La belle histoire de Sirius Black

Le week-end dernier à Deauville, Sirius Black et Edward Levy remportaient de brillante manière le Grand Prix Longines de la région Normandie au Longines Deauville Classic. Ce cheval au look attrayant et qui ne laisse personne indifférent est le fruit de belles histoires d’amitié.



L’histoire de Sirius Black commence sur la carrière de Bruno Coutureau, installé à Gonneville-sur-Mer, tout près d’Houlgate et Cabourg, dans le Calvados. A l’époque, j’avais une jument avec laquelle je concourais en CSI 3*, qui s’appelait Maidelis d’Elke. Quand mon voisin l’a vue sauter à la maison, il a trouvé qu’elle se débrouillait bien et m’a demandé qui en était le père. Je lui ai répondu que c’était Calisco du Pitray, un étalon qui faisait la monte à Lisieux. Il a alors décidé de lui amener sa jument, Us et Coutumes, une formidable jument de concours qui avait évolué à 1,35m et 1,40m avec son fils. C’est ainsi qu’est né Sirius, un peu par un heureux hasard, chez les Dubuisson-Luchaire. C’étaient des gens très connaisseurs, qui avaient été parmi les premiers, dès les années 1960, à avoir un étalon privé. Il s’appelait Nykio et c’est l’arrière-grand-père maternel de Sirius, explique Bruno Coutureau.

Sirius Black est donc le fruit du croisement de Calisco du Pitray et Us et Coutumes (ISO 150), fille de l’excellent Pur-sang Laudanum. Étalon assez méconnu, Calisco du Pitray est issu de deux très grands performeurs: Olisco (Jalisco B), trois-quarts frère de Quick Star, qui a concouru au plus haut niveau aux États-Unis, et Krichna III (Night and Day, Ps), qui s’est illustrée dans les plus grandes épreuves avec André Chenu, obtenant un ISO173, et dont Calisco du Pitray est le seul produit. Accidenté assez jeune, celui-ci a connu une courte carrière sportive agrémentée d’un ISO 133 obtenu à six ans. Il a commencé la monte à huit ans, mais n’a jamais connu un réel succès, engendrant moins de huit poulains de moyenne par an. Parmi ses quatre-vingt-onze produits ayant concouru se dégagent Latina du Pitray (ISO 166), qui a accompli une bonne carrière avec Bruno Rocuet et Julien Épaillard, Sirius Black (ISO 163), Maidelis d’Elke (ISO 158) avec Bruno Coutureau, Télémaque d’Auzoux (ISO 157) avec Pierre-Louis Roche et actuellement sous la selle d’Axelle Lagoubie, Oxygène d’Églefin (ISO 156), double championne de France Pro 2 puis Pro 1 avec Tony Hanquinquant, ou encore Topsecret d’Églefin (ICC 151), qui a notamment gagné la Coupe des nations du Pin-au-Haras avec Nicolas Touzaint. 

Sirius Black est issu d’une souche maternelle très sérieuse, où l’on trouve de très bons gagnants Selle Français à chaque génération, à l’instar de Vinecheska Jeclai’s (ICC 151, Quite Easy), Mélodie de Léan (ISO 151, Super de Bourrière), internationale aux Émirats arabes unis, Alvéole du Marais (ISO 152, Quappa), Tatoo des Trambles (ISO 155, Gio Granno), Belle des Prés (ISO 158, Melkior du Montois), Sauleto Landa (Calvaro) international au Portugal, Iman d’Occagnes, vu CSI4* avec le Suisse Olivier Bourqui, Bluemuch des Baleines (Chacco-Blue) qui débute en Grands Prix CSI 4* depuis la fin du confinement avec Roger-Yves Bost, et surtout l’extraordinaire Auleto (Spoleto, Ps), auteur fit d’une fantastique carrière avec Michel Robert, obtenant un ISO 194, le deuxième meilleur indice de tous les temps (derrière Thor des Chaînes, ISO 195, et ex æquo avec Rochet Rouge*M). 

Clin d’œil du destin, c’est encore dans la carrière de Bruno Coutureau que va se jouer une partie de l’avenir de Sirius Black. “J’avais vu Sirius quand il avait trois ans et était tout juste débourré. Il était venu sauter sur ma carrière, il y avait un petit obstacle avec un bidet, que le cheval avait sauté sans regarder. J’avais trouvé qu’il avait un mental incroyable. C’est moi qui ai fait débuter Sirius en concours à cinq ans. Les deux premières saisons, il enchaînait déjà par mal de sans-faute et mon épouse, Sophie Pélissier-Coutureau, l’a acheté en début de saison de sept ans”, explique le Normand.

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Une entente immédiate avec Edward Levy

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Bruno Coutureau monte Sirius jusqu’à l’âge de dix ans, l’amenant jusqu’en Grands Prix CSI 3*, avant de se décider à le vendre à Edward Levy, un cavalier qu’il connaissait depuis qu’il était adolescent. “Quand je montais Sirius dans des épreuves à 1,35m ou 1,40m, il y avait toujours quelqu’un à la sortie pour me demander s’il était à vendre. Il qui attirait forcément l’œil. C’est un cheval incroyable. Sa qualité première n’est pas sa force ni ses moyens, mais son mental: il est très généreux. Il n’est pas comme les autres: il est si léger qu’on a l’impression de monter un Pur-sang. Sirius est d’une gentillesse incroyable: je le prenais souvent pour aller à la plage à Cabourg, où il croisait des Trotteurs attelés ou des gamins à poney et il ne bougeait jamais, ne montrant aucune émotion. Après le Grand Prix CSI 3* de Saint-Lô, en octobre 2016, nous avons reçu pas mal de propositions, et nous nous sommes tournés vers Edward Levy, car il y avait un côté sentimental avec lui. Edward a travaillé deux ans avec ma femme et lui avait loué Iguana de Fontaine, avec laquelle il avait été sacré champion de France Cadets.” 

Bruno Coutureau est bien évidemment aux anges après la victoire de Sirius à Deauville, à quelques encablures de ses écuries, samedi dernier dans le Grand Prix Longines de la région Normandie. Une satisfaction d’autant plus grande qu’il a également pu assister à une très belle performance de Venezia d’Elke (Toulon), une jument qu’il a formée et qui est sortie de ce difficile Grand Prix avec le score très honorable de cinq points sous la selle de Charlotte Léoni. “Je suis plus un formateur qu’un compétiteur. Aussi, quand je vois deux chevaux que j’ai formés dans un tel Grand Prix, dont un qui gagne, c’est incroyable. En plus, Venezia a été formidable et n’est pas passée loin du sans-faute. C’était un joli week-end où les planètes s’étaient alignées, puisque, dans le même temps, un cheval que ma femme a fait naître, Triton Fontaine (SF, Gentleman IV), a gagné la Coupe des nations et fini cinquième en individuel avec Karim Laghouag du CCIO 4*-S, lors du Grand Complet du Pin.”

C’était déjà à Deauville que Sirius Black avait tapé pour la première fois dans l’œil d’Edward Levy. C’est une belle histoire, parce que j’avais monté chez Sophie et Bruno quand j’avais treize ou quatorze ans et Sophie m’avait passé Iguana de Fontaine, qui m’avait permis de courir de bonnes épreuves et avec laquelle j’avais été titré champion de France Cadets. Je me souviens très bien de la première fois où j’ai vu Sirius en concours. Je revenais des Etats-Unis et il y avait un Grand National à Deauville. J’étais passé regarder le Grand Prix. Au loin, j’ai vu Sirius sauter le parcours. Il y avait une ligne en cinq foulées, Bruno lui en a demandé quatre et le cheval a produit un saut de folie. Je suis allé le voir en lui demandant qui était ce cheval. Quelque temps plus tard, je suis allé l’essayer chez Sophie et Bruno. Un essai symbolique puisque j’ai juste effectué une quinzaine de sauts. Quand je l’ai vu au box la première fois, j’ai tout de suite eu un coup de foudre. Il faut dire qu’il a un physique, une prestance et un œil qui ne laissent pas indifférent. J’ai eu la chance que Show Jump International me suive, achetant 75% du cheval. Sophie et Bruno en ont gardé 25%.”

L’entente est quasi immédiate et le nouveau couple gravit les échelons à vitesse grand V. “J’ai sauté 1,30m et 1,40m au Mans, et le cheval était bien, puis 1,45m à Saint-Lô puis assez vite 1,50m. J’ai été sélectionné pour ma première Coupe des nations avec lui au Danemark six mois plus tard après un chouette concours à Bourg-en-Bresse. Nous avions réussi un double sans-faute dans la Coupe et fini huitième du Grand Prix (en glissant au barrage, ce qui les avait peut-être privés de la victoire, ndlr). Le premier coup d’éclat et le premier grand moment avec Sirius a été mon premier CSI 5*, à Valence. J’avais vingt et un ans et j’étais un peu là comme le petit nouveau au milieu de tous les grands cavaliers. Sirius avait signé un sans-faute dans le Grand Prix et nous étions les seuls Français au barrage. Evidemment, j’étais trois secondes derrière tout le monde et j’avais fini dixième, mais j’avais senti pour la première fois que ce cheval n’a pas de limites. Après, il y a eu le CSIO 5* de Gijón où nous avons gagné la Coupe, puis je me suis même retrouvé cinquième de l’équipe de France pour la finale des Coupes des nations Longines à Barcelone alors que Sirius était chez moi depuis moins d’un an. Ensuite, il y a eu le Longines Masters de Paris, où nous nous sommes classés dans le Grand Prix, puis tout s’est enchaîné. Ce cheval m’a tout de suite propulsé à haut niveau et permis d’accomplir un bond extraordinaire pour moi. C’est vraiment le cheval qui m’a ouvert les portes et permis de m’aguerrir et de pouvoir amener ensuite d’autres chevaux à ce niveau”, raconte Edward. 



Un cheval de cœur

© Marc Verrier

Depuis, le couple n’a cessé de confirmer au plus haut niveau, jusqu’à cette victoire à Deauville. Très souvent classé, Sirius n’avait cependant pas encore gagné beaucoup d’épreuves dans sa carrière. “C’est un cheval assez félin. Par moments, dans les barrages, il joue un peu avec moi, ce qui peut nous faire perdre quelques dixièmes de seconde. Pour autant, il est incroyable, parce qu’il a encore franchi un cap à quatorze ans. Je dois dire qu’il est devenu très, très concours et qu’il a très envie. Je ne sais pas s’il progresse encore, mais moi, j’ai changé des choses pour lui. Avant, il avait déjà réussi de bonnes choses, mais le fait de sortir beaucoup en extérieur pendant le confinement a permis à Sirius de se développer, de devenir frais et fort. Je me suis dit que c’était peut-être la solution à son âge. Je l’emmène beaucoup sur des pistes de galop et des chemins avec beaucoup de dénivelé. Je le maintiens comme ça. C’est un cheval tellement intelligent qu’à la sortie du confinement, le seul de mon écurie qui aurait pu sauter le Grand Prix CSI 4* de l’Hubside Jumping de Grimaud, c’était lui. Je l’ai donc engagé, et il a réussi un double sans-faute et terminé huitième. Il peut rester trois mois sans concours et courir un Grand Prix comme s’il avait sauté la veille. Il est vraiment d’une intelligence rare”, explique le jeune homme de vingt-quatre ans. 

Comme souvent avec les chevaux très près du sang, il faut apprendre à composer et à s’adapter à eux, ce qu’a parfaitement su faire Edward avec celui qui est devenu son cheval de cœur. “C’est un cheval auquel on ne peut pas tout imposer, c’est du 50/50. Si on arrive à lui faire croire que c’est du 60/40 pour lui, il se transcende encore plus. Il est si intelligent et bon que j’ai presque envie de dire que je m’en remets de toute façon à lui car, de nous deux, c’est lui qui fera le moins de conneries. Il a beaucoup de ressources en l’air et peut partir de loin sur un oxer sans être gêné par la largeur. À la maison, c’est un seigneur, mais il est très facile à gérer. Aujourd’hui, Sirius est tellement avec moi et sûr de lui que ma seule préoccupation est de l’avoir mentalement et physiquement frais. Une fois passé un certain stade de la carrière d’un cheval, quand il a la maturité technique et le dressage, même s’il y a toujours des petits ajustements, le gros du travail est fait. Quand on peut compter sur des chevaux intelligents et respectueux, il faut juste essayer de les maintenir heureux pour qu’ils gardent l’étincelle et l’envie de se battre pour nous.”

Comme tous les cavaliers, surtout en début de carrière, Edward Levy a besoin de vendre des chevaux pour assurer la pérennité économique de son entreprise. Vu ses performances, et même à quatorze ans, Sirius Black affiche une valeur marchande indéniable. S’il n’exclut pas de le vendre, qui plus est en année pré-olympique, on sent qu’Edward aimerait bien pouvoir garder son chouchou jusqu’au bout. “Il n’est pas sur le marché. Il a une valeur sentimentale et presque familiale vis-à-vis de cette histoire avec les Coutureau. Maintenant, nous avons tous besoin d’avancer, alors si jamais une opportunité se présentait, que nous savions que le cheval serait heureux et qu’il pourrait finir sa carrière dans une très bonne maison en sautant gentiment de plus petites épreuves, rien n’est exclu. Aujourd’hui, il est encore en pleine forme alors il continuera à sauter de bonnes épreuves avec nous, donc c’est chouette. J’ai la chance de pouvoir compter sur trois chevaux pour ces grosses épreuves, donc je peux gérer Sirius au mieux. Rebeca LS et Uno de Cerisy vont partir à Saint-Tropez pour deux semaines et Sirius reste tranquille trois semaines avant de reprendre. J’espère qu’il pourra y avoir des beaux concours indoor, parce que Sirius est également très performant à l’intérieur. Sur sable, sur herbe, en extérieur ou en indoor, qu’il pleuve ou qu’il vente, il est bon partout de toute façon. » 

Étalon approuvé, Sirius Black a cependant toujours été consacré en priorité à la compétition, aussi bien par Bruno Coutureau qu’Edward Levy. Il a cependant engendré deux pouliches en monte naturelle pour le compte du premier nommé: Figg Blac, qui fait belle impression sur le Cycle classique des chevaux de cinq ans, et Guilhou Black, qui a été mise à la reproduction, donnant naissance cette année à un produit d’Untouchable avant d’être testée l’an prochain en compétition par Bruno Coutureau. Guilhou Black est une fille d’Iguana Fontaine, la jument championne de France Cadets avec Edward. Si elle montre un bon potentiel, peut-être se retrouvera-t-elle un jour sous la selle du cavalier installé aux écuries de Lécaude, qui sait? Et la belle histoire pourrait alors se poursuivre…



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