Le vignoble saumurois au rythme des sabots avec Equivini

Depuis 2014, la randonnée équestre Equivini met en valeur le territoire saumurois, ses vins, ses panoramas et son patrimoine, à travers trois jours de randonnée. L’an passé, ce ne sont pas moins de vingt-trois attelages et meneurs, ainsi que cinquante cavaliers, qui ont été conquis par l’aventure traditionnellement proposée en septembre. Embarquez à la découverte d’un terroir prestigieux et bucolique, dont les paysages sont inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO.



Uranus et Actyon dans la cour de la mairie de Saumur.

Uranus et Actyon dans la cour de la mairie de Saumur.

© Sophie Loos

Vingt-huit millions de bouteilles, trois cent cinquante producteurs, un vignoble de quatre mille hectares, sept appellations d’origine contrôlée (AOC) reparties sur trois départements (Maine-et- Loire, Deux-Sèvres et Vienne) et deux régions... Le terroir saumurois est riche, tant pour ses vins, ses paysages, son histoire que son offre culturelle. Pour les passionnés, sa découverte est possible à cheval, et plus précisément en attelage, grâce à Equivini, traditionnellement organisé sur trois jours en septembre. Ce rendez-vous, créé en 2014 et orchestré par le Syndicat des Vins de Saumur, le comité régional de tourisme équestre et le comité régional d’équitation des Pays-de-la-Loire ainsi que les écuries de Saint-Nicolas, s’inscrit dans la programmation estivale de Festivini, festival de la culture du vin en pays saumurois. “Le cheval à Saumur est une évidence, tout comme l’association de nos vins avec ce monde équestre”, débute Guillaume Roussy, président du Syndicat des Vins de Saumur et heureux de pouvoir proposer une randonnée qui séduit davantage chaque année. Le cheval a une symbolique forte, c’est un lien entre l’être humain et la nature. De son côté, l’attelage est une activité conviviale. Equivini permet un maillage du territoire en proposant de nombreux circuits différents et riches.” À chaque édition, le souhait des organisateurs est de mettre en valeur une appellation vinicole différente, ainsi que son territoire."



Sur les traces d’Equivini

Au domaine de Rocheville, le chai est moderne.

Au domaine de Rocheville, le chai est moderne.

© Sophie Loos

Par un matin alternant entre éclaircies et quelques gouttes de pluie, Marc Cluzel, fondateur des écuries de Saint-Nicolas, situées dans les Deux-Sèvres, et randonneur équestre depuis plus de trente-cinq ans, nous sert de guide pour découvrir une boucle proposée aux participants d’Equivini en 2019. Il est accompagné de deux beaux Cobs Normands, Actyon, onze ans pour 1,71m, et Uranus, treize ans et 1,69m, à ses côtés depuis leurs quatre ans. L’attelage a d’ailleurs accompagné quelques chanceux peu de temps avant, à l’occasion de la huitième édition d’Equivini. “Il est possible pour des non-équitants, ou des équitants n’ayant pas de chevaux d’attelage, de m’accompagner. Actyon est l’une des vedettes de Saumur; tout le monde le connaît car il a tourné dans un film et effectué le ramassage des ordures. Il y a un vrai attachement”, précise celui qui est prestataire pour la sous-préfecture du Maine-et-Loire depuis 2016. 

Le départ est donné depuis le château de Chaintres pour une promenade entre vignes et bois, au cœur des sept vallons composant la prestigieuse appellation AOC Saumur-Champigny, créée en 1957 et s’étendant sur neuf villages, où cent vingt vignerons produisent plus de dix millions de bouteilles chaque année. 

Ce clos, situé à Dampierre-sur-Loire et composé de vingt hectares d’un seul tenant, est l’un des plus grands de l’Hexagone, et l’état de conservation de ses murs est impressionnant. Le propriétaire, Gael B. de Tigny, avoue d’ailleurs y consacrer une belle part de son budget tant il y est attaché, tout en insistant sur la difficulté à trouver aujourd’hui une main d’œuvre qualifiée pour réaliser des travaux de ce type, sur des murs ancestraux, mélanges de terre et de chaux. À quatre-vingts ans passés, celui qui est né sur ces terres est intarissable sur l’histoire des lieux qui appartiennent à sa famille depuis 1938, et sa passion est sans limite. Il raconte ainsi que la vigne était déjà présente à l’époque de l’Empire romain, qu’un chevalier a habité les lieux avant que les moines ne construisent le clos. Ces derniers ont ainsi été présents jusqu’à la Révolution, permettant l’enseignement des méthodes de culture de la vigne. Le propriétaire des lieux est également intarissable sur la composition géologique de ses sols – neuf types ont été recensés. “J’ai découvert la culture des vignes avec les chevaux. Il y en avait trois à l’époque.” Il en profite pour réfuter la théorie selon laquelle les rosiers étaient présents en fin de rang pour que les chevaux sachent où tourner. “C’était un signal d’alarme pour prévenir la vigne de maladie. Si les rosiers commençaient à être malades, alors il fallait traiter les vignes. Ce n’était pas toujours fiable, mais c’était déjà ça.” Par ailleurs, le domaine de Chaintres, repris il y a douze ans par Élisabeth B. de Tigny, propose du vin – Saumur-Champigny, Saumur blanc ou rosé, Saumur fines bulles ou crémant de Loire, et Coteaux de Saumur, un mœlleux, quand le raisin s’y prête – bio depuis 2010, et cultive ses vignes en biodynamie. “On agit en préventif et non en curatif face aux maladies, il faut être attentif. La vigne nous le rend avec un meilleur raisin”, explique-t-il, avant d’évoquer les accords mets et vins. “Le Champigny se marie très bien avec le poisson. Nous proposons des vins fins et légers, bien qu’avec le changement climatique, où les étés sont plus chauds et secs, ils deviennent plus costauds, jusqu’à quatorze degrés en 2018, au lieu de douze...”

Après un passage par Souzay-Champigny, la route nous amène le long du célèbre Clos d’Entre les Murs, à Parnay. On y retrouve une série de onze murs parallèles de deux mètres de haut, implantés d’est en ouest. Les ceps sont plantés du côté nord des murs, et en grandissant, les vignes les traversent par un orifice situé à cinquante centimètres de hauteur pour se développer de l’autre côté, plein sud, permettant ainsi aux grappes de profiter au maximum du soleil. Le vin gagne ainsi en qualité, les vignes sont moins sujettes aux maladies, et les vendanges se déroulent avec quelques semaines d’avance. Invention géniale d’Antoine Cristal, cette technique prodigieuse mise au point au XIXe siècle au sein de ce clos est unique au monde. Aujourd’hui exploitée exclusivement par le Château de Parnay, personne n’est autorisé à la reproduire!

Changement de décor avec l’arrêt suivant au Domaine de Rocheville, à Parnay, dont la production est labellisée biologique. Philippe Porché, le propriétaire, est un vigneron d’adoption qui s’est reconverti en 2005 pour vivre de sa passion du Cabernet Franc et de son amour du Chenin. Ici, l’objectif de l’ancien président du Syndicat des Vins de Saumur est d’allier modernité et tradition. La fabrication française est valorisée: cuves fabriquées à Bruges, au nord-ouest de Bordeaux, utilisation de la pierre blanche du Poitou, foudres de trente litres en chêne de l’Allier. L’écoresponsabilité est mise en avant grâce à la conception d’un bâtiment semi-enterré – pour aider à la régulation de la température du chai – incluant un toit incurvé pour la récupération des eaux de pluie. Les barriques, qui ont une durée de vie de trois ans quand elles contiennent du vin rouge, et de cinq ans dans le cas du blanc, sont ensuite recyclées et vendues pour le vieillissement des spiritueux, qui ne nécessitent pas de bois neuf. 

La promenade est accompagnée des explications de Marc Cluzel au sujet du vignoble, mais aussi de sa passion et sa philosophie de travail avec ses compagnons de route, qu’il mène avec la méthode Achenbach, enseignée aux cochers. Il plébiscite également une éducation à la voix et en liberté, qui après un travail de fond de six à huit mois lui permet de passer aux longues rênes puis à l’attelage en solo. Il partage l’importance d’une expérience dans la bienveillance au service du cheval monté et attelé, et met en avant la qualité de la relation entre l’homme et le cheval, ainsi que le respect du bien-être animal. Il insiste sur le besoin de disposer de “chevaux à l’écoute, et d’instaurer un solide contrat de confiance. En ville notamment, il faut leur enlever tout doute. L’enjeu est fort car les choses doivent être bien faites face au regard des passants”, tout en mentionnant “l’importance du contrôle de la trajectoire avant celle de l’allure.”

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© Sophie Loos



Saumur, entre tradition militaire, équestre et viticole

La Distillerie Combier, située au centre de Saumur, est l’une des plus anciennes du Val de Loire.

La Distillerie Combier, située au centre de Saumur, est l’une des plus anciennes du Val de Loire.

© Sophie Loos

Saumur, point d’attache pour l’occasion, n’est pas en reste concernant le vin. Au départ de cette ville d’art et d’histoire se trouve la route touristique “vignobles et troglodytes du Saumurois”, qui mène à la découverte de la richesse des paysages inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO. On retrouve à maintes reprises des traces témoignant du riche passé équestre et militaire de cette ville située aux abords immédiats de la Loire. Les anciennes écuries ont été construites autour de la place du Chardonnet aux XVIIIe et XIXe siècles. À la fin de son édification, en 1769, le complexe équestre était d’ailleurs le plus grand ensemble français construit spécifiquement pour l’équitation. Aujourd’hui réhabilitées, ces écuries accueillent notamment le musée de la Cavalerie, tandis que d’anciens manèges ont été transformés en gymnases. Des traces de poulies pour monter les sacs à grains dans les greniers sont encore visibles à plusieurs endroits, et deux allées cavalières – une ceinture de deux mille mètres avec un anneau intérieur de mille mètres – subsistent. On notera que ces écuries ont accueilli simultanément jusqu’à huit mille chevaux entre le Premier Empire de Napoléon et la Première Guerre mondiale. 

Le manège Marguerite accueille, lui, toujours des compétitions équestres, tandis que la section équestre des écoles militaires de Saumur est toujours présente au cœur de la ville, avec quatre-vingts chevaux environ dans ses écuries. À noter que le célèbre carrousel présenté par les écoles militaires de Saumur est le plus vieux spectacle équestre toujours présenté en France, puisqu’il est apparu en 1828. Et Saumur reste encore aujourd’hui l’une des capitales françaises de l’équitation. 

En effet, impossible d’évoquer la région sans parler du prestigieux Cadre noir de Saumur, dont le lieutenant-colonel Thibaut Vallette a pris la tête en 2021. L’institution, créée au XIXe siècle au lendemain des guerres napoléoniennes, est historiquement un corps militaire d’élite implanté au cœur de la ville. Avec l’apparition des sports équestres, cette dernière est devenue civile en 1972 avec la création de l’École nationale d’équitation (ENE) par décret gouvernemental. Le Cadre noir est ainsi devenu un corps enseignant dont la vocation est de préparer aux diplômes d’État de l’enseignement de l’équitation et d’accompagner le développement du sport de haut niveau. Aujourd’hui, on n’y dénombre plus que sept militaires, dont une femme. Point d’intérêt majeur d’une visite sur le site, le Grand Manège, hôte des réputées représentations de gala, est garni d’un sol en sable feutrine permettant de garder l’humidité et de proposer un silence magistral aux spectateurs. Le Cadre noir de Saumur est l’un des gardiens de l’équitation de tradition française, reconnue patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO depuis 2011. Créditée d’une renommée internationale, l’institution a accueilli sur son site de Saint-Hilaire-Saint-Florent, à quelques encablures de Saumur, les participants d’Equivini pour un ravitaillement bien mérité en 2019! 

Cette même commune est aussi connue pour ses maisons de fines bulles. Parmi elles se trouve la maison Langlois-Château, dont la cave regorge d’en- viron trois millions de bouteilles. Une visite permet de découvrir ces exploitations dont les bouteilles doivent vieillir au minimum douze mois – et deux ans chez Langlois-Château – et dont les vendanges sont obligatoirement manuelles. Le processus de remuage permettant de faire tomber toutes les lies dans le goulot de la bouteille est automatique depuis 2013 et dure une semaine, sauf pour la cuvée d’exception Quadrille, à cause de la forme particulière de la bouteille. Il faut savoir qu’avant cette mécanisation, un remueur tournait les bouteilles d’un quart de tour par jour pendant trois semaines pour que le processus soit complètement achevé. 

Pour les amateurs de spiritueux, et notamment de triple sec, retour au centre de Saumur pour un passage par la Distillerie Combier, l’une des plus anciennes du Val de Loire. À ne pas manquer, la magnifique salle des alambics, dont la structure a été dessinée par les ingénieurs de Gustave Eiffel, et où fonctionnent encore des alambics aux longs cols de cygne datant du XIXe siècle...



Un patrimoine en mouvement

L’abbaye royale de Fontevraud, visitée en fin de promenade, héberge l’atelier de l’artiste Martine Cligman.

L’abbaye royale de Fontevraud, visitée en fin de promenade, héberge l’atelier de l’artiste Martine Cligman.

© Sophie Loos

Dans un autre registre, l’abbaye royale de Fontevraud, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, vaut le détour. Tout d’abord pour le site même, citée monastique datant de 1101 et dernière demeure d’Aliénor d’Aquitaine, son gisant trônant au cœur de l’abbatiale aux côtés d’Henri II et de leur fils Richard Cœur de Lion. Mais aussi pour son tout nouveau musée d’art moderne, ouvert au public depuis le 19 mai 2021 et situé dans le bâtiment de la Fannerie. À l’origine de sa création, la généreuse double donation à l’État et à la Région des Pays-de-la-Loire de Martine et Léon Cligman, composée de presque neuf cents œuvres rassemblées tout au long de leur vie. On y retrouve des peintures, dessins, sculptures d’artistes des XIXe et XXe siècles, des antiquités mais aussi des objets extra-européens. Si les amateurs d’art équestre ne s’y retrouveront pas forcément, le parcours proposé incite les visiteurs à libérer leur regard, à identifier un rapport à l’œuvre d’art très personnel, puisque le rapprochement des œuvres est lié, non par leur origine ou leur époque, mais par des affinités formelles. “Nous avons conscience que c’est un accrochage atypique pour la région, qui se veut intime, comme une collection privée. Les retours sont pour l’instant très positifs”, confie Aude Le Mercier, historienne de l’art et archéologue chargée de projet pour le musée. Un arrêt qui pourrait être très certainement intégré à un futur parcours d’Equivini, tant la diversité des œuvres proposées invite au voyage.



Rendez-vous en septembre 2022

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Si l’aventure équestre, humaine et gustative que propose Equivini vous tente, l’événement revient du 9 au 11 septembre prochains pour une nouvelle aventure, au départ de Saint-Martin-de-Sanzay, commune des Deux-Sèvres située à vingt kilomètres de Saumur. Et loin de vouloir se contenter de ce qu’ils proposent déjà, les organisateurs songent au développement et à la direction que pourrait prendre leur rendez-vous, pouvant s’appuyer sur la route d’Artagnan et son impact sur le tourisme équestre, la volonté d’une plus grande participation internationale, des itinéraires avec hébergements permettant de ne plus réaliser que des boucles, la mise en place de location d’attelages, etc. Guillaume Roussy ne manque ni d’idées, ni d’ambition pour cette belle randonnée qui a séduit vingt-trois attelages et meneurs, ainsi que cinquante cavaliers pendant trois jours en 2021. “C’est un événement qui a une vocation pérenne. Je suis convaincu que c’est un bon vecteur de communication pour nos vins et qu’il faut convaincre les vignerons à investir en communication. De plus, il y a un réel support, les maires s’impliquent pour proposer des sites pour les bivouacs, et les gens du territoire sont intéressés. Tout le monde est gagnant”, conclut le président du Syndicat des Vins de Saumur.

Cet article est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX heroes.