“Nous allons devoir nous habituer à vivre avec cette maladie”, Marc Dilasser

Sacré champion de France en 2016, Marc Dilasser revient petit à petit sur le devant de la scène, notamment grâce à Arioto*du Gevres, huitième du Grand Prix CSI 5* de Dinard à neuf ans, ou encore Vital Chance*de la Roque et Abricot Ennemmelle. Fort de son nouveau fonctionnement, mis en place depuis 2013, le Breton installé dans l’Orne profite du confinement, lié à la pandémie de Covid-19, pour préparer la relève. Il ne cache pas non plus sa volonté de revêtir à nouveau la veste de l’équipe de France.



Le confinement devrait encore s’étendre au moins jusqu’au 11 mai en France. Comment se passe cette période si particulière pour vous?

Tout se passe très bien. Nous avons de très bonnes conditions de vie près de chevaux. Nous sommes privilégiés: nous continuons à entraîner nos chevaux et à vivre en famille. À côté de cela, nous restons sur le pied de guerre pour nous occuper de nos montures et les maintenir en forme pour la reprise.

Avez-vous adapté le programme de travail de vos chevaux, sachant qu’il n’y a plus aucun concours programmés avant plusieurs semaines?

J’ai adapté le programme en fonction de chaque cheval. Les jeunes, par exemple, continuent à s’entraîner comme si nous vivions une saison classique. Ils font des exercices afin de ne pas prendre de retard techniquement. Les chevaux plus âgés et aguerris continuent aussi à bosser, mais de façon plus légère, en faisant de la gymnastique. Tous sortent trois fois par jour. Ils font une séance de tapis roulant, profitent des bons paddocks normands et travaillent une fois : sur le plat, de petits exercices de gymnastique, en extérieur ou à la longe. Dans tous les cas, ils ont besoin de beaucoup bouger. Nous sollicitons moins leurs articulations mais nous devons les entretenir au maximum pour qu’ils ne perdent pas de densité musculaire. 

Vous avez formé de nombreux jeunes chevaux dans votre carrière, dont certains, à l’image de Lamm de Fétan et Qlassic Bois Margot, ont brillé au plus haut niveau. Quelle place accordez-vous à ces talents de demain dans votre système?

Leur place est essentielle. J’ai toujours un vivier de jeunes chevaux chez moi, cela me passionne. Mes partenaires et clients sont également passionnés. J’aime former et construire mes chevaux. En ce moment, nous passons beaucoup plus de temps à nous occuper d’eux, puisque nous sommes à la maison sept jours sur sept contre trois d’habitude. L’an dernier, je crois que j’ai concouru quarante-huit week-ends sur cinquante-deux. Là, nous avons la possibilité de prendre notre temps, d’aller au fond des choses et de les faire avancer techniquement.

Ne craignez-vous pas que l’absence de concours pénalise très fortement les jeunes chevaux?

Nous avons vraiment besoin que ces chevaux prennent de l’expérience. Il faut aussi que nous ayons des vidéos à l’extérieur pour pouvoir les montrer à de potentiels acheteurs. Cette filière de formation a besoin de repartir, et elle doit repartir en premier. Nous essayons d’échanger régulièrement avec Christian Hermon (ancien cavalier de l’équipe de France, notamment avec Éphèbe For Ever, ndlr), François-Xavier Boudant (cavalier des jeunes chevaux de plusieurs élevages français, ndlr) et même Yves Chauvin (président de la Société hippique française, ndlr). Il y a des pistes pour que les chevaux de cinq, six et sept ans puissent reprendre par des épreuves d’entraînement (dont les résultats ne comptent pas de façon officielle, ndlr) dans les semaines à venir. Pour le Cycle classique, organiser des concours à huis-clos nous rapprocherait des conditions habituelles. En tout cas, des protocoles de reprise ont été envoyés au ministère de l’Agriculture et nous attendons un retour. Nous espérons une reprise en juin ou juillet.

Vous êtes propriétaire de votre structure depuis plusieurs années déjà. Comment s’organise votre système?

Nous avons acheté le haras du Millenium au tout début de l’année 2013. J’avais commencé la saison avec trois chevaux de CSI 5*: Obiwan de Pilière, Dame Blanche van Arenberg et Qamaïeu de Montsec. Tous trois ont été vendus la même année et je me suis retrouvé le bec dans l’eau puisque je n’avais pas préparé mon avenir. Quand on concourt à haut niveau, il est très difficile de former des jeunes chevaux. Nous avons donc construit des boxes et embauché un cavalier (Rémi Nève actuellement, ndlr), pour développer cette partie-là. Ensuite, je récupère les meilleurs à six ou sept ans.

Parmi vos jeunes chevaux, certains sortent-ils du lot ?

J’essaie, d’année en année, de rendre le lot le plus homogène possible. J’en ai de très bons qui ont cinq ans. J’ai en copropriété avec le Haras de Kreisker et d’autres investisseurs Folie de Nantuel (SF, Luidam x Diamant de Semilly), la propre sœur de Candy de Nantuel. J’ai également Festif des Biches (SF, Kannan x Robin II), que nous avions acheté au haras des Biches l’an dernier, et Fangio du Lys (SF, Contendro x Heartbreaker), qui avait été acheté à trois ans aux ventes Fences (47 000 euros, ndlr). Ces trois chevaux ont un très gros potentiel.



“Si les portes de l’équipe de France se rouvrent, je serai très fier de participer à cette aventure”

Abricot Ennemelle (SF, Quaprice Boimargot x Lux Z), dix ans, a démontré de belles choses l’an passé, remportant notamment le Grand National de Pernay et se classant septième du championnat Pro Élite au Master Pro de Fontainebleau. Quelles sont vos ambitions avec lui?

Je crois beaucoup en lui. Il est arrivé chez nous à cinq ans. C’est le premier cheval qui sort de ma nouvelle organisation. Je l’ai fait acheter à Géraldine Hieronimus début 2018. Il a énormément de sang donc il m’a fallu quelque peu dompter tout cela. L’an dernier, il a montré de très belles choses. J’ai pris mon temps mais cette année il partait pour faire une très bonne saison et aborder les Grands Prix CSI 5*.

Vital Chance*de la Roque (SF, Diamant de Semilly x Diamant du Poncel) semblait lui aussi monter en puissance ces derniers mois. A-t-il le potentiel pour briller très haut niveau?

Il a déjà sauté les deux Grands Prix à Bordeaux, où il a montré de très belles qualités (sortant de piste avec quatre points à chaque fois, ndlr). Il évolue déjà au niveau 5*. Je devais aller à Dortmund puis Thierry Pomel (sélectionneur national, ndlr) m’avait donné ma chance pour le Saut Hermès au Grand Palais. Il y avait plein de projets sportifs autour de lui. Il était sur une vraie pente ascendante et les portes du haut niveau lui étaient ouvertes. 

Si l’on ajoute à cette liste Arioto*du Gevres (SF, Diamant de Semilly x Qualisco III), classé l’été dernier dans le Grand Prix CSI 5* de Dinard, vous disposez d’un solide piquet. Ambitionnez-vous de retrouver l’équipe de France?

J’avais trois chevaux pour participer à de belles choses cette année. L’équipe fédérale, formée de Sophie Dubourg (directrice technique nationale, ndlr), Henk Nooren (formateur, ndlr) et Thierry Pomel, croit en mon système. Nous travaillons dur et j’ai des partenaires très solides, qui me soutiennent pour me permettre d’évoluer dans le grand sport. Nous faisons tout pour accéder au plus haut niveau alors les portes de l’équipe de France se rouvrent, bien sûr, je serai partant. Nous serions très heureux et fiers de participer à cette aventure.

Le Covid-19 remet profondément notre monde en question. Appréhendez-vous la crise qui risque de découler de cette période?

Pour dire le contraire, il faudrait ne pas habiter la planète terre. Je pense que tout le monde va subir des conséquences plus ou moins graves, mais je ne suis ni économiste, ni épidémiologiste et encore moins voyant. Je crois qu’il faut simplement commencer à regarder devant nous. Nous allons devoir nous habituer à vivre avec cette maladie. Il faut s’organiser, réfléchir à comment repartir, le plus vite et le moins mal possible. Aujourd’hui, les questions sont surtout là.

Comme d’autres cavaliers, vous avez fait preuve de solidarité, en vendant notamment une œuvre d’art. Quel regard portez-vous sur cet élan?

Notre fédération compte 650 000 licenciés. Philippe (Rozier, ndlr) a insufflé un bel élan et je crois que cette solidarité est contagieuse. Tout le monde peut, à sa manière, essayer de participer: via les cagnottes, les coups de mains, en mettant à disposition des prairies libres. Il y a une multitude de possibilités et je crois qu’il n’y a pas de petite ou grande solidarité. Il fallait lancer quelque chose et Philippe l’a fait avec brio. Maintenant, il faut que tout le monde s’y mette. Toute la filière doit se mobiliser pour que les centres équestres parviennent à s’en sortir.