Anabel Labatie, à l’encre de son art

Au premier coup d’œil, les chevaux d’Annabel Labatie sembleraient presque sortis de ces ouvrages anciens précieusement conservés dans une bibliothèque réservée aux plus fins initiés et passionnés. Sa signature, sa patte, qu’elle marque à l’encre de Chine, l’artiste semble la tirer des prémices de son histoire personnelle…



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© Collection privée

Née en mars 1972 à Graulhet, dans le Tarn entre Toulouse et Albi, Annabel Labatie grandit dans cette commune d’Occitanie qui s’est forgée au fil des siècles une réputation dans l’univers du cuir, notamment la tannerie. Dans les années 1950, ce sont ainsi 3 200 ouvriers qui travaillaient dans une centaine d’usines sur ce territoire. Rien d’étonnant donc lorsque l’artiste indique que sa mère “était sellier-maroquinier, tandis que mon père était chef d’entreprise”. C’est au parfum des effluves de tannage que la Tarnaise découvre les chevaux, alors qu’elle n’est qu’une petite fille. “J’ai commencé l’équitation à l’âge de six ans, à cru, en liberté et en cachette!”, se souvient-elle, avant de préciser que “le virus vient de mes parents, qui avaient quelques chevaux de balade. Je me suis vite débrouillée seule, car ils n’avaient pas les moyens de m’inscrire dans un centre équestre.” 

Entre son grand-père architecte, son père musicien autodidacte et sa mère ancienne élève des Beaux-Arts, la petite Annabel Labatie grandit dans un univers résolument artistique; une fibre qui n’est cependant pas spécialement cultivée, ni encouragée. “J’ai pratiqué le piano quand j’étais petite, mais ma famille ne m’a jamais poussée à suivre des cours de dessins ou quoi que ce soit”, confirme l’intéressée. Pourtant, ses petites mains finissent par saisir d’elles-mêmes le crayon… “Enfant, j’étais passionnée par les gravures anciennes. J’essayais de les enregistrer dans ma tête pour les reproduire ou m’en inspirer”, se remémore-t-elle. Scolarisée à Albi jusqu’à l’obtention de son baccalauréat littéraire, elle suit une option arts plastiques, qui ne la satisfait hélas guère. “On n’y apprend pas à dessiner, on nous enseigne l’histoire de l’art”, regrette-telle. La jeune fille occupe aussi son temps libre avec un peu de gymnastique. À dix-sept ans, Annabel Labatie a cependant l’opportunité de faire ses armes dans un centre équestre et de se lancer dans ses premières compétitions de saut d’obstacles. Le baccalauréat en poche, et son premier championnat de France disputé à Lamotte-Beuvron, la jeune adulte rejoint la faculté de lettres modernes d’Albi pendant deux ans. Crayons et pinceaux ne l’ont évidemment pas quittée. Mais à l’âge des premiers émois amoureux, une rencontre la fait pourtant changer de cap; l’artiste en herbe quitte alors les bancs de la fac et rejoint une écurie spécialisée dans l’endurance, qui lui permet de toucher à toutes les disciplines: voltige cosaque, horse ball, spectacles de chevaux Arabes et, évidemment, saut d’obstacles, qu’elle pratique alors dans des épreuves jusqu’à 1,40m. Pendant huit ans, la jeune femme se professionnalise comme cavalière, les rênes dans une main, les crayons et pinceaux dans l’autre. Aussi, les propriétaires qui lui confient leurs protégés se voient alors régulièrement offrir quelques portraits de leurs compagnons. “Sauter ne me faisait plus rien, ne me procurait plus d’adrénaline”, avoue la jeune quinquagénaire. En plus de cette forme de lassitude, une jument qu’elle juge trop puissante pour elle précipite alors son changement de discipline et finit de confirmer sa bifurcation vers le dressage. De fil en aiguille, la Sudiste se rapproche de Nicole Favereau, Jean-François Lagarde ou encore Gratien Cuiburu; trois professionnels installés dans la région qui lui ouvrent les portes d’un monde où art et équitation s’entremêlent intimement.



Au carrefour de la trentenaire

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© Collection privée

À l’aube de la trentaine, l’aventure s’arrête pendant quelques années. En effet, Annabel Labatie décide de s’offrir une période de césure pendant laquelle elle déménage dans la région bordelaise et se consacre d’abord à la petite fille qu’elle vient de mettre au monde, avant de poursuivre ses activités de cavalière. Mais après des années sur les terrains de concours, l’envie s’essouffle…

Professionnellement, l’art et la création sont encore des activités secondaires, qui, petit à petit, finissent par faire leur chemin parmi les priorités de la quadragénaire d’alors. L’année 2015 marque toutefois un tournant: après une expérience personnelle et professionnelle l’ayant amenée à évoluer dans l’univers de la sellerie, comme un clin d’œil aux racines de son histoire avec le cuir et au berceau qui l’a vue naître, Annabel Labatie franchit un cap et s’oriente davantage vers la création. Elle vend ses premières toiles et ouvre sa société; une professionnalisation tardive, ralentie par un travail de confiance en soi qu’elle ne cache pas avoir engagé après des épreuves qu’elle explique avoir dû traverser. 

À cinquante ans, si quelques chevaux occupent toujours son quotidien et qu’elle suit actuellement une formation de physiothérapeute, c’est bien une vie d’artiste qu’elle ambitionne désormais. “Je me suis toujours sentie artiste”, concède-t-elle. “Le fait de pouvoir vendre mes toiles m’a d’ailleurs donné confiance. C’est donc quelque chose que je cherche à cultiver et à développer.” Touche à tout, Annabel Labatie multiple les techniques; qu’il s’agisse de toile de coton, lin, papier, carton, peinture, pastel sec, collages de partitions, feuilles d’or ou d’argent, peu importe la matière, pourvu qu’il y ait l’ivresse de la création! Mais c’est bien l’encre de Chine qui devient sa signature. Quand j’y pense, je ne peux pas m’empêcher de trouver qu’il y a effectivement une ressemblance avec les gravures anciennes qui me passionnaient quand j’étais petite!” Au détour de ses créations, comment effectivement ne pas y voir l’évocation des photos ou des croquis anciens qui illustrent les ouvrages des grands maîtres de l’équitation comme ceux du général Decarpentry ou du commandant Licart… Celle qui se veut désormais artiste explique d’ailleurs que “l’encre de Chine permet de réaliser un travail de clair-obscur sur les ombres, les lumières. Je ne dessine pas nécessairement l’entièreté du corps du cheval ou du cavalier car je veux laisser une part de subjectivité au spectateur pour qu’il puisse avoir la liberté et le plaisir de voir ce qu’il veut.” L’équidé étant sa première source d’inspiration, elle précise beaucoup aimer “peindre et dessiner des Pur-sang Arabes pour la finesse de leurs traits, mais j’ai également un attrait particulier pour les chevaux de sport”; un lien évident avec sa carrière de cavalière. Pourtant, elle préfère les magnifier nus: “Je n’aime pas tellement dessiner le cavalier car je le trouve presque parasite dans mon travail; il est plutôt au second plan.”



Les chevaux, mais pas que...

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© Collection privée

Qu’ils s’agissent de commandes, photos ou chevaux croisant sa route, l’inspiration est partout. “Pour moi, l’art est toute chose”, défend Annabel Labatie. Un état d’esprit qui s’exprime aussi par une autre facette de son travail et de sa personnalité: l’abstrait. “Il y a des périodes où j’aime m’investir sur la toile, en jetant les couleurs, en m’adonnant à de la peinture intuitive, sans penser à ce que je fais et en suivant ma main. C’est une manière de prendre le contre-pied de ce que je fais habituellement, car l’encre de Chine nécessite beaucoup de concentration. Avec l’abstrait, je m’affranchis de cette habitude de savoir ce que je vais réaliser”, explique la cavalière de dressage. Entre admiration et inspiration, Annabel Labatie se nourrit de toutes les formes d’art: si elle concède, comme souvent chez les artistes, ne jamais être pleinement satisfaite, elle ne manque pas l’occasion d’étudier le travail de celles et ceux qui ont osé avant elle exprimer leurs sensibilités. “Je trouve toujours intéressant de regarder le travail des autres artistes, qu’ils soient anciens ou contemporains, car il y a à apprendre de tout le monde. Il faut savoir garder l’esprit ouvert et ne pas se fixer de limites.” Si l’œuvre de Géricault, Alfred de Dreux et Carle Vernet ont évidemment ses faveurs, Annabel Labatie nourrit également une admiration pour quelques-uns de ses contemporains comme Liska Llorca, mais aussi Jean-Louis Sauvat. “Lorsque l’on observe son travail, il est impossible de ne pas penser aux dessins de Léonard de Vinci!”, explique-t-elle. 

Après plusieurs expositions, notamment au musée Toulouse-Lautrec d’Albi, aux championnats du monde du cheval Arabe à Deauville ou encore au haras de Malleret, l’artiste souhaite désormais développer sa présence dans les événements équestres. Un travail sur sa visibilité qui va de pair avec celui de la confiance en soi. “Je n’ai jamais fait beaucoup de communication, par timidité. Aujourd’hui, j’ai davantage de maturité donc je me sens capable de m’ouvrir au monde”, confie la peintre. Un site internet dédié à son œuvre va ainsi voir le jour d’ici ces prochains mois. Jamais à court de projets, puisqu’elle est également masseuse équine au sein de sa société Body Horse, l’artiste cavalière rêve secrètement de se lancer dans la sculpture du métal… mais aussi d’atteindre le niveau Grand Prix avec l’un de ses chevaux dont elle vante les talents. Tels sont ses prochains desseins!

Cet article est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX.