“Toutes les planètes ont commencé à s’aligner cette année”, Édouard Schmitz

Édouard Schmitz est peut-être un nouveau genre de Clark Kent suisse. À vingt-deux ans, l'enthousiaste genevois exilé à Zurich partage son temps entre une licence d'informatique avec une majeure en mathématiques et une carrière de cavalier de saut d'obstacles florissante. En 2021, celui qui pointe au quatre-vingt-douzième rang du classement mondial a pris une autre dimension en participant à sa première Coupe des nations Seniors, sa première Coupe du monde, ainsi que son premier Grand Prix du Grand Slam. Installé dans le cercle de champions de la famille Fuchs, le jeune homme au regard bleu azur vise encore plus haut et devrait faire parler de lui dans les mois à venir.  



Dimanche, vous avez pris part à votre tout premier Grand Prix du CHI de Genève, que vous avez conclu avec deux fautes. Comment était-ce ? 

Je suis en effet sorti de piste avec deux fautes mais j’étais très content de mon parcours. Mon cheval a été exemplaire et a répondu présent. C’était assez incroyable de prendre part à mon premier Grand Prix du Grand Chelem.

En vous introduisant, Alban Poudret a fait remarquer que jeudi, en vous qualifiant pour cette épreuve, vous avez versé quelques larmes. Était-ce un rêve d’enfant qui se réalisait ? 

Quand j’étais plus jeune, chaque année, j’allais à Palexpo et j’étais avec tous mes amis à brandir des drapeaux dans la tribune courte qui fait face à celle des cavaliers. Le Trophée de Genève et le Grand Prix sont deux épreuves que j’affectionne particulièrement. Jeudi soir, je m’étais mis tellement de pression que lorsque j’ai réussi un sans-faute, j’ai ressenti beaucoup d’émotions et versé quelques larmes. Je crois que je n’ai pas réalisé ce qui s’était passé avant de rentrer chez moi et d’être au calme. 

Cela doit vous paraître étrange d’avoir été supporter dans les tribunes et de désormais être l’un des acteurs du sport sur la piste… 

C’est bizarre mais c’est surtout un truc de fou ! Je dois dire que ma sensation est difficile à décrire car la joie et la fierté d’avoir obtenu ces résultats s’associe également à un peu de nostalgie. 


Édouard Schmitz a pris part à son premier Grand Prix de Genève dimanche avec Quno. © Scoopdyga


Dans ce Grand Prix, huit Suisses étaient au départ. Parmi eux, quatre avaient moins de trente ans. Comment expliquez-vous que la Suisse parvienne aussi bien à faire la place aux jeunes ? 

Je crois que le système en place avec les Juniors et les Jeunes Cavaliers est très bien fait. La chance leur est donnée grâce au cadre Espoir Élite, dans lequel les meilleurs jeunes figurent, même quelques années après la fin des années Jeunes Cavaliers. Ceux-ci sont repérés et ont droit de faire quelques apparitions auprès du cadre Élite (qui regroupe les meilleurs cavaliers du pays, ndlr). Cela explique en partie pourquoi autant de jeunes peuvent figurer au départ de ce Grand Prix, à l’instar de Bryan Balsiger, Elin Ott et moi-même, qui avons tous fait partie du cadre Espoir Élite. En Suisse, nous avons également la chance que les chefs d’équipe et entraineurs nous donnent une chance lorsque les résultats sont suffisamment bons. Cela a été mon cas cette année lorsque l’on m’a donné l’opportunité de courir en CSIO 3* et en Coupe du monde. Je crois que ces sélections sont attribuées de façon juste, ce qui explique en partie qu’il y ait autant de jeunes cavaliers à ce niveau. 

Le fait que la chance soit donnée aux jeunes doit par ailleurs nourrir les espoirs des futures générations… 

Bien sûr, lorsqu’ils voient que ces concours ne sont finalement pas si loin d’eux, cela les motive encore davantage. 

Quel regard portez-vous sur votre année 2021 ? 

Je pense que j’ai vécu de loin les meilleurs mois de ma carrière équestre. J’ai parcouru beaucoup de chemin cette année. J’ai eu beaucoup de soutien de la famille Fasana, de mes parents et de Thomas Fuchs. Je dirais que toutes les planètes ont commencé à s’aligner cette année. J’ai eu de bons chevaux, un peu de chance, des opportunités que je n’avais jusqu’alors pas eues. Je suis vraiment ravi de mes douze derniers mois. Il y a eu beaucoup de premières, dont des apparitions en Coupes des nations et en Coupes du monde, mon premier Grand Prix du Grand Chelem… Je vais profiter de l’hiver pour prendre un peu de recul et essayer de faire encore mieux l’an prochain. 



“Allier chevaux et études était mon choix et je l’assume”

Quels chevaux emmenez-vous à Londres pour le CSI 5*-W ? Le circuit de la Coupe du monde pourrait-il être un objectif ? 

Je vais à Londres avec Quno, Gamin van’t Naastveldhof (SBS, Chacco Chacco x Toulon) et Balenciana K (HANN, Balou du Rouet x Grosso Z). J’ai tendance à dire que je vais à tel ou tel concours pour prendre de l’expérience, mais une fois en piste, je cherche absolument à gagner (rires). Bien sûr, dans un coin de ma tête j’aimerais tenter ma chance sur ce circuit, même si je réalise que c’est peut-être au-dessus de mon niveau. Mais Oscar Wilde disait « Il faut toujours viser la lune, car même en cas d'échec, on atterrit dans les étoiles ». C’est ce que j’applique : je vise la lune ! 

2021 a notamment été marquée par l’addition de Quno (HOLST, Quo Vados I x Cash and Carry) dans votre piquet de chevaux. Comment est-il arrivé dans vos effectifs et allez-vous pouvoir conserver durablement ce hongre de douze ans ? 

Nous cherchions un cheval pour prendre part à des épreuves plus importantes et passer le prochain palier. Thomas entrainait le cavalier de Quno (le Suisse Mathias Schibli, ndlr), qui lui a fait part de son envie de le vendre. Étant donné que nous cherchions un cheval exactement comme lui et que nous le connaissions bien, nous en avons fait l’acquisition après le concours de Saint-Gall. Hugo Simon disait qu’on ne peut pas gagner des Grands Prix en montant sur une liasse de billets (rires). J’aime bien cette philosophie. Je suis tout d’abord sportif, je veux gagner et je fais tout cela pour le prestige du sport. L’objectif est donc de conserver Quno et d’obtenir le plus de résultats possibles. 

Babylone des Érables concourt ici à Genève. © Scoopdyga


Vos chevaux appartiennent soit à votre famille, soit à Arturo Fasana. Comment parvenez-vous à convaincre un mécène de vous confier des chevaux alors que vous faites vos armes au plus haut niveau ? 

Je dois dire que dans le cas d’Arturo, je n’ai pas vraiment eu à le convaincre car c’est lui qui est venu vers moi (rires). Je le connaissais un peu de loin depuis que je suis jeune car j’ai fait mes armes à l’écurie de Crête, à Vandoeuvre, où sa fille monte aussi à cheval. Il cherchait à aider un jeune. Je ne saurais pas expliquer pourquoi il est venu vers moi directement, mais le courant est passé et il m’a confié des chevaux. C’est une énorme chance de pouvoir compter sur un propriétaire comme lui.

Vous êtes étudiant à l’université de Zurich, où vous êtes en licence d’informatique avec une majeure en mathématiques. Entre vos études et le sport de haut niveau, parvenez-vous à trouver du temps pour dormir ? 

(Rires) Ces derniers temps ont été un peu rudes je dois dire. Les chevaux et mes études sont deux choses que j’affectionne beaucoup. Certains peuvent trouver cela un peu étrange mais j’aime beaucoup passer du temps à l’université car mes études m’intéressent beaucoup. Les gens me demandent souvent pourquoi je me donne tant de mal. Dès le début, je savais que ce serait difficile, mais c’est un choix que j’ai fait en ayant conscience des sacrifices que cela demanderait. En effet, je dors moins de temps en temps et j’ai les yeux un peu de travers au réveil (rires). Allier chevaux et études était mon choix et je l’assume. 

Au milieu de cet agenda chargé, parvenez-vous à conserver la vie un peu plus traditionnelle d’un jeune homme de vingt-deux ans ? 

J’ai envie de dire oui. Bien sûr, je n’ai pas la vie standard d’un jeune homme de vingt-deux ans, mais j’arrive à voir mes amis, je sors de temps en temps. Mais bien sûr, si l’on compare avec d’autres amis, je reste sans cesse chez moi (rires)



“Le système de votation de la FEI n’avantage ni les chevaux, ni les nations les plus expertes”

Quand aurez-vous terminé vos études et que pensez-vous faire une fois votre diplôme en poche ? 

J’en ai encore pour un an et je dois ensuite faire le service militaire, qui est obligatoire en Suisse. Par la suite, je veux être cavalier diplômé (rires) ! Je compte me lancer pleinement dans les chevaux, au moins pour un temps. L’équitation est ma passion et compte-tenu de ce qu’il se passe dans ma carrière actuellement je veux vivre cela jusqu’au bout. 

Vous êtes installé chez les Fuchs. Comment cela s’organise-t-il ?

Cela fait maintenant quatre ans et demi que je suis chez la famille Fuchs. J’y suis souvent le soir donc tout le monde est déjà un peu loin lorsque j’arrive aux écuries. Nous essayons de nous organiser pour que je ne sois pas seul lorsque je saute en amont des concours. Le week-end, j’essaie d’y aller le matin et eux y sont aussi lorsqu’ils ne sont pas en compétition. La plupart du temps, Thomas est là mais Martin est souvent loin. Thomas me donne régulièrement des conseils sur le plat mais aussi concernant la gestion des chevaux, des concours etc. Je pense que ma présence dans leur écurie depuis quatre ans est la raison principale de mon ascension cette année. Tout se met bien en place.  

Comment définiriez-vous l’équitation idéale et la vôtre ? 

C’est une bonne question… L’équitation que j’aime le plus peut être définie par les mots « fine », « précise » et « efficace ». Je pense que je me rapproche de la notion d’efficacité. En ce qui concerne, la finesse et la précision, on ne l’est jamais suffisamment.  

Dans un milieu parfois un peu corseté, vous ne semblez pas toujours vous prendre au sérieux… 

Je crois que lorsque l’on se prend trop au sérieux, on peut se faire du mal soi-même. Le fait de se mettre sur un piédestal est difficile à vivre donc j’essaie de faire mon petit bonhomme de chemin sans essayer d’être quelqu’un que je ne suis pas. Et je dois dire que j’aime beaucoup faire le clown ! 


Aux côtés de Quno et Babylone des Érables, Balenciana K sera à Londres ce week-end. © Scoopdyga


Polyglotte, étudiant émérite et cavalier de haut niveau, vous êtes très sollicité par les médias. Est-ce un exercice qui vous plaît ? Le fait d’être décrit comme l’un des grands espoirs suisses ne vous met-il pas de pression ? 

C’est peut-être un peu narcissique mais j’aime bien cet exercice. Lorsque j’étais jeune, j’étais toujours très inspiré en lisant des interviews d’autres personnes ayant un parcours similaire au mien. Cela m’a aidé à me projeter. Je trouve qu’il est important de faire des études, on voit peu d’athlètes de haut niveau poursuivre dans cette voie en parallèle. Si lire une de mes interviews peut servir à quelqu’un au moment de prendre une décision pour son avenir, cela me rendrait très heureux. Je ne vois pas cela comme quelque chose qui pourrait me mettre une quelconque pression. Je pratique ce sport pour moi-même. C’est ma passion et j’essaie sans cesse de m’améliorer et de repousser mes propres limites. Bien sûr, il est très gratifiant de voir parfois que je suis considéré comme l’un des grands espoirs suisses, mais il n’est pas dit que je transforme l’essai. Mon système fonctionne bien jusqu’à présent et je compte l’améliorer encore. Nous verrons bien ce qu’il en ressort ! 

Comme cela a été récemment voté, les Jeux olympiques de Paris ne se courront qu’à trois cavaliers malgré une levée de boucliers de très nombreux cavaliers internationaux. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ? 

Je trouve affolant qu’il y ait une espèce de dialogue de sourds entre la Fédération équestre internationale (FEI) et le Club des cavaliers internationaux de saut d’obstacles (IJRC), ou même les cavaliers en général. C’est une mauvaise nouvelle. Nous aimerions promouvoir notre sport, or, nous avons vu lors des Jeux olympiques de Tokyo certaines choses qui auraient pu être évitées avec le format à quatre cavaliers. Je trouve que le nouveau format ne fait aucune promotion de notre sport. Par ailleurs, le système de votation de la FEI n’avantage ni les chevaux, ni les nations les plus expertes dans les sports équestres, ce qui est hallucinant. L’intervention de Steve Guerdat (dans le cadre du congrès de la FEI, mi-novembre, ndlr) résumait très bien tout cela. Bien sûr, pour tout athlète, les JO sont un objectif. Mais lorsque l’on est cavalier suisse et qu’il y a déjà Steve Guerdat et Martin Fuchs qui sont quasiment inamovibles dans une équipe, cela ne laisse plus qu’une place ! Les JO de Paris sont dans quelques temps, mon but est pour l’heure de m’améliorer et l’avenir nous dira ce qu’il en est. 

Vous sentez-vous impliqué dans ces échanges concernant notamment les formats de compétition et les règlements ? 

Je me sens concerné, mais je ne sais pas si je pourrais dire impliqué. Je n’ai pour l’heure eu qu’une prise de position à la FEI il y a longtemps (à l’occasion du Forum des sports, en mars 2018, ndlr). Je ne saurais pas vraiment quel biais emprunter dans ce débat. Je trouve que l’IJRC est un très bon représentant de mon opinion, qui est aussi celle de la grande majorité des cavaliers. Pour cela, nous avons le luxe de ne pas avoir à nous exprimer outre mesure, car il y a des athlètes comme Steve par exemple. Il s’exprime de manière catégorique et très précise. Si malgré son statut ses prises de position sont ignorées, les miennes n’auront pas plus d’impact.