“Je crains que la jeune génération ne s’éloigne trop du plus important : le cheval”, Marcus Ehning
À quarante-neuf ans, Marcus Ehning a presque tout gagné. En juillet, il s’est imposé pour la troisième fois dans le mythique Grand Prix d’Aix-la-Chapelle, rejoignant le club très fermé des triples lauréats de ce rendez-vous. Loué pour son équitation, qui lui vaut régulièrement le surnom de “Centaure”, l’Allemand a évoqué dans cet entretien son triplé aixois, la gestion du stress, l’importance du mental de ses chevaux, ses craintes concernant la génération future, ou encore ses modèles et objectifs.
La première partie de cet entretien est en ligne ici.
“La jeune génération se lance dans le sport de façon très différente et en être le témoin est effrayant”, déclare aussi Marcus Ehning. “Toutes ces académies sont bien intentionnées, mais quatre-vingt-dix pourcent du temps est consacré à la condition physique, ou à d’autres sujets annexes, alors que l’élément le plus important, le cheval, n’est pas pris en compte. La façon dont j’ai grandi était totalement différente ; je m’occupais moi-même de mes poneys et de mes chevaux, je passais du temps avec eux et je faisais tout. Il me semble que les jeunes d’aujourd’hui sautent une étape ; ils participent à des concours internationaux alors qu’ils devraient encore être au niveau national. Cela conduit à la disparition des concours nationaux et à l’explosion du nombre de partants pour les labels les moins importants des concours internationaux. Je crains que la jeune génération ne s’éloigne du plus important : le cheval. À mon avis, il y a certainement des choses qui vont dans la mauvaise direction, mais je ne réfléchis pas trop aux questions politiques, car je me concentre davantage sur la bonne forme de mes chevaux”, analyse-t-il, regrettant toutefois que le format olympique ait été modifié. “Par exemple, je n’ai jamais compris pourquoi le format de l’équipe olympique a été modifié pour passer à des équipes de trois cavaliers, et je suis toujours de cet avis. Je ne suis pas d’accord avec la plupart des changements que j’observe dans le sport, y compris le nouveau format de la Ligue des nations pour l’année prochaine”. Pour rappel, dès l’année prochaine, la Ligue des nations sera restreinte aux dix meilleures nations de la planète et comprendra cinq étapes – trois en Europe, une en Amérique et une au Moyen-Orient – et une finale.
“Un cheval peut avoir tout le talent du monde, il ne gagnera jamais s’il n’est pas bien dans sa tête”
Tout au long de sa carrière, Marcus Ehning a connu des succès remarquables avec de nombreux chevaux bien différents. “Je ne les choisis jamais vraiment, je monte ce que l’on me confie”, répond-t-il à la question sur ses critères de recherche pour un cheval. “Je n’ai jamais été en mesure d’acheter des chevaux chers et prêts pour le haut niveau. Au début de ma carrière, nous n’avions que nos propres chevaux, des jeunes que nous essayions d’améliorer. Puis, au bout d’un certain temps, For Pleasure est arrivé et c’est avec lui que le succès a vraiment commencé. Par la suite, de nombreux propriétaires m’ont appelé pour me confier leurs chevaux. La famille Nolte me soutient sans relâche depuis plus de dix-huit ans maintenant, avec Noltes Küchengirl et d’autres chevaux, mais aussi et souvent dans les coulisses. Actuellement, j’ai quelques propriétaires différents : la famille De Martini, qui possède Stargold et trois autres chevaux avec moi, ainsi que Judith Gölkel, qui me soutient toujours et qui possède beaucoup de chevaux plus jeunes”.
“En fin de compte, ce qui compte le plus avec les chevaux, c’est leur mental. La volonté du cheval est essentielle ; il doit être de votre côté pour ne faire plus qu’un. Un cheval peut avoir tout le talent du monde, il ne gagnera jamais s’il n’est pas bien dans sa tête ou qu’il ne parvient pas à gérer la pression de la compétition. Si vous regardez les dix meilleurs chevaux du monde, tous ont en commun un mental incroyable, alors qu’ils sautent différemment et sont assez distincts les uns des autres”, souligne celui que beaucoup surnomment “le Centaure”.
“Il me manque encore beaucoup de médailles”
Au fil des années, Ehning a réussi à faire émerger un crack après l’autre. “Les retraites de Cornado (West, Cornet Obolensky x Acobat), Comme Il Faut (West, Cornet Obolensky x Ramiro Z) et Misanto Prêt À Tout (SF, Hiram Chambertin x Stew Boy) ont donné à Stargold et Priam du Roset (CH, Plot Blue x Tanael du Serein) l’occasion de se mettre en avant, ce qu’ils ont très bien réussi. Lorsque vous mettez à la retraite des chevaux comme Cornado, Comme Il Faut et Prêt À Tout, il faut du temps pour voir si ceux qui suivent peuvent monter en puissance, et ces périodes peuvent être difficiles. Le seul moyen de jauger s’ils sont assez bons est de leur faire monter une marche”, relate le champion allemand.
“J’ai souvent entendu que des gens qui disaient que je n’avais plus de cheval de haut niveau. Cette année, j’ai mis à la retraite trois chevaux, et la semaine suivante, j’étais champion d’Allemagne puis ai gagné Aix-la-Chapelle. Je pense donc que j’ai encore quelques bons chevaux. Stargold a été bon aux Européens de Riesenbeck, il s’est bien débrouillé à Herning et il a gagné quelques beaux Grand Prix. Ce qu’il donne en piste est incroyable. Même si ses résultats sont très bons, j’ai toujours l’impression que nous sommes à quatre-vingt-dix pourcents et pas encore à cent pourcents de nos capacités”, ajoute-t-il avec malice. “Je garde donc un peu d’espoir !”
“J’ai récupéré Stargold à la fin de son année de sept ans et il avait déjà beaucoup gagné avec Tobias Meyer. Lorsque je l’ai essayé, il m’a tout de suite plu. Au début, il a fallu quelques mois pour qu’il comprenne vraiment ce que j’attendais de lui. Il a eu besoin de temps pour croire en moi, car c’est un cheval très intelligent. Un autre défi a été de trouver un équilibre entre le jeu et le travail sérieux. Il veut toujours tout faire trop vite, trop rapidement ; il a fallu du temps pour lui apprendre à ralentir un peu. Il y a deux choses qui ont affecté les progrès avec lui : la pandémie de Covid et le fait que j’avais beaucoup de chevaux plus expérimentés lorsqu’il était prêt à sauter plus haut. […] Beaucoup de gens n’ont pas cru en Stargold, mais j’ai toujours eu le sentiment que peu importe le parcours, j’aimerais le faire avec lui. En selle, il donne une sensation totalement différente de ce l’on voit. J’ai toujours voulu courir les plus belles épreuves avec lui - et il n’y a pas beaucoup de chevaux avec lesquels j’ai ce sentiment”, loue Marcus Ehning à propos de son pétillant bai.
“Il me manque encore beaucoup de médailles”, s’amuse Marcus Ehning lorsqu’il s’agit d’évoquer les objectifs qu’il lui reste à accomplir. “Par équipes, j’ai remporté tous les championnats, j’ai gagné trois fois la finale mondiale, mais je n’ai qu’une seule médaille individuelle (le bronze européen, décroché en 2003 avec For Pleasure, ndlr). Il serait bien sûr sympathique d’être champion d’Europe et champion olympique. Cependant, je ne pense pas encore aux JO de Paris. Je vais voir comment mes chevaux sautent et j’établirai un plan en conséquence. Quelques mois avant un grand championnat, vous pouvez sentir si vos chevaux sont en bonne forme et préparer l’échéance, mais pas plus tôt. Je ne dis pas aujourd’hui que mon grand objectif est d’aller à Paris ; tout dépend de mon partenaire, mon cheval. Je n’ai pas envie d’aller à un championnat juste pour y faire de la figuration, j’en ai déjà couru trop. Quand j’y prends part, je veux avoir le sentiment que je peux au moins obtenir une médaille”, prévient aussi l’Allemand. Le message est clair pour la concurrence.