“Nous ferons tout pour nous adapter au mieux”, Yves Chauvin

Face à la crise sanitaire et aux mesures de confinement sans précédent qui ont été décrétées par le Gouvernement, la filière équine dans son ensemble est à l’arrêt. Cela concerne évidemment les élevages, haras et écuries professionnelles, notamment celles spécialisées dans la formation et la valorisation de jeunes chevaux et poneys de sport. Parmi les nombreuses questions taraudant les acteurs de ce secteur figurent la date de reprise des concours disputés sous l’égide de la Société hippique française et le sort des finales nationales, à commencer par celle de saut d’obstacles et de hunter, programmée du 28 août au 6 septembre à Fontainebleau. Celle-ci pourrait être reculée de quatre semaines, mais aucune décision ne sera prise avant la fin du mois, affirme Yves Chauvin, président de la SHF. Entretien.



Vous présidez la Société hippique française depuis juin 2012 et avez été réélu en 2019 pour un nouveau mandat de quatre ans. Vous attendiez-vous un jour à vivre une telle période? Et comment allez-vous, d’abord?

Cette période d’inquiétude et d’incertitude n’est pas simple à gérer, mais je vais bien. Non, je ne m’étais pas préparé à vivre cela, mais je crois que cette crise nous a quasiment tous profondément surpris. Désormais, elle est là et nous la traversons, alors nous devons essayer de nous adapter et de prendre les meilleures décisions possibles.

Comment cela va-t-il se traduire pour les circuits de formation et de valorisation des jeunes chevaux et poneys de sport orchestrés par la SHF?

Nous sommes encore dans une phase de réflexion et de concertation avec nos parties prenantes quant aux décisions à prendre. Concernant le saut d’obstacles, qui représente 80 à 85% du nombre de départs dans nos épreuves, hier, nous avons organisé une première réunion en téléconférence avec nos cavaliers référents dans chaque région ainsi que quelques autres grands utilisateurs de nos circuits à travers la France, afin de recueillir leurs témoignages et leur opinion, notamment au sujet des dates de la Grande Semaine de Fontainebleau. Pour huit à neuf cavaliers sur dix, la meilleure option serait de reculer ces finales nationales de quatre semaines, ce que nous permettrait le planning d’utilisation du Grand Parquet. Visiblement, une partie des éleveurs préféreraient un maintien à la date prévue. Dès aujourd’hui, nous allons également sonder les propriétaires, via une enquête électronique.

Quels qu’en soient les résultats, tout va dépendre de la date de reprise effective des concours. En effet, il nous faut trois mois de compétition pour éprouver les chevaux sans les solliciter trop souvent et opérer une sélection juste pour les finales. Aujourd’hui, cette date de reprise demeure très hypothétique. Compte tenu de cette grande incertitude, il me paraît délicat d’arrêter dès maintenant un choix qui pourrait être modifié dans quelques semaines. Nous avons donc décidé de continuer à sonder les points de vue de nos parties prenantes, suivre attentivement l’évolution de la situation sanitaire et de trancher la question de la date de la Grande Semaine de Fontainebleau fin avril. D’ici là, nous travaillons sur deux scenarii, l’un avec une reprise début juin et des finales aux dates initialement prévues et l’autre avec une reprise début juillet et des finales différées de quatre semaines. Pour bâtir ces deux scenarii, nous devons repenser notre circuit région par région en associant à notre réflexion tous les organisateurs de concours concernés. Nous avons déjà commencé à travailler en ce sens et allons évidemment continuer.



“L’arrêt des courses nous inquiète quant au fonds EPERON”

Comment imaginez-vous cette reprise?

J’espère évidemment qu’elle interviendra le plus tôt possible, sans toutefois faire courir de risques pour la santé de la population. Je suppose que le confinement ne sera levé que petit à petit. En effet, je vois mal l’État autoriser de nouveau toutes les manifestations publiques d’un coup d’un seul comme si de rien n’était. Même en respectant des consignes drastiques, un concours hippique rassemble vite beaucoup de personnes… On va évidemment suivre ce qui se passe en Chine et ce qui se passera en Italie, pays que l’épidémie a frappé une bonne dizaine de jours avant la France. Encore une fois, nous ferons tout pour nous adapter au mieux. Outre la date des finales de Fontainebleau, nous ajusterons aussi les seuils de qualification, le nombre minimal de parcours, etc.

Qu’en sera-t-il de vos circuits de concours complet, dressage et endurance?

L’impact sur ces disciplines est moins difficile à gérer dans le sens où le nombre d’épreuves nécessaire pour se qualifier est nettement plus faible et où les finales sont prévues plus tard dans l’année (celles de complet du 16 au 20 septembre à Pompadour, celles de dressage du 24 au 27 septembre à Saumur et celles d’endurance du 7 au 11 octobre à Uzès) et sur des sites au programme moins dense que celui du Grand Parquet. Si elles devaient être repoussées, le nombre d’acteurs concernés, y compris les partenaires, sponsors et exposants, seraient moins nombreux qu’à Fontainebleau. En outre, ces circuits concernent un nombre plus restreint de départs et de concours, ce qui facilite notre travail. Globalement, tout peut se faire de manière plus souple, donc nous arriverons plus facilement à remettre en place un circuit restreint et cohérent. Il y aura également des réunions de travail concernant le Sologn’Pony (programmé du 19 au 22 août, ndlr) et nos circuits de saut d’obstacles Poneys, ainsi que nos finales d’attelage (prévues les 3 et 4 octobre à Compiègne, ndlr).

Pour la SHF en tant qu’organisation, quel est et quel sera l’impact de cette crise? Le 24 mars, vous avez signé un appel commun avec Éric Rousseaux, président de la Société française des équidés de travail (SFET), pour réaffirmer le caractère crucial de la solidarité du secteur des courses, lequel s’exprime à travers le Fonds EPERON. Êtes-vous inquiet au sujet de la santé financière de la SHF?

Dès que les mesures de confinement ont été décrétées, nous avons mis une grande partie du personnel de la SHF au chômage partiel. Une équipe réduite s’affaire à la réorganisation des circuits, en télétravail à temps partiel. Autrement dit, nous faisons tout pour sauvegarder les finances de la SHF. Pour le reste, une grande part de notre budget, donc de nos actions, repose sur le fonds EPERON. Actuellement, les courses sont à l’arrêt, ce qui est forcément de nature à nous inquiéter. Le nombre de concours va baisser, réduisant mécaniquement le montant de nos actions, mais cela ne suffira pas. Le secteur des courses puisant actuellement dans le fonds EPERON pour atténuer les effets financiers néfastes de cette crise sur sa propre activité, la question de l’alimentation du fonds et de la part qui nous en revient se pose automatiquement. C’est pourquoi la SHF et la SFET ont jugé important de rappeler l’absolue nécessité de cette solidarité du secteur des courses. Si besoin, je rappellerai aussi que le cheval et le poney de sport s’inscrivent dans un cycle bien plus long que les chevaux de course, dans le sens où la formation de nos équidés commence à l’âge où s’achève la carrière d’un Pur-sang courant sur le plat, par exemple.



“L’année 2021 pourrait marquer un renouveau”

Dans un post publié samedi soir sur Facebook, Jean-Luc Dufour, éleveur et membre du comité exécutif de la SHF, a livré une synthèse des conclusions d’une concertation concernant l’avenir du Cycle classique de saut d’obstacles. Comment avez-vous accueilli les nombreuses remarques et propositions qui découlent de ce travail?

Pour moi, tout cela est extrêmement positif. Quand on lance ce type de consultation, on reçoit naturellement quelques idées excessives ou fantaisistes, mais je voudrais saluer le grand nombre de réponses reçues ainsi que la quantité et la qualité des propositions qui ont été formulées et très bien synthétisées par Jean-Luc Dufour, dont je suis très proche. C’est lui qui avait émis l’idée de cette consultation. N’ayant pas de compte Facebook, j’aurais difficilement pu le faire moi-même! En tout cas, il a idéalement utilisé ces nouveaux moyens de communication. Il y a vraiment beaucoup de bonnes idées. Nous devons les analyser et nous appuyer sur ce travail pour réformer notre circuit en 2021, avec l’ambition d’être plus performants demain. Cela peut concerner les dates des finales, les qualifications, les dotations, etc. D’une certaine manière, ce coronavirus nous donne l’opportunité de réfléchir à notre avenir et à celui de nos circuits. Sans doute est-ce aussi une période plus propice que d’autres pour faire adopter des réformes justes et ambitieuses pour notre filière. En ce sens, 2020 pourrait être une passerelle vers une année 2021 du renouveau.

Plus globalement et à moyen terme, comment et dans quelle mesure cette crise sanitaire et économique affectera-t-elle le secteur de l’élevage? Pour l’instant, on entend beaucoup parler des centres équestres, confrontés à la chute brutale de leur revenus, mais comment vont les élevages, haras et écuries de formation et valorisation?

D’abord, concernant les cavaliers, beaucoup de professionnels se retrouvent dans une situation abominablement difficile. Malgré leur baisse de revenus, leurs chevaux doivent être nourris, soignés, sortis et montés. De plus, vu que la crise dure, certains éleveurs et/ou propriétaires risquent de vouloir remettre leurs chevaux au pré en attendant la reprise de l’activité. Ensuite, alors que nous sommes en tout début de période de monte, nombre d’éleveurs pourraient décider de ne pas faire saillir leurs juments cette année, ce qui impacterait fortement les étalonniers et centres d’insémination. À ce stade, il est encore trop tôt pour mesurer ce phénomène, mais le nombre de naissances pourrait repartir à la baisse l’an prochain, d’autant que le coût de production d’un poulain ne cesse d’augmenter compte tenu du coût de la semence des reproducteurs de qualité et des nouvelles techniques d’insémination.

Enfin, à plus long terme, je m’inquiète de l’état général de l’économie. En effet, la bonne santé de l’élevage dépend d’abord de sa capacité à commercialiser ses produits aux consommateurs d’équitation, quel que soit leur niveau. Ce qui se passe aujourd’hui aura des effets pendant longtemps dans le sens où il faudra bien rembourser tout l’argent public dépensé aujourd’hui et où l’on ne peut pas empêcher toute destruction de valeur. À titre personnel, toutes mes affaires sont arrêtées alors j’en tirerai forcément moins de revenus en 2020 que les années précédentes. Cela pourrait conduire des cavaliers ou potentiels propriétaires à différer leurs investissements ou achats. Comment se portera le marché du cheval de sport demain et après-demain? On peut difficilement le prévoir, mais on peut se poser des questions. Quoi qu’il en soit et à tout point de vue, espérons surtout que cette crise sera la moins longue possible.