Christophe Bogrand, heureux comme qui a traversé l’océan
Christophe Bogrand, cavalier bien connu en endurance et marin breton, a franchi la ligne d’arrivée en dixième position dans la catégorie des multicoques de sa deuxième Route du Rhum, mercredi 30 novembre dernier, à Pointe-à-Pitre. Une belle traversée en solitaire de l’Atlantique sur son voilier “Stérec Aile Bleue”, qu'il raconte ici au fil de sa progression.
Il l’a fait en vingt et un jours (et huit heures, cinquante minutes et trente-cinq secondes), comme il l’estimait avant de s’élancer pour la deuxième fois sur la mythique Route du Rhum depuis Saint-Malo, le mercredi 9 novembre dernier. Heureux, Christophe Bogrand (qui a fait l'objet d'un portrait dans un magazine précédent, à retrouver ici), cinquante-neuf ans, à la fois cavalier d’endurance à haut niveau avec ses chevaux Arabes Shagyas et marin expérimenté, a retrouvé les siens en Guadeloupe au terme de cette traversée de l'Atlantique à la voile en solitaire!
Ils ont été quelques-uns à franchir la ligne de départ prématurément le 9 novembre dernier, dans le feu de l’action. Parmi eux, Christophe, qui a écopé de quatre heures de pénalité. “L’excitation du départ était palpable déjà dix minutes avant, et nous étions chauds comme de la braise pour offrir un beau lâcher! Chacun a pris sa place trop tôt et il était trop tard pour faire demi-tour, c'était trop dangereux. Cela paraît interminable quand on sait que les copains sont en train de prendre de l’avance!”
Surtout que le mauvais temps était de la partie... “Il fallait choisir entre longer ou rentrer dans la gueule du loup et profiter, à la sortie d’une belle bascule, pour faire route directe sur les Canaries… La nuit a été très mouvementée: une mer forte, voire très forte, avec des vents de 35 ou 40 nœuds.” Mais le trimaran construit en 1982, nommé “Stérec Aile Bleue”, a donné satisfaction au marin, qui a disputé la course sous les couleurs du château du Launay, le centre de bien-être de son épouse Carole à Ploërdut, dans le Morbihan, et de leur fondation “Terre du Launay”, oeuvrant pour le respect de la nature. “J’aime ce bateau! Nous avons déjà traversé deux fois l'Atlantique en solo et cela m’a bien servi pour savoir où mettre le curseur quand ça commençait à être chaud!”
Une traversée pleine de surprises...
Mais un problème technique l'a à nouveau ralenti... “Vraiment pas de chance... Juste avant le départ, j'ai changé ma drisse (cordage servant à hisser, ndlr ndlr) de trinquette (voile d’avant plus petite et plus près du mât que le foc, ndlr) car elle faisait des tours sur elle-même. Et la nouvelle m'a refait pire… J’ai donc bloqué le foc (voile d’avant, de forme creuse, ndlr) à la moitié. Il a fallu que je m’organise vite et bien pour pouvoir intercepter le vent pour l’empêcher d’arriver sur la voile, derrière la grand-voile. Le vent était fort, et un deuxième coup de vent était annoncé dans la nuit. J’ai installé mon tourmentin (petite voile de tempête, ndlr), et il a fallu que j’attende le lendemain soir que ça se calme pour mettre de l’ordre…”
Le cavalier a voulu rattraper tout ce temps perdu sur ses principaux concurrents de la catégorie Rhum Multi (pour multicoques), notamment, le réputé Charlie Capelle et son “Acapella”, un ancien bateau de la génération des première et deuxième Route du Rhum de 1978 et 1982. Comme ce dernier et ses semblables, avec une mer encore agitée dans l’Atlantique les premiers jours, Christophe avait pris l’option de faire cap au Sud, route plus longue mais moins risquée que celle du Nord, qu'avaient choisi les navigateurs soutenus par des sponsors importants dans les autres catégories. “Arrivé aux Canaries, j’avais plus de 150 miles de retard sur eux! Rapidement, nous avons retrouvé des vents portants qui m’ont permis de me retrouver à 1 000 milles (un mille marin ou nautique, équivaut à 1 852 mètres, ndlr) de l’arrivée et à 6 milles de mes concurrents Sudistes.”
De grandes émotions et sensations! “Chaque jour passant, on fait corps avec son bateau, une harmonie se crée et on compose sa mélodie en fonction du vent des voiles et de l’allure que l'on souhaite donner. Et ça en permanence, 24h/24h! On s'occupe de son bateau comme on s'occupe de son cheval: on l’écoute, on l’entretient au quotidien, et on construit une relation de confiance liée à notre connaissance mutuelle, pour performer constamment.”
Comme endurance,tout est une question de timing!
“J’étais au coude à coude avec les bateaux de ma génération. Il y avait Moxie, un plan Newick de cinquante pieds qui a gagné l’Ostar en 1978 (transat anglaise entre la mer Celtique et la côte Est des États-Unis, ndlr). Mais aussi Acapella, le sister-ship du bateau de Mike Birch (vainqueur historique toutes catégories, avec un multicoque, de la première Route du Rhum avec Olympus Photo, et décédé à quatre-vingt-dix ans ans le 22 octobre dernier, quelques jours avant le départ de cette dernière édition, ndlr). Quelle excitation d’avoir réussi à combler ce retard. Cela nous donnait la sensation qu’il y allait avoir du suspense!”
Tout se passait bien à bord. “Nous sommes à 100% avec mon bateau! Comme pendant l’avant-dernière boucle d’une course d'endurance! La dernière sera le tour de la Guadeloupe. J’ai commencé à bien ouvrir les rênes comme on dit, et Stérec avait encore de la ressource. La fin allait être passionnante!” Mais Christophe a dû beaucoup manœuvrer. “Les journées passaient à vive allure. J'ai été confronté aux algues sargasses, qui se mettaient autour du gouvernail, et j'ai dû me débrouiller à faire marche arrière pour m’en défaire. À la voile bien sûr! J'ai énormément manœuvré pour avoir la bonne voile d’avant, qui allait me propulser le plus vite possible. J’ai attrapé de sacrées suées! Mais l’excitation de la course était bien là; Moxy était à moins de 15 milles et de l’autre bord Acapella à moins de cinq milles.”
La dernière boucle a été haletante! “J’étais en approche de la Guadeloupe le mercredi matin à l’aube. Je découvre la terre, suivie de ces odeurs si savoureuses... Un gros nuage était placé au sommet des montagnes. Il n’a pas tardé à nous rattraper pour nous déverser une douce pluie. Acapella est loin derrière. Je suis heureux, la mer se calme, les paysages sont grandioses. Je ressens un bien-être inégalable.”
Caprices d’Éole...
Christophe n’a pas ou peu dormi depuis quarante-huit heures. “Les conditions orageuses m’ont demandé un dernier effort de veille attentive. Ce dernier orage était très chargé en vent.” Alors que la mer était plate et que toutes les voiles étaient dehors, le vent est passé de 15 à 35 nœuds en trois minutes. “Dernière frayeur! Et juste avant l’arrivée à Basse-Terre, le vent m’a abandonné et je suis resté scotché deux bonnes heures. Mon avance a fondu comme neige au soleil. Il nous restait 25 milles à parcourir et les vents sont revenus, soufflant en rafale dans le goulet entre Les Saintes et Basse-Terre. J’ai aperçu Acapella, loin derrière. Nous avons tiré des bords pendant trois heures! J’ai eu moins de vitesse. J'ai décidé de virer en espérant pouvoir passer la ligne d’arrivée avant lui! Mais à 500 mètres du but, je sais que Acapella a été plus fort...”
Une grande joie le saisit à bon port! “L’émotion est grande, indescriptible... J’aperçois Carole sur un bateau! Tout mon corps et mon esprit se sont relâchés, et je suis arrivé. Épuisé, mais toujours boosté par cette adrénaline du dernier run... Quarante-huit heures après notre arrivée, nous étions en pleine forme, avions l’esprit heureux et réalisions que nous avons parcouru 4 480 milles (environ 8 300km, ndlr) à la vitesse moyenne de 8,74 nœuds (environ 16,20km/h, ndlr)! Finir, c’est gagner.” La devise de l’endurance!