France, autorisant les femmes à porter le pantalon pour monter à cheval ou circuler à vélo.
Toutefois, en pratique, les choses mettent du temps à véritablement évoluer. Ainsi, il faudra attendre 1956 pour qu’une femme se démarque véritablement à califourchon: il s’agit de Pat Smythe, une Britannique qui a remporté le bronze par équipes en saut d’obstacles aux Jeux olympiques d’été de 1956. À la faveur de l’expansion de l’équitation de loisir au cours des décennies suivantes, la mainmise féminine sur la discipline grandit, et à l’aube des années 2000, les femmes représentent 70 à 80% des pratiquants d’équitation en France.
Côté tenue, elles ont commencé par troquer leurs encombrants froufrous d’amazone contre le pantalon jodhpurs: taille haute, élargi sur le côté extérieur des cuisses et resserré à partir du genou jusqu’à la cheville. Il s’appelle ainsi car on doit son existence au maharadjah de Jodhpur qui, à la fin du XIXe siècle, avait demandé à son tailleur d’améliorer le breeches, pantalon traditionnel peu pratique: ce que ce dernier fit en ajoutant un empiècement de l’entrejambe jusqu’aux genoux. Le jodhpurs est fameux car il est devenu le pantalon emblématique des joueurs de polo. Eux aussi ont ancré dans leur ADN une certaine idée du style – on pense notamment au célèbre logo de la marque américaine Ralph Lauren –, sans parler du gratin qui gravite autour: qui dit match de polo dit réunion mondaine “chic et choc” au sein de laquelle les spectateurs rivalisent d’élégance. Qui n’a pas en tête les photos issues de la presse people de la famille royale d’Angleterre, ou la scène d’anthologie du film “Pretty Woman” avec Richard Gere et Julia Roberts?
À l’aube des années 1960, l’évolution technique en marche
Avec les années 1960 apparaissent dans l’industrie du textile les fibres synthétiques. Si celles-ci révolutionnent la mode, elles bouleversent aussi le sport en apportant un confort inégalé avec un cahier des charges qui respectent de plus en plus rigoureusement les postulats suivants: maintien, liberté de mouvement (tissus souples et légers, minimum de coutures pour limiter les points de friction), régulation thermique, protection contre les éléments et praticité (sur les pantalons d’équitation, par exemple, les patchs grip transparents au niveau des genoux servent une meilleure stabilité en selle, et les empiècements en Lycra au niveau de la cheville permettent un enfilage facile et rapide). Confort et liberté de mouvement sont les maîtres-mots. D’ailleurs, 86,7% des sondés déclarent privilégier la qualité et la matière lorsqu’ils achètent du matériel. Mais attention: l’équitation demeure un sport dangereux, et la notion de sécurité revêt une grande importance.
La sécurité avant tout
De même qu’en voiture, moto ou vélo, la sécurité prime à cheval. Ainsi, les casques et les gilets ont fait l’objet de recherches approfondies afin d’apporter un maximum de sécurité aux cavaliers en cas de choc ou de chute. Si les seconds n’ont pas constitué la norme pendant longtemps, ils sont désormais légion, et de plus en plus d’équitants les arborent au quotidien de façon spontanée. Fortes de ce constat, les marques ont développé des vestes de concours à airbag intégré.
Mais confort et sécurité n’excluent pas l’esthétique! Partant de considérations techniques propres à l’équitation, les marques consacrent de plus en plus de temps, d’énergie et de recherches à la conception de tenues d’équitation, qui respectent un strict cahier des charges sans déroger au style. Tenue d’équitation rime ainsi clairement avec sophistication, chiffres à l’appui: 63,6% des sondés accordent une importance majeure à la forme et la coupe des vêtements qu’ils achètent. D’ailleurs, si l’achat en ligne s’est grandement développé, 28,3% ont à cœur d’essayer avant d’acheter. Ainsi, même si 31,4% achètent en ligne (sellerie, site multi-marques ou d’une marque spécifique), dont 3,8% adeptes de la seconde main, les traditionnels selleries, magasins spécialisés, grandes enseignes dédiées au sport et stands dans les événements conservent leur préférence. En effet, 63,1% des sondés s’y rendent pour effectuer leurs achats en toute tranquillité et en prenant le temps d’essayer et de se faire conseiller. 40,3% sont tout particulièrement attentifs à la couleur (la clé du style reste une palette de nuances harmonieuses), et 27,8% considèrent que la marque qu’ils choisissent constitue un gage de qualité et d’allure, préférant se tourner vers des marques renommées et pointues. Pour aller plus loin, 60,9% d’entre eux affirment accorder une certaine importance à leur style à cheval, et 21,6% une importance majeure. Les pantalons se voient par exemple décorés de strass et broderies, les chemises, polos et vestes de compétition proposés dans des coupes d’une rare élégance, directement inspirées du tayloring traditionnel, et les casques sont étudiés pour être aussi seyants que des chapeaux de mode, avec des jeux de matières, de couleurs et de forme. Et ce n’est pas tout: les équipes de R&D consacrent autant d’attention aux garanties de sécurité qu’à la discrétion dans l’élaboration des gilets de protection et airbags afin de garantir l’harmonie de la silhouette. Ce souci esthétique s’étend au matériel du cheval: selles personnalisées (liserés colorés pour les coutures, plaque gravée, logo “arty”...), étriers dont on peut choisir la couleur, tapis “couture”... Nombreux sont ceux qui mettent le prix pour avoir du style: la moitié des sondés dépense sans hésiter entre 200 et 699 euros chaque année pour s’équiper à cheval, tandis que 7,5% dépassent même la barre des 1000 euros annuels.
Ceci est d’autant plus vrai pour les compétiteurs: les règlements des compétitions de saut d’obstacles ou de dressage exigent une tenue particulière, les fédérations équestres expliquant qu’il s’agit d’une marque de respect envers les jurés et les autres compétiteurs. En hunter, discipline qui mêle saut d’obstacles et style, la note finale comprend d’ailleurs des points exclusivement dédiés à l’apparence physique du couple cavalier-cheval, indépendamment du résultat.
À cheval, en ville... et sur les podiums!
Depuis plusieurs décennies, le sportswear et le workwear sont devenus ultra-tendance. Les marques techniques, quels que soient le sport ou la pratique, sont descendues dans la rue avec fracas. Hoodie, baskets, parka, legging, blouson aviateur, combinaison de travail, marinière... On se démarque en adoptant telle griffe ou tel modèle, dont certains s’arrachent à prix d’or. L’équitation ne déroge pas à la règle. Ceci est vrai notamment pour les pantalons, surtout du côté des cavalières, qui n’ont rien à envier aux modèles de ville proposés dans les boutiques de mode. Idem pour les bottes, ultra chics et coutures, communément portées avec une jupe ou un pantalon slim.
D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que nombre de marques de luxe proviennent de l’univers du cheval, ou s’en inspirent. Citons Hermès, maison cavalière par excellence – elle a d’ailleurs conservé son logo originel, qui représente un duc et son attelage –, qui, à partir d’articles haut de gamme, a décliné un empire du luxe avec des collections de prêt-à-porter, décoration, bijoux, maroquinerie, horlogerie et papeterie. N’oublions pas que si le Kelly ou le Birkin, pour ne citer qu’eux, sont aujourd’hui les it bags les plus prisés – il y a plusieurs années de liste d’attente pour s’en offrir un –, le premier sac créé par la maison servait historiquement à transporter des selles! Aujourd’hui encore, Hermès continue d’accorder une grande part de son activité au matériel d’équitation en s’offrant des partenariats avec les cavaliers les plus titrés de la planète, et les services de grands couturiers pour ses lignes de vêtements dédiés, notamment Jean-Paul Gaultier. De son côté, Yves Saint-Laurent s’est sublimement approprié en son temps le traditionnel jodhpurs, et a su l’immortaliser sur les catwalks, rehaussé de sa fameuse saharienne. Également de grands noms du luxe, comme Rolex, Longines ou Gucci, ont misé sur l’univers du cheval pour faire briller leur image, en parrainant notamment des compétitions de haut niveau. Il n’est donc pas étonnant de voir des amazones dans les défilés Dior de John Galliano, ou de voir Clémence Faivre débarquer à cheval au défilé Franck Sorbier. Cette année, la princesse Charlotte de Monaco a ouvert le défilé haute couture du printemps de Chanel, qui s’est tenu au Grand Palais Éphémère, non loin de l’École militaire, perchée sur sa monture, dans un décor très évocateur de l’univers du jumping: le très branché directeur artistique Xavier Veilhan avait imaginé un grand manège doté d’une piste courbe recouverte de sable. Sans oublier le célèbre sac Saddle de Dior, dont les lignes s’inspirent clairement d’une selle.
Cela s’étend également aux accessoires, le motif du cheval étant plus que jamais prisé comme en témoignent les nombreux imprimés équestres sur les fameux foulards en soie Hermès, les bijoux en forme de fer à cheval d’Alexander McQueen et Pomellato, les bracelets en crin de cheval, les fameuses boots Ralph Lauren, les iconiques mocassins Gucci avec leur boucle en forme de mors, les gants Saumur des cavaliers de dressage, qui font partie des modèles les plus prisés en hiver en prêt-à-porter... Pour l’anecdote, la “queue de cheval” est également l’une des coiffures les plus populaires. Cheval rime définitivement avec style, et les marques ne s’y sont pas trompées: si 70% des sondés achètent leurs tenues dans des selleries et magasins spécialisés, 53,9% avouent être influencés dans leurs achats par les réseaux sociaux, qui ont accru leur pouvoir d’influence ces dernières années. Ainsi, à travers Youtube, Instagram et Facebook, les marques dédiées à l’équitation mettent le paquet sur l’assise et la diffusion de leur image à travers des campagnes de marketing ciblées, des petits films léchés qui n’ont rien à envier aux publicités de l’univers du luxe, et des partenariats avec des influenceurs ultra-glamours et/ou sportifs de haut niveau. La passion du cheval, oui, mais avec l’art et la manière!
Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX n°135.