Comment permettre aux chevaux de vivre le sevrage plus sereinement ?

Souvent pratiqué par l’Homme, le sevrage est un événement majeur dans la vie d’un jeune cheval. Lorsqu’elle n’est pas suffisamment préparée, la séparation avec la mère peut constituer un moment de stress intense pour le poulain et impacter à long terme son développement. Comment permettre aux équidés de vivre cette étape de manière plus sereine ? Les éleveuses Sandra Perini, Émeline Monget et Sophie Bolze font part de leur expérience.



Ni trop tôt, ni trop tard

Dans la nature, le sevrage se fait en moyenne à l’âge de dix mois, correspondant souvent au moment où la mère se met à porter un nouveau poulain. Le dernier né cesse alors de téter, mais il reste généralement proche de sa mère jusqu’à sa maturité sexuelle, qu’il atteint aux alentours d’un an. De nombreuses contraintes rendent le sevrage spontané difficilement compatible avec les exigences de l’élevage. En écurie, la séparation entre le poulain et sa mère est généralement imposée par l’homme aux alentours de six mois, ce qui permet notamment de s’assurer que l’état de la mère ne se dégrade pas, que le poulain consomme suffisamment d’aliments solides par lui-même et augmente parfois les chances de le vendre rapidement. Lorsque trop brutal, le sevrage peut entraîner un stress important chez le poulain et sa mère, causer une perte de poids soudaine, des troubles de la croissance, ainsi que favoriser l'apparition de comportements néfastes tels que les stéréotypies, également appelées des tiques. Néanmoins, plusieurs pratiques permettent de rendre le sevrage plus doux. 

Étape à ne pas négliger, le sevrage constitue parfois la première vraie interaction du jeune poulain avec l’homme. “Personnellement, je ne touche pas du tout au poulain jusqu’à ses six mois. S’il est proche de l’homme et qu’il vient naturellement vers nous, tant mieux, mais je ne le sollicite pas”, assure Sandra Perini, codirigeante de l’élevage vosgien de la Violle, dont provient notamment Cheyenne de  la Violle (SF, Nabab de Rêve x Utah Van Erpekom), sacré champion de France des six et des sept ans à Fontainebleau en 2018 et 2019. Le moment venu, plusieurs critères indiquent que le poulain est prêt à se passer de sa mère. “Pour que nous estimions qu’il peut être sevré, il faut qu’il boive à l’abreuvoir et qu’il mange de lui-même dans sa mangeoire individuelle”, indique Émeline Monget, responsable de l’élevage de Kerser qui voit naître aussi bien des chevaux et poneys de sport que des Pur-Sang destinés aux courses hippiques. “Je regarde d’abord l’état du poulain, mais également celui de la mère, car certaines juments ne supportent pas très bien l’allaitement. Certains jeunes individus sont plus indépendants que d’autres, ou plus chétifs, ce qui peut faire varier la date du sevrage de quelques semaines”, ajoute Sandra Perini. 



À chacun sa méthode

S’il existe diverses façons de procéder au sevrage, certains facteurs semblent essentiels au bon déroulement de celui-ci. “Nous ne servons jamais un poulain seul. Nous préférons former des groupes au sein desquels nous retirons progressivement les mères. Par exemple, dans un groupe de six poulinières avec leurs poulains, nous pouvons d’abord en sevrer trois, puis les trois autres quelques jours plus tard. Le fait de laisser des juments adultes au sein du groupe permet de limiter le stress que les poulains séparés de leur mère peuvent ressentir. Même si la leur n’est plus là, ils conservent des repères et ne sont donc pas complètement déboussolés”, explique Émeline Monget. Cette méthode a également l’avantage de permettre un sevrage “au cas par cas”, puisqu’elle permet de sevrer les poulains individuellement ou par petits lots, lorsque ceux-ci ont atteint l’âge et le poids idéal. À contrario, l’idée selon laquelle le fait de sevrer les poulains en groupe permettrait de rendre l’événement moins traumatisant semble partagée par bon nombre d’éleveurs. “Étant donné que les poulains naissent tous à la même période de l’année, je peux les sevrer en même temps, ce qui évite la panique. Généralement, je fais deux lots en fonction des naissances et je les sèvre à un mois d'intervalle”, indique Sandra Perini qui raconte avoir testé plusieurs méthodes avant de trouver celle qu’elle estime être la plus douce pour ses protégés : “Je procède en mettant la mère et le poulain côte à côte dans des boxs séparés par des barreaux, ce qui leur permet de conserver un contact visuel et olfactif. À côté du poulain, j’en mets un autre du même âge, puis sa mère. Le poulain est donc entouré à la fois d’un compagnon et de sa mère, ce qui diminue le stress. Je les laisse téter une fois par jour pendant trois ou quatre jours, avant de les séparer totalement”, détaille l’éleveuse. “De cette manière, on évite aussi les problèmes de mammite (inflammation des mamelles, ndlr)chez les poulinières étant donné que la tétée s’arrête progressivement. Au bout de dix ou quinze jours, le poulain est totalement serein, il n’appelle plus sa mère et ne présente plus de signes de stress. Ils continuent à vivre par lot d’âge jusqu’à deux ans”, ajoute-t-elle



Les prémices de l’apprentissage

Quelle que soit la méthode, œuvrer dans l’intérêt de l’animal doit être une priorité. Dans certains cas, le sevrage artificiel vise à faciliter ou complémenter le processus naturel. “Lorsqu’on élève des animaux, je pense qu’il est de notre devoir de leur prodiguer un bien-être le plus proche possible de celui dont ils jouiraient dans la nature”, estime Sophie Bolzeéleveuse de poneys Connemara à l’affixe d’Aluinn, dont l’un des représentants, Podeenagh Aluinn (PFS, Go On du Vignault x Maître Pierre), a été deux fois médaillé d’argent, puis de bronze aux championnats d’Europe de concours complet en 2015 et 2016. Chez elle, dans le Loiret, l’éleveuse pratique une forme de sevrage progressif, au rythme de chaque poulain. “Je commence à les séparer de la mère quelques heures par jour à partir de six ou sept mois. Je les mets d’abord dans deux boxs voisins pour qu’ils puissent se voir et que le poulain apprenne à se repérer seul. Lorsque j’observe qu’il commence à se coucher dans le box, ce qui indique qu’il est serein, je les éloigne l’un de l’autre en laissant un box entre eux, puis je mets toutes les juments d’un côté et les poulains de l’autre”, explique-t-elle. Contrairement à la méthode traditionnelle, le sevrage opéré par Sophie Bolze ne se traduit pas par une séparation franche. À dix mois, ils sont toujours au pré avec leurs mères et il arrive que certains tètent encore de temps en temps, bien que ce soit rare. La mère continue à produire du lait, mais il est bien sûr moins riche que les premiers mois. Le poulain prend ses distances dans le pré de lui-même, mais si quelque chose l’inquiète, il peut revenir auprès de sa mère qui le rassure. Petit à petit, il l’oublie et devient indépendant”. 

Le sevrage peut s’avérer être un moment idéal pour introduire au jeune poulain des bases d’éducation dont les bénéfices se feront ressentir lors du débourrage. “J’en profite pour leur mettre un licol et commencer à les mener en main autour de l’écurie, en compagnie de la mère. À six ou sept mois, comme ils ont encore le réflexe de les suivre, cela se passe généralement très bien. Après le servage, je continue d’effectuer cet exercice avec la présence d’un compagnon du même âge”, témoigne Sandra Perini. “Nous cherchons surtout à ce que le poulain se laisse manipuler. Nous commençons également à leur apprendre à donner les pieds, ainsi qu’à les faire marcher en main, mais nous ne leur demandons rien de très compliqué”, complète Émeline Monget. Pour Sophie Bolze, plus tôt les bases sont introduites, plus facile le travail sera par la suite : “Dès leur naissance, les poulains passent le plus de temps possible dehors avec leurs mères, mais sont régulièrement rentrés au box afin d’être manipulés. Pendant une dizaine de mois, je m’occupe d’eux, les fais monter dans le van et les emmène à la douche avec l’aide de leurs mères. Comme les enfants, certains apprennent plus ou moins vite que les autres. L’important est de s’adapter à eux”. Pour accompagner et guider ses protégés tout au long du processus, l’éleveuse a son astuce. “Quand mes poulains commencent à être séparés des mères, j’intègre un ou deux chevaux d’âge au sein de leur troupeau. Pouvoir compter sur la présence de chevaux adultes bien éduqués est vraiment bénéfique, parce que cela permet aux jeunes de prendre exemple. Suivant le tempérament de chaque poulain, je choisis l’individu que j’estime être le plus adapté. Par exemple, je n’hésite pas à mettre un cheval doté de caractère avec un poulain qui se montre un peu agressif”, illustre-t-elle. “En matière de sevrage, tout doit être réfléchi pour engendrer le moins de conséquences possible”, rappelle Sandra Perini. “Je suis persuadée qu’il n’existe pas une seule manière de faire. Tous les éleveurs testent différentes méthodes et choisissent celle qui est la plus adaptée à leur environnement et aux installations dont ils disposent. Toute méthode est bonne, du moment qu’elle respecte l’animal”, conclut-elle.