“Plus le temps avance, moins j’ai l’impression d’en savoir sur la situation sanitaire actuelle”, Kevin Staut

Insatiable de concours, Kevin Staut a bien dû s’adapter à la baisse drastique du nombre de compétitions de haut rang cette saison en raison de la crise sanitaire engendrée par la pandémie de Covid-19. Heureusement, l’amoureux de la veste bleue de l’équipe de France et fin technicien a pu se confronter aux meilleurs à l’occasion de onze week-ends de compétition à Grimaud. Pour GRANDPRIX, celui qui fêtera ses quarante ans dans tout juste un mois a évoqué la situation sanitaire actuelle, les progrès de Viking d’la Rousserie et de Tolède de Mescam, la retraite de Calevo 2, ses incertitudes quant à la saison indoor et aux Jeux olympiques de Tokyo, ainsi que les épineux sujets du classement mondial et des pay-cards.



Meilleur cheval du Français, Viking d'la Rousserie a désormais atteint une maturité qui laisse entrevoir de belles choses.

Meilleur cheval du Français, Viking d'la Rousserie a désormais atteint une maturité qui laisse entrevoir de belles choses.

© Sportfot

Vous vous apprêtez à courir votre onzième week-end de compétition à Grimaud, dans le cadre de l’Hubside Jumping. Pour vous qui êtes habitué à voyager à travers le monde chaque week-end, n’est-il pas moins excitant de se rendre si régulièrement au même endroit? Quels en sont les bons côtés?

Il est vrai que nous nous sommes résolus assez tôt dans la saison à oublier au moins un temps le côté exotique des voyages. Effectivement, d’ordinaire, nous avons l’habitude de voyager aux quatre coins du monde et j’ai cette chance. Par rapport aux prévisions que nous avions pendant le confinement, nous sommes tout de même chanceux de pouvoir compter sur ce site de Grimaud, qui a pu accueillir de nombreux concours avec des dotations intéressantes. Nous avons pu faire concourir nos chevaux en réalisant un roulement dans des concours de niveau CSI 4* ou 5*. Ceux-ci étaient d’ailleurs jumelés avec des CSI 2*, ce qui nous permettait d’emmener cinq ou six chevaux chaque semaine, dont des jeunes. D’ordinaire, sur le circuit traditionnel de CSI 5*, nous ne pouvons souvent emmener que deux chevaux et il est très rare que nous puissions en engager davantage dans le CSI 2*, qui n’est pas ouvert aux cavaliers professionnels. Il y a eu plein de côtés positifs, dont la qualité des infrastructures. Au bout de onze semaines, on peut s’habituer et moins voir les bons côtés, mais il faut reconnaître que les installations sont exceptionnelles. Le côté sédentaire est intéressant car les voyages incessants nous usent physiquement, ainsi que nos équipes et nos chevaux. Nous ne sommes plus dans les avions en permanence pour aller très loin. Et puis, il y a pire que le sud-est de la France!

Pour vous qui êtes si attaché à la veste bleue et au col rouge de l’équipe de France, comment vivez-vous cette année blanche en termes de Coupes des nations?

Eh bien l’année ne sera pas blanche car j’irai au CSIO 3* de Vilamoura (programmé du 16 au 19 novembre, ndlr)! Cela s’est décidé le week-end passé en concertation avec Thierry Pomel et Édouard Coupérie. Ils veulent envoyer deux équipes différentes à Vilamoura et à Vejer de la Frontera (du 26 au 29 novembre, ndlr). Cela me tentait, j’avais vraiment envie de prendre de nouveau part à une Coupe des nations. J’y monterai Tolède. On peut toutefois dire que nous avons vécu une année quasiment blanche en Coupes des nations, et cela me manque. Nous avons beaucoup soutenu la finale de Barcelone, qui n’a malheureusement pas pu avoir lieu en raison des mesures sanitaires imposées sur place. Il a été question qu’un CSIO soit organisé à Grimaud, mais nous étions soi-disant trop en retard dans les délais vis-à-vis de la Fédération équestre internationale (FEI, qui impose un délai de douze semaines entre le dépôt de la demande et le premier jour du concours, ndlr). Nous avons essayé par tous les moyens d’organiser des CSIO et des organisateurs nous ont soutenus. Nous nous sommes aussi battus pour que les championnats d’Europe puissent se tenir l’an prochain (Ludger Beerbaum s’est dit prêt à accueillir l’évènement au sein de ses installations de Riesenbeck, ndlr). Même si cette année est très compliquée, nous essayons de prévoir de belles Coupes des nations et de beaux championnats la saison prochaine. 

En huit Grands Prix CSI 4* ou 5* courus en 2020, Viking d’la Rousserie n’a jamais commis plus d’une faute et s’est notamment classé quatrième et cinquième de Grands Prix CSI 5* à Grimaud. Comment jugez-vous l’évolution de ce hongre de onze ans?

Par rapport à la saison dernière, il a réussi exactement ce que j’attendais de lui, c’est-à-dire gagner en régularité. Chaque cheval au-dessus du lot doit obtenir cette constance pour envisager de prendre part à des championnats. Le fait que je puisse avoir ce recul sur Viking, grâce à cette saison, me permettrait – si les Jeux olympiques ont lieu l’an prochain et que le cheval est sélectionné – d’aborder l’échéance avec un peu plus de sérénité. Ce qui reste irrégulier, c’est son caractère, mais c’est aussi cette personnalité qui le rend performant en piste.

À aujourd’hui onze ans, le sentez-vous prêt à remporter un Grand Prix CSI 5* et à aller vite au barrage?

Oui, je pense. Il est désormais mûr pour cela. 



“Tolède connaît une formidable évolution”

Kevin Staut ne tarit pas d'éloges sur Tolède de Mescam, qui a passé un cap.

Kevin Staut ne tarit pas d'éloges sur Tolède de Mescam, qui a passé un cap.

© Sportfot

Avez-vous bon espoir que les JO puissent se tenir l’été prochain?

Je suis partagé entre l’annonce du vice-président du CIO (l’Australien John Coates, ndlr) qui disait il y a un mois que les Jeux auraient lieu, Covid-19 ou non, et l’évolution des choses. Cela dépend tellement de la façon dont nous allons traverser l’hiver, de l’éventualité qu’un vaccin soit trouvé… Plus le temps avance, moins j’ai l’impression d’en savoir sur la situation sanitaire actuelle donc je préfère ne pas me prononcer sur l’organisation des Jeux de Tokyo. Tout me semble si démesuré que je préfère ne pas faire de pronostics. Toutes les annonces se contredisent de jour en jour et d’heure en heure donc il faut rester prudent face au prévisionnel.

Comment jugez-vous l’évolution des chevaux que vous avez récupérés au cours de ces derniers mois, à l’instar de Visconti du Telman, Tolède de Mescam, ou encore Vegas de la Folie?

Vegas a quitté mes écuries car le but était de le commercialiser d’ici la fin de l’année, comme il a douze ans. Cela s’est décidé avec son propriétaire Jean Coelho et Jérôme Hurel, qui a toujours été intégré aux discussions. Le cheval a réussi une belle performance à Aix-la-Chapelle, où il s’est classé cinquième du Grand Prix CSI 3*. Par la suite, il a été décidé qu’il reparte soit en premier cheval chez Jérôme, soit dans une écurie avec une démarche purement commerciale. Le cap des treize ans a tendance à beaucoup refroidir les potentiels acheteurs. Lorsque Vegas est arrivé dans mes écuries en début de saison, l’objectif était clair. Si la saison avait été normale, cela aurait été plus évident, notamment si des cavaliers américains avaient pu venir en Europe car c’est un cheval qui aurait pu plaire à ces clients. Il est reparti pour que nous puissions entrevoir une opération commerciale dans les deux mois qui viennent. Pour Visconti, mon sentiment est toujours le même qu’en début d’année. Parfois, on s’attache à des chevaux sans raison particulière, si ce n’est qu’elle est performante et qu’elle réalise des sans-faute dans de belles épreuves. Au retour du confinement, elle a mis un peu de temps à se remettre dans le bain, mais ce n’est pas pour autant que je l’aime moins. J’adore la monter. Elle recommence à être très performante et a réalisé trois bons concours dernièrement. Tolède connaît quant à elle une formidable évolution. Au départ, nous étions loin d’être réguliers et elle était davantage positionnée comme bon deuxième cheval, afin de relayer régulièrement Viking. Lors des deux derniers Grands Prix CSI 5* qu’elle a courus à Grimaud, elle a signé des sans-faute en se classant une fois neuvième et l’autre onzième. Il reste des choses à peaufiner, mais elle commence à être très régulière et à sauter de gros parcours avec facilité. 

Quid de Cheppetta, qui n’a plus concouru depuis mi-juillet?

Cheppetta va bien. Après son dernier concours à Grimaud, nous avons fait des tests en vue d’effectuer des transferts d’embryon, ce que ses propriétaires souhaitent vivement. C’est pour cela qu’elle n’a pas sauté depuis, mais elle devrait reprendre la compétition prochainement à Vilamoura. 

Comment se porte Calevo 2, qui n’a plus concouru depuis plus d’un an?

Nous avons toujours espéré qu’il revienne, mais définitivement, cela n’arrivera pas. Le contrôle clinique et les radiographies de la lésion au grasset montrent qu’il ne pourra pas revenir. Pour l’heure, il reste dans mes écuries car nous essayons de le préparer à sa retraite. Ce cheval est adorable. Il va en prairie tous les jours. Pour le moment, cela se passe très bien. Je pense qu’à moyen terme, il va repartir chez son propriétaire en Pologne, qui a de très belles infrastructures à Sopot.

Comment évoluent vos plus jeunes chevaux?

J’ai un bon lot de chevaux âgés de cinq à sept ans. Je pense être l’un des derniers cavaliers à avoir opté pour ce système, car tout le monde fait cela depuis longtemps. Je commence toutefois à avoir un certain nombre de chevaux de six ou sept ans chaque saison. C’est mon objectif, afin que dans ces générations, un ou deux chevaux sortent du lot. J’essaie d’être assez objectif mais aussi très patient. Forcément, dans tout effectif, il y a des chevaux blessés, d’autres qui se révèlent décevants, certains sont super puis les choses s’inversent… J’essaie de le faire davantage dans une logique de formateur, en les sélectionnant bien au départ en en les faisant évoluer. J’attends ensuite de voir ce qu’il en ressort au bout de ces deux années. Bien sûr, il faut être en capacité de loger ces chevaux avec suffisamment de boxes, une équipe pour faire ce travail, mais aussi et surtout des propriétaires qui peuvent investir pour créer cette cellule. Cela devient indispensable, car sans parler spécialement de montant, il est désormais impossible de trouver un cheval de huit ou neuf ans prêt à affronter le haut niveau. Il faut donc commencer plus tôt pour avoir cette relève nécessaire. 

Estelle Navet est-elle toujours installée dans vos écuries de Pennedepie pour justement former les jeunes recrues?

Non, Estelle est partie aujourd’hui (entretien réalisé le 13 octobre, ndlr), comme convenu dès le départ. Bien sûr, si elle avait pu rester plus longtemps, j’aurais été ravi. Elle a trouvé une place chez un marchand néerlandais. Beaucoup de cavaliers comme Mathis Burnouf ou Hugo Paris avant elle ont mis à profit la collaboration que nous avions pour évoluer par la suite et avoir l’opportunité de monter davantage en compétition. Chez moi, même avec le développement de la cellule de jeunes chevaux, cela reste assez artisanal et ces jeunes cavaliers n’ont pas suffisamment de chevaux pour concourir toutes les semaines. Ils cherchent une certaine formation en venant dans mes écuries et nous ressortons tous gagnants. Je pense qu’ils repartent avec un bagage technique assez intéressant et une méthode de travail, qui leur permettent de s’exprimer dans des écuries qui leur fournissent davantage de chevaux de concours. Avec Estelle, cela fonctionnait bien et je n’ai jamais voulu intégrer trop de chevaux à mon système donc je ne vais pas la remplacer pour le moment. Ceux qu’elle montait avaient pour la plupart sept ans donc je vais pouvoir les récupérer pour les monter en concours moi-même. Je prendrai peut-être un cavalier maison pour m’épauler, mais je n’ai pas dans l’objectif d’engager un cavalier de concours dans l’immédiat.



“L’IJRC s’est toujours battu pour que la méritocratie prime”

Dans l'incertitude à cause de la crise sanitaire, Kevin Staut reste prudent quant à la saison indoor et à la tenue des Jeux olympiques de Tokyo.

Dans l'incertitude à cause de la crise sanitaire, Kevin Staut reste prudent quant à la saison indoor et à la tenue des Jeux olympiques de Tokyo.

© Sportfot

Dans une entretien donné à GRANDPRIX, Marie Pellegrin a notamment regretté l’absence dialogue entre la Fédération équestre internationale (FEI) et les cavaliers, ainsi que le manque de méritocratie insufflé par un classement mondial Longines selon elle mal pensé. En tant que président du Club international des cavaliers de saut d’obstacles (IJRC), qui est d’ailleurs dépositaire de la formule de la hiérarchie mondiale, quelles réflexions nourrissez-vous à ce sujet?

Je n’ai pas lu cette interview mais c’est un sujet dont les membres de l’IJRC discutent beaucoup. Nous allons encore en parler ce week-end à Grimaud afin de savoir quand dégeler les points qui l’ont été en raison de la situation sanitaire et afin que ce soit le plus juste possible. Je trouve qu’il y a deux sujets. À mon sens, le classement mondial reflète complètement le niveau des cavaliers et tout le monde est à sa place. L’autre chose qui dépend du classement mondial mais qui est différente est le système d’invitations. À ce sujet, l’IJRC s’est toujours battu pour que la méritocratie prime et qu’un maximum de cavaliers aient accès aux concours en fonction de leur classement mondial. On voit que c’est difficile, que les organisateurs ont besoin de faire vivre leurs concours et notamment avec des “invitations organisateurs”, qui leurs permettent d’obtenir des revenus de cavaliers qui font vivre le concours économiquement, mais peut-être moins sportivement.  

Cette crise ne révèle-t-elle pas qu’il serait illusoire d’imaginer un système sans pay-cards dans l’état actuel des choses?

Ce que révèle cette crise, c’est surtout que nous avons vécu un âge d’or, lors duquel la plupart des cavaliers pouvaient concourir. Désormais, il n’y a qu’un CSI 5* miraculé par week-end dans le monde entier, et il y a une grogne car ce sont toujours les mêmes cavaliers qui y ont accès grâce au classement mondial, ou ceux qui paient beaucoup d’argent. Il ne faut pas oublier que nous avons la chance que ces concours soient pour la plupart en France. Lors d’un CSI 5* en France, 20% des cavaliers sont sélectionnés par Thierry Pomel et la Fédération française d’équitation; 60% ont une place grâce au classement mondial, ce qui permet là encore à beaucoup de Français d’obtenir une sélection. Ce que l’on observe avec le gel des points, c’est que ce sont presque systématiquement les mêmes trente meilleurs cavaliers qui ont accès aux CSI 4* et 5*. Il y a tout de même de nombreux de CSI 2* et 3* qui se réorganisent, auxquels moins de cavaliers peuvent accéder selon le classement mondial, mais un peu plus grâce aux fédérations nationales et au comité organisateur. Les pay-cards font vivre ces concours mais ne permettent pas aux cavaliers méritants d’y accéder. Depuis toujours, nous essayons de faire en sorte que le classement mondial soit le plus juste, mais c’est difficile car il faut entendre les organisateurs qui font face à des difficultés économiques importantes et qui ont certainement perdu beaucoup de sponsors ou de soutiens financiers cette année. Malgré cela, l’IJRC est resté très ferme sur le fait de ne pas toucher au système d’invitation en CSI 3*, 4* et 5*. Exceptionnellement cette année, les places pour les CSI 2* étaient attribuées par les organisateurs et les fédérations nationales, ce que certains ont voulu reconduire l’an prochain. Nous nous y sommes opposés car il faut revenir le plus rapidement possible à la normale. Il faut donc continuer à surveiller ce système d’invitations, sans pour autant que le classement mondial ne soit à remettre en cause. Le fait d’avoir des points gelés mais de pouvoir en engranger encore un peu a surtout été décidé pour les cavaliers classés un peu plus loin. Cela a entraîné quelques mouvements, hormis pour les cavaliers du Top trente. Ce week-end, nous allons réfléchir au meilleur moment pour dégeler les points, dès qu’il y aura un retour à la normale sur les différents continents. Les Américains ont repris la compétition, comme c’est le cas aussi en Europe. Au moment où les points seront dégelés, les cavaliers du Top 30 seront les plus pénalisés car ils comptabiliseront peu de concours par rapport aux années précédentes et qu’ils vont perdre de gros points, dont ceux de la finale de la Coupe du monde, par exemple. Dès que nous le ferons, ce sera pour protéger les cavaliers placés des trente à la deux cent cinquantième places. Évidemment, dès qu’une décision est prise, on essaie de faire en sorte que ce ces cavaliers soient les moins pénalisés, car dans la situation actuelle, ils ont accès à peu de concours.  

Quelques concours restent au programme cet hiver. Quel va être votre plan?

Plus il y a de concours, plus je suis heureux, mais je crois qu’il faut rester prudent (à raison, le CSI 4* de Rouen et le CSI 5*-W de Lyon ont été annulés aujourd’hui, ndlr). Les organisateurs qui manifestent le souhait d’organiser leur événement parce que leur sponsor les suit auront l’appréhension que leur rendez-vous soit annulé jusqu’au dernier moment pour une annonce gouvernementale. Malgré le fait que cela se tienne à huis clos et le respect de toutes les directives sanitaires qui évoluent de semaine en semaine, personne n’est à l’abri d’une annulation… Je fais mes exercices d’étirements devant des chaînes d’informations le matin, et même s’il y a beaucoup de fake dans tout cela, ce que l’on nous annonce n’est pas rassurant. Pour l’instant, je suis content que des concours restent au calendrier, mais jusqu’à quand?