Lorenzo de Luca, il fenomeno italiano

À l’étroit dans une Italie qui ne lui permettait pas d’atteindre ses objectifs, Lorenzo de Luca a bien fait de quitter son pays natal au profit de la Belgique. Fin 2014, le cavalier a rejoint les écuries Stephex pour le plus grand bonheur d’un Stephan Conter qui ne cesse de vanter les talents de son protégé. Disposant des meilleures structures et d’un piquet de chevaux très qualiteux, le Transalpin compte bien collectionner les victoires et se hisser sur les podiums des grands championnats.



Le jeune Italien s’est approché pour la première fois du haut niveau en 2011 au Grand Palais, en participant aux Talents Hermès avec Skik.

Le jeune Italien s’est approché pour la première fois du haut niveau en 2011 au Grand Palais, en participant aux Talents Hermès avec Skik.

© Scoopdyga

Wolvertem, samedi 14 novembre 2015, 9h30. Tandis qu’à Doha, à 5 000 km de là, une bonne partie de l’élite mondiale du jumping s’apprête à en finir avec l’édition 2015 du Global Champions Tour, Lorenzo de Luca, lui, est à cheval dans les prestigieuses écuries Stephex, à quinze kilomètres au nord de Bruxelles. À terre dix minutes plus tard, tout sourire, il accepte de partager une partie de son quotidien et de revenir sur les étapes marquantes de sa jeune carrière. Arrivé à Noël dernier chez Stephan Conter, l’Italien ne se lasse pas de se réjouir de son sort. “C’est la meilleure structure dont un cavalier puisse rêver.” 

Né dans les Pouilles, la sublime région recouvrant le talon de la botte que forme l’Italie, Lorenzo, trente-trois ans, est issu d’une famille totalement étrangère au monde du cheval. “Mes parents possédaient une maison en bord de mer. Un jour, mon oncle m’a emmené dans une écurie qui se situait non loin de là. Depuis lors, je n’ai jamais cessé de monter”, raconte-t-il. À onze ans, il débute la compétition à poney, mais passe très vite à cheval. “Le monde du poney n’est pas très développé dans le sud de l’Italie. C’était assez compliqué parce que j’étais vraiment tout petit! J’ai commencé tard à grandir.” Rapidement, ses parents décident de lui acheter un cheval... qui s’est avéré beaucoup plus compliqué que prévu. “C’était un bon test. Si je n’ai pas eu envie d’arrêter après celui-là, c’est bien la preuve que j’étais vraiment mordu!”, plaisante-t-il. 

Après ses études secondaires, Lorenzo travaille dans plusieurs écuries de commerce avant de quitter les Pouilles pour Rome, la capitale italienne. “À l’origine, je partais étudier l’économie à l’université, mais je n’y suis jamais allé! Je ne pensais qu’à monter à cheval”, sourit-il. Il poursuit alors sa transhumance vers le nord et s’arrête à Modène en Toscane, où il trouve un travail dans l’écurie de commerce de Gianni Govoni, pilier de la Squadra Azzura de 1993 à 2002. Une première véritable expérience très bénéfique. “À cette époque-là, Gianni était dans le top trente mondial. Rien qu’en l’observant monter, j’apprenais énormément.”

Au printemps 2011 à Paris, Lorenzo s’approche une première fois du haut niveau. Invité à prendre part aux Talents Hermès, le CSI réservé aux cavaliers de moins de vingt-cinq ans et ponctué par une mini-Coupe des nations disputée par paires, il se classe dans deux des trois épreuves, associé à Skik (AES, Manhattan x Concorde). “Je n’avais pas encore participé à beaucoup de concours en dehors de l’Italie. Quand je me suis retrouvé au Grand Palais, c’était tout simplement incroyable. Je pense que c’est le plus beau concours au monde. En plus, ce week-end là, ma mère et ma sœur sont venues me voir pour la première fois. Elles étaient tellement éblouies que j’ai dû leur expliquer que la vie de cavalier ne ressemblait malheureusement pas toujours à ça!”

Talent et rage de vaincre 

Pour autant, cette première expérience ne lui ouvre pas immédiatement les portes des CSI 5*, faute de bons chevaux, un problème récurrent pour les jeunes Italiens. “Contrairement à la France ou à l’Allemagne, chez nous, les gens investissent rarement dans des chevaux de haut niveau, ou alors ils les vendent dès qu’une proposition alléchante se présente. Ceci dit, il est parfois difficile de dire non à des sommes mirobolantes. C’est triste à dire, mais je pense que cette pénurie d’investisseurs est en partie due à une ancienne génération d’Italiens qui a trop spéculé. Désormais, les investisseurs potentiels sont un peu réticents à l’idée de faire confiance aux cavaliers.” D’une naturel positif, Lorenzo est pourtant convaincu que des solutions existent. “Un cheval de championnat coûte énormément d’argent. En revanche, on pourrait très bien envisager que des propriétaires investissent dans de jeunes chevaux prometteurs, et qu’une fois ces derniers prêts pour le haut niveau, ils les répartissent entre les jeunes cavaliers italiens. Malheureusement, au lieu d’avancer ensemble, les Italiens ont tendance à travailler les uns contre les autres, mais je suis sûr que ça va finir par évoluer!”

Animé par une intarissable soif de progresser, le jeune homme n’a alors qu’un objectif en tête: monter un maximum de chevaux différents pour devenir un grand cavalier. “L’idée était de tenter ma chance à fond. Si je m’étais rendu compte que je n’étais pas assez bon pour continuer, je me serais orienté vers autre chose, mais au moins, j’aurais vraiment essayé.” Très vite remarqué par ses pairs, Lorenzo ne laisse personne indifférent. “Nous nous sommes rencontrés il y a sept ou huit ans dans un concours en Italie. J’ai découvert un garçon très détendu, de bonne humeur, toujours en train de rire. Dès le début, nous avons tous vu en lui un cavalier extrêmement talentueux, doublé d’un battant”, confie Piergiorgio Bucci, son aîné de douze ans. 

De fait, sa réputation dépasse vite les frontières de la botte. “Toute l’Italie m’appelait pour me parler d’un super cavalier que je devais à tout prix engager”, se souvient Stephan Conter. Pourtant, dans un premier temps, le Belge décline la proposition. “J’ai été un peu frileux, je dois l’avouer. Il faut dire que j’avais eu quelques mauvaises expériences avec d’autres cavaliers italiens. Je ne le connaissais pas et j’avais peur qu’il manque de sérieux. J’avais besoin de plus de certitudes. Je ne voulais pas avoir à lire dans les magazines “Lorenzo a quitté les écuries Stephex”, six mois après l’avoir engagé. La suite m’a donné radicalement tort!” 

Bien décidé à prendre son envol, Lorenzo de Luca pose tout de même ses valises en Belgique, chez Niels Jones, un Britannique pour lequel il travaille durant deux ans. Bien qu’il ne l’ait pas recruté, Stephan Conter garde tout de même un œil sur le jeune cavalier, à qui il confie quelques chevaux dont Elky van het Indihof (BWP, Toulon x Thunder van de Zuuthoeve), future monture de Kevin Staut. “Plus je le voyais monter, plus je me disais que j’avais commis une erreur”, avoue le marchand belge. De fait, en 2013, Lorenzo commence à percer sérieusement avec Zoe II (AES, Kannan x Goes Without Saying), deuxième et quatrième des Grands Prix CSI 4* de Bourg-en-Bresse et Fontainebleau, et quatrième de sa première Coupe des nations au CSIO 5* Gijón. En juillet 2014, le couple termine encore deuxième du Grand Prix CSI 3* de Megève.



Des Jeux mondiaux au pied levé

Avant de l’engager chez Stephex, Stephan Conter a confié à Lorenzo plusieurs chevaux dont Elky van het Indihof, ici à Barcelone, passée ensuite sous la selle de Kevin Staut.

Avant de l’engager chez Stephex, Stephan Conter a confié à Lorenzo plusieurs chevaux dont Elky van het Indihof, ici à Barcelone, passée ensuite sous la selle de Kevin Staut.

© Scoopdyga

Durant cet été 2014, les Jeux équestres mondiaux de Normandie marquent un premier tournant dans la relation de confiance qui se tisse peu à peu entre les deux hommes. “Il s’est passé quelque chose de vraiment incroyable. Alors que je n’avais pas de chevaux pour participer aux JEM, Stephan m’a appelé trois semaines avant les engagements pour me demander si je pensais que ce serait jouable avec Evita!” À dix ans, Evita van de Veldbalie (BWP, Wandor van de Mispelaere x Clinton) compte déjà de nombreuses victoires au plus haut niveau avec l’Allemand Daniel Deusser et le Japonais Eiken Sato, mais de là à envisager une sélection pour le grand rendez-vous normand, le pari est quelque peu osé. Cependant, cette proposition tombe à point nommé pour l’Italie, en manque de couples aptes à affronter une telle échéance. “J’ai tout de suite appelé mon chef d’équipe (Hans Horn, ndlr) qui m’a dit que je devais tout de même faire mes preuves avant de pouvoir être sélectionné.”

Après des débuts tranquilles au CSI 2* de Grand Prix Classic Summer Tour, l’événement estival organisé au Grand Parquet Fontainebleau par les équipes de Grand Prix, le nouveau couple doit faire ses preuves à San Giovanni in Marignano. Comme par enchantement, un sans-faute dans le Grand Prix à 1,50 m du CSI 3* italien valide le ticket de Lorenzo et Evita pour la Normandie. Malgré une Chasse timide et trois barres dans la première manche de la finale par équipes, le pilote, modeste quatre-vingt-huitième, garde un excellent souvenir de l’événement. “Evita a été fantastique, faisant preuve d’un mental extraordinaire. Je remercie vraiment Stephan et mon chef d’équipe de m’avoir donné la chance de prendre part à mes grands championnats. En Italie, il n’y a pas de circuit Jeunes Cavaliers et les plus grandes épreuves nationales se courent à 1,30m! Du ce fait, ma progression a pris un peu de retard. Ces trois dernières années, c’est comme si j’avais comblé tout ce retard en accéléré.” Son idylle avec Evita ne fait pas long feu, puisque dès son retour en Belgique, la jument est vendue à la Canadienne Wesley Newlands. “Je voulais vraiment que Lorenzo ait un bon cheval pour les Mondiaux, mais nous avions décidé en amont qu’Evita serait vendue juste après, tout comme Geisha van Orshof (BWP, Cabrio van de Heffinck x Parco, un temps montée par Patrice Delaveau, ndlr) après les championnats d’Europe d’Aix-la-Chapelle”, précise Stephan Conter. 

Au moment où Niels Jones décide de quitter la Belgique pour s’installer aux États-Unis, Stephan Conter ne court pas le risque de voir son nouveau protégé engagé dans une autre écurie. “Je m’étais déjà trompé une fois, je ne voulais pas recommencer! J’ai pris ma décision mi-décembre, lors du CHI de Genève (où Lorenzo et Zoe terminent septième du prestigieux Grand Prix, ndlr). Je voulais absolument que Lorenzo rejoigne Stephex.” La nouvelle de cette coopération circule très vite. “Dès que Rory Marzotto, la première propriétaire de Lorenzo, a su qu’il allait venir chez moi, elle m’a proposé que nous lui achetions un bon cheval ensemble. Je lui ai alors suggéré de commencer tout de suite en acquérant Zoe II!”, se remémore Stephan Conter. “J’ai vraiment de la chance d’avoir rencontré Stephan. C’est la meilleure chose qui me soit arrivée”, apprécie le cavalier. “Zoe est la meilleure jument que j’ai jamais eue. Elle se donne tellement. J’ai des sensations incroyables avec elle. Je l’adore à tel point que je la considère presque comme ma petite amie!”, sourit-il. Malgré une neuvième place dans le Grand Prix CSI 5* de Bâle et une victoire à 1,45m au CSIO 5* de Rome, Lorenzo et Zoé traversent une saison 2015 mitigée, subissant notamment trois éliminations à Vilamoura, Rome et Lyon.

Un coéquipier précieux 

“J’ai vraiment une super écurie. La vie est plus facile quand on a la chance de monter des chevaux de cette qualité”, s’enthousiasme-t-il. Chez Stephex, chaque cavalier se voit attribuer une dizaine de chevaux qu’il a pour mission d’amener au plus haut niveau. “Au début, il a reçu une équipe de chevaux que j’estimais pouvoir lui convenir. À ceux-là, j’en ai ajouté d’autres qui lui correspondent moins pour voir comment il s’en sortirait. Lorenzo est capable de s’adapter à beaucoup de montures différentes. Cela dit, je suis parfaitement conscient que pour être compétitif au plus haut niveau, il faut trouver le cheval qui correspond le mieux au cavalier”, assure Stephan Conter. 

En véritable homme du cheval, l’Italien fait tout pour entrer en harmonie avec ses partenaires. “Je les aime et je fais tout pour les rendre heureux. La compétition et ma position dans le classement mondial me motivent, bien sûr, car cela permet d’accéder à de beaux concours, mais si un cavalier n’a que cela en tête, il en perd sa relation avec ses chevaux. Dans mon esprit, le plus important est de les savoir heureux. Quand ils aiment ce qu’ils font, ils nous donnent tout.” Ce credo semble porter ses fruits, à en juger notamment par la victoire de la Squadra Azzura dans la Coupe de nations de Lummen, en mai 2015. Associé à Erco van’t Roosakker (BWP, Darco x Kannan), crédité d’un sans-faute et d’un tour à quatre points, le pilote en garde un souvenir très ému. “C’était un grand moment. C’était seulement mon deuxième concours avec Erco. Il a été super, tout comme mes coéquipiers ! Les Coupes des nations me procurent beaucoup d’adrénaline : j’adore ressentir la pression quand je prends le départ!” 

De fait, Lorenzo se révèle en véritable équipier. “Il a vraiment su motiver toute l’équipe. Il a le don de faire rire tout le monde. Il a un super mental”, salue Luca Maria Moneta. “En plus d’être très talentueux et d’avoir un mental d’acier, il transmet beaucoup d’ondes positives à l’équipe. Il a un super état d’esprit. Dès que nous le regardons, le stress s’apaise parce qu’il est toujours en train de sourire ou de rigoler! Lummen, c’est vraiment mon meilleur souvenir avec lui. Il était tellement content, c’était beau à voir. Il n’arrivait pas à réaliser!”, ajoute Piergiorgio Bucci. Le benjamin de l’équipe transalpine n’a eu aucun mal à gagner la sympathie et le respect de ses pairs. “Avant même qu’il ne rejoigne l’équipe, dès que je l’ai vu monter en Italie, j’ai toujours su qu’il avait un talent incroyable. Je pense qu’il a toutes les qualités nécessaires pour devenir un très grand champion. Il croit énormément en ses chevaux et ils le lui rendent bien. Ils donneraient tout pour lui. Au-delà de son talent et de notre amitié, c’est surtout un véritable homme de cheval. Je suis convaincu que s’il arrive à trouver le bon, il sera redoutable dans les grands championnats. Une grande carrière l’attend”, loue encore Piergiorgio Bucci.



“Il ne peut pas échouer”, Stephan Conter

Une grande carrière, c’est également l’objectif que s’est fixé Stephan Conter pour son poulain. “Lorenzo a une marge de progression énorme. Désormais, c’est moi qui aie la pression, car il mérite de monter des cracks. Mon travail sera de lui trouver les meilleurs. Tout comme Daniel, Lorenzo est une machine de guerre. Tous les matins, c’est lui le premier à cheval. Il donne tout pour son sport. Si on devait lui trouver un défaut, ce serait peut-être ce sang chaud propre aux Italiens. Parfois, quand les barrages se jouent très rapidement, il a tendance à en faire un petit peu trop, mais je ne suis pas inquiet, car il a déjà énormément progressé sur ce point.” “Je pense que cela vient de son âge. Il est encore jeune, c’est naturel qu’il ait envie de gagner chaque épreuve”, appuie Luca Moneta. 

“Je vais continuer à tout donner pour y arriver”, promet Lorenzo De Luca. “Il en veut tellement qu’il ne peut pas échouer”, conclut Stephan Conter. Venant du businessman belge, cette phrase est forte de sens!

Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX International n°91.