“Nous, cavaliers, devons relativiser car nous pouvons encore exercer notre métier de passion”, Émeric George

Confiné comme l’ensemble des Français afin de lutter contre la propagation de la pandémie de Covid-19, Émeric George a tout de même la chance de pouvoir encore exercer son activité professionnelle dans ses écuries, à l’instar de presque tous les cavaliers professionnels. Membre de l’équipe de France, le tout juste trentenaire, papa depuis peu, raconte son quotidien si particulier.



Comment vivez-vous votre confinement?

Je respecte scrupuleusement le confinement en limitant mes déplacements au strict nécessaire. Je vis près de Chantilly (à Avilly-Saint-Léonard, ndlr) et je me rends chaque jour aux écuries, chez mes parents, qui sont à quelques minutes de route. Mes seuls autres allers-retours concernent des courses de première nécessité, comme tous les Français. Comme je viens tout juste de devenir papa d’une petite fille, je soulage sa maman de ses tâches ménagères et l’aide autant que je le peux. J’ai même eu la chance de pouvoir assister à l’accouchement donc je suis privilégié (depuis quelques jours, de nombreux services de maternité ont adopté des mesures de restriction concernant les visites des pères et leur présence à l’accouchement, ndlr)! D’un point de vue équestre, je dois dire que je ne suis pas malheureux. J’ai pu concourir au Sunshine Tour de Vejer de la Frontera, en Espagne (du 12 février au 1er mars, ndlr). J’ai eu la chance de pouvoir vivre trois semaines pleines de compétition, sans perturbation, pour débuter ma saison extérieure, ce qui n’est malheureusement pas le cas de tous mes collègues... J’ai pu lancer sur de belles pistes les six nouveaux chevaux de sept ans que je venais d’accueillir, ce qui m’a permis de récolter pas mal d’informations sur eux. 

Comment fonctionnent vos écuries en cette période si particulière?

Je continue à monter autant qu’avant! Je n’ai absolument pas ralenti la cadence, je monte six à huit chevaux par jour. Comme tous les autres professionnels, j’ai davantage le temps d’approfondir le travail avec mes chevaux. Les plus âgés travaillent davantage sur des cavaletti, et les jeunes ont droit à une vraie séance de saut d’obstacles par semaine. C’est une période particulière, mais si l’on veut y voir du positif, nous avons maintenant plus de temps pour effectuer un travail de fond avec nos chevaux, notamment ceux qui sont encore en formation, nombreux dans mes écuries. Nous, cavaliers, devons relativiser car nous pouvons continuer à exercer notre activité professionnelle, qui est aussi une passion, contrairement à une bonne partie des Français qui ne peuvent plus travailler.

Comment avez-vous géré le début de cette crise? Vous avez peut-être dû en prendre conscience très tôt, étant donné que vous habitez dans l’Oise, qui a été l’un des premiers départements touchés par le Covid-19...

J’étais en Espagne jusqu’au début du mois de mars, donc pas tout à fait. Et lorsque j’écoutais les informations espagnoles, ils parlaient très peu de l’épidémie. Ils évoquaient un peu la situation en France et en Italie, mais le coronavirus n’était pas du tout un sujet en Espagne à ce moment-là. Je me souviens avoir eu au téléphone Olivier Robert, qui est un ami proche, et lui était déjà très alarmiste. Moi, vu de l’étranger, je me disais que nous pourrions concourir à l’étranger si la France était touchée. Mais une fois la frontière franchie, j’ai commencé à prendre la mesure des problèmes que cette épidémie allait causer... Tant qu’on n’est pas confronté à la situation, on ne peut pas vraiment s’en rendre compte. Je pensais aller à Villers-Vicomte, chez les frères Lambert, pour disputer le CSI puis l’étape du Grand National, et quand j’ai vu qu’ils annulaient le concours et que la préfecture de l’Oise était la première à prendre des mesures de restriction, j’ai compris. Le plus dur à gérer dans cette crise est le retour à la compétition. Se préparer pour début mai, début juin ou fin juillet, ce n’est pas pareil. Cette incertitude pèse lourd.



De nombreux cavaliers français et même le Brésilien Rodrigo Pessoa font appel à des chefs de piste afin d’avoir des idées de parcours pour mieux s’entraîner. La semaine dernière, Cédric Longis en livré trois aux lecteurs de GRANDPRIX. Avez-vous également sollicité un chef de piste?

J’ai vu ces initiatives et je trouve ça super! Cela fait partie des mouvements de solidarité que nous voyons heureusement fleurir dans cette période inédite. Ce doit être très intéressant car Cédric Longis a effectivement plein de choses à apporter techniquement aux cavaliers. Pour l’instant, je ne l’ai pas encore sollicité. Depuis mon retour, j’ai repris tous mes parcours du Sunshine Tour – ce qui fait une sacrée quantité ! –, et j’ai retravaillé sur les lignes qui m’avaient causé des difficultés sur place. Et si la crise dure, oui, je ferai sûrement appel à des chefs de piste!

Hier, les Jeux olympiques ont officiellement été reportés d’un an jour pour jour. Saluez-vous cette décision?

Cette décision était logique et attendue. Même si l’Europe avait pu sortir de la crise d’ici quelques semaines, l’épidémie se propage progressivement dans d’autres régions du monde. Il faut aussi que l’économie, notamment l’économie du sport, se remette sur pied, ce qui n’aurait pas été possible cet été, y compris avec des JO décalés d’un mois. Même si je n’étais pas concerné par la course olympique, je pense notamment aux chevaux qui ont entre treize et quinze ans et qui devaient finir leur carrière par les Jeux...

De nombreuses personnalités du monde du sport, à l’image de Virginie Coupérie-Eiffel ou Christophe Ameeuw, et bien au-delà, voient cette terrible crise comme un signal d’alerte quant aux limites de notre système. Qu’en pensez-vous ?

Selon moi, l’économie du saut d’obstacles de haut niveau peut aujourd’hui s’apparenter au marché du luxe. On dit toujours de ce dernier qu’il traverse les crises plus facilement, ou moins difficilement, que les autres. La question est de savoir si les acteurs de notre sport, et notamment les sponsors, seront en mesure de faire redémarrer la machine. Notre sport est largement soutenu par deux horlogers (Longines et Rolex, ndlr), qui souffriront peut-être d’une relative baisse du pouvoir d’achat de sa clientèle. Effectivement, nous voyons bien que notre système économique, fondé sur la mondialisation et l’ultra-libéralisme, nous revient en pleine figure. Ensuite, il faut aussi être honnête et admettre que notre sport n’est pas le plus accessible ni le plus démocratique. Les gens feront toujours du cyclisme ou de l’athlétisme, parce que ces sports-là ne sont pas financiarisés. Du moins, même si les bulles du haut niveau de ces deux disciplines le sont, cela n’est pas comparable avec notre sport. Même à un petit niveau, l’équitation est plus coûteuse. Cette situation questionne l’avenir de notre sport. Avant cette crise, les chevaux pouvaient être amenés à sauter sur trois ou quatre continents différents à plusieurs semaines d’intervalle. Peut-être que ce sera moins possible à l’avenir. À mon sens, cette crise va forcément bouleverser les équilibres économiques. Y aura-t-il du mal pour du bien? Je n’ai pas les compétences pour trancher cette question et je pense qu’il est trop tôt pour pouvoir y répondre.