C’est quoi un homme de cheval?

Parce que les véritables hommes et femmes de cheval ont toujours su appréhender le bien-être du cheval sans même avoir à le nommer, il est plus qu’important de comprendre cette notion et de répondre à cette définition pour tout équitant. Qu’est-ce qu’un(e) authentique homme/femme de cheval? Cette conception s’est-elle perdue au fil du temps? Quel rapport avec le bien-être équin? Le point avec Éric Louradour, cavalier, instructeur, écrivain, éleveur et directeur de la société Elo Jump, pour qui le statut d’homme de cheval est plus qu’une philosophie, un véritable art de vivre.



«L’homme de cheval, qui tient à la fois de l’aristocrate désargenté et du paysan averti, ne parle guère, ne se livre pas, ne fait jamais de gestes brusques et il a des prudences d’exilé. S’il s’exprime, c’est par litotes et prétéritions. Ce n’est pas un bavard, c’est un regardeur. Il a tellement été habitué à comprendre ces grands silencieux que sont les équidés, à soupçonner leurs joies et leurs souffrances inexprimées, à vivre avec eux par intuition, à être senti par eux, qu’il a fini par entretenir avec l’humanité des rapports de la même nature. Il ne vous voit pas, il vous jauge et vous tâte de l’œil (...). » Ainsi Jérôme Garcin, écrivain et cavalier, ou cavalier et écrivain, définit-il l’homme de cheval*.
On comprend dès lors que ce qui relève de l’inné chez ces amoureux des chevaux ait pu se perdre au fil du temps. Comment expliquer ce qui est ancré dans notre sang ? Dans notre chair ? Dans notre culture ? Plus encore, pourquoi devoir l’expliquer? Pour l’homme de cheval, le vrai, cela relève tellement du naturel qu’il ne sait sans doute pas que tout le monde n’a pas hérité de ce sens, de ce savoir, de cette sensibilité. Aussi, les nouvelles générations n’ont malheureusement pas toujours trouvé de professeurs aptes à leur apprendre en plus de monter à cheval – à écouter leurs montures, à en entendre les silences, le langage subtil, les signes de communication... 

Cavalier, instructeur, écrivain, éleveur, directeur de la société Elo Jump, Éric Louradour est un fervent défenseur du bien-être équin et sa philosophie repose depuis toujours sur ce socle, comme une évidence. Homme de cheval reconnu, il explique sa vision de ce concept et la nécessité fondamentale de le développer pour le futur de la filière. 

Comment définiriez-vous un homme ou une femme de cheval ? 
"Il s’agit tout simplement de celui ou celle qui fait passer le cheval avant sa propre personne. Celui qui, en voulant bien faire, cherche à mieux connaître et comprendre l’animal. De cet enseignement découlent les pratiques allant dans le bon sens." 

Aujourd’hui, existe-t-il encore des hommes et des femmes de cheval selon vous?
"C’est malheureusement un concept qui s’est perdu, notamment à cause de l’évolution de la filière équestre, qui a bouleversé beaucoup de choses. Depuis plusieurs décennies, on a tellement voulu démocratiser l’équitation qu’on l’a vulgarisée. Les fédérations, quelles qu’elles soient, et un grand nombre de professionnels poussent tellement leurs licenciés vers la compétition que les personnes en deviennent boulimiques. De fait, on passe beaucoup moins de temps à la maison pour apprendre. C’est l’un des plus gros problèmes de notre filière. Parallèlement, la formation des instructeurs me semble avoir été revue à la baisse. Il faudrait leur inculquer de vraies bases et les sensibiliser sur le bien-être animal, et sur l’importance de connaître vraiment le cheval. Le problème vient de l’apprentissage à la base, qui n’est plus d’un niveau suffisant. Et aujourd’hui, on veut combattre les effets, mais pas la cause. Or, cette dernière est simple: la formation des instructeurs est mauvaise et nous devons l’améliorer." 

Naît-on ou devient-on homme de cheval? 
"Il est évident que la sensibilité de chacun est différente. Certaines personnes, qui ont davantage de sensibilité, peuvent se rapprocher plus facilement et naturellement de l’image d’hommes et de femmes de cheval. En revanche, c’est quelque chose que l’on peut très bien apprendre. C’est aussi par la formation des instructeurs que l’on pourra améliorer la relation entre l’humain et l’animal et généraliser les bonnes pratiques." 

Quels conseils donneriez-vous à un jeune équitant qui aimerait s’en rapprocher ?
"D’abord, je lui dirais de prendre son temps. Aujourd’hui, élèves et professeurs veulent souvent aller trop vite. Ensuite, j’insisterais sur le fait de ne pas se comparer aux autres et l’importance de maîtriser les bases, équestres comme équines. "



"On a tellement voulu démocratiser l'équitation qu'on l'a vulgarisée"

Justement, quelles sont ces bases indispensables ?
"Il s’agit tout simplement de travailler sur les fondamentaux. Par exemple, avoir une bonne position et une bonne assiette. Ce n’est pas pour le plaisir de faire souffrir un cavalier que je lui demande de savoir trotter assis sans étriers, mais pour sa sécurité. Avec une bonne assiette, il sera capable d’accompagner son cheval et de réagir rapidement à ses réactions. D’ailleurs, dans beaucoup d’autres sports, tant que vous n’avez pas atteint un certain niveau, vous ne pouvez pas passer à l’échelon supérieur. Or, bizarrement, on l’accepte avec des chevaux. Personnellement, avec mes élèves, je n’accepte aucun compromis ; tous me respectent car ils savent que j’ai été rigide et exigeant, et ils se rendent progressivement compte que cela leur a servi. Cette approche de l’équitation, plus lente et progressive, permet d’avoir davantage de réussite." 

Avez-vous déjà jeté l’éponge avec certains élèves, ou à l’inverse été surpris ?
"En quarante ans de carrière, je n’ai connu que deux revers avec des élèves: le premier refusait de m’écouter dans la gestion de l’effort de sa monture, et le second manquait d’honnêteté. Pour qu’une collaboration fonctionne, il faut une estime réciproque! "

Paradoxalement, on assiste à une pression populaire croissante vis-à-vis du respect du bien-être animal, alors même que cette notion fondamentale d’homme de cheval a disparu.
Comment l’expliquez-vous? Pensez-vous que notre sport soit en danger?
"On veut donner une bonne image de notre milieu et l’on craint tellement d’être jugé que l’on parle sans cesse de bien-être animal. À force d’en parler, chacun en donne sa recette : pour certains, cela va se traduire par une équitation sans mors, pour d’autres sans fers, pour d’autres encore une approche éthologique, etc. Or, dans notre sport, il n’y a pas de généralité, et un homme de cheval est capable de comprendre chaque cheval individuellement et de trouver ce qui lui conviendra le mieux. Je ne veux pas être alarmiste car je reste toujours positif, mais il est certain que les animalistes sont de plus en plus puissants. Leur rêve est que l’on ne demande plus rien à l’animal, alors qu’un homme de cheval est justement capable de connaître et d’accepter les limites de sa monture." 

Que pensez-vous du «certificat d’engagement et de connaissance» pour les futurs équidés et animaux de compagnie, voté à l’Assemblée nationale en novembre dernier dans le cadre de la loi visant à garantir le bien-être animal (voir encadré) ?
"C’est bien, mais j’observe tant de dérives depuis longtemps... Beaucoup de personnes décident de prendre en charge un cheval sans se rendre compte de ce que cela implique. Beaucoup s’imaginent que tous les chevaux vivant au pré sont heureux : ce n’est pas vrai. On voit beaucoup de chevaux en mauvais état, bien souvent seuls, sans abri pour se protéger des insectes et des intempéries. Cela s’apparente clairement à de l’abandon! Les gens ne sont pas assez sensibilisés à l’entretien d’un cheval. S’en occuper correctement est coûteux, alors pourquoi fait-on croire que tout le monde peut monter, pratiquer la compétition et posséder un cheval? Si l’on continue dans cette direction, on s’expose automatiquement à des remarques ou des critiques d’associations d’animaux, ou même de simples novices." 

Pour autant, était-ce mieux avant ? 
"Non. Nous avons tout de même évolué et c’est une bonne chose. Mais cette évolution s’est faite à deux vitesses. On ne s’est pas posé les bonnes questions et, surtout, on ne veut pas changer les choses en profondeur. Personne n’ose vraiment aborder ce sujet et je trouve cela un peu triste, tant pour les chevaux que pour le monde équestre, dans lequel les voix dissonantes ne plaisent pas. Pourtant, la critique est utile et importante, pour tout le monde, y compris les fédérations !" 

Vous-même avez été formé aux États - Unis, où vous avez pu constater que l’enseignement passait d’abord par la connaissance avancée du cheval et la maîtrise absolue des bases avant une éventuelle orientation vers la compétition... De même, en Suisse, il est interdit de posséder un cheval seul au pré. Comment expliquer que ces règles ne servent pas de modèles aux autres? 
"C’est dommage que les fédérations ne prennent pas exemple les unes des autres et ne retiennent pas ce qu’il se fait de mieux dans chacune d’elles. Il y a une sorte d’entre-soi, et on n’ose pas parler de ces problèmes. Alors on fait du bluff! Tant que l’on ne reformera pas des hommes de cheval, cela sera compliqué. Ce serait un chantier énorme, mais formidable... Notre sport est le plus beau et unique au monde car il est un vecteur de lien incroyable. Il peut faire évoluer nos sociétés. Je remarque que les jeunes générations sont très sensibles à la cause animale, donc il y a de l’espoir !"