“S’installer aux Pays-Bas permet de se rapprocher du cœur de l’action”, Inès Joly

Inès Joly rêve d’atteindre le plus haut niveau et semble se donner les moyens d’y parvenir. Originaire de la région stéphanoise, la cavalière de vingt-six ans vient de poser ses malles dans de nouvelles installations situées aux Pays-Bas, et elle a débuté sa saison de compétition aux Émirats arabes unis. Dans la seconde partie de cet entretien, elle évoque ses activités commerciales et sa récente installation aux Pays-Bas.



Inès Joly et Elvic à la remise des prix à Prague

Inès Joly et Elvic à la remise des prix à Prague

© Sportfot

La première partie de cet entretien est à lire ici

Vous avez vendu récemment Liron TK (Westph, Light on x Giradelli 8), Elvic van het Hoeve Terras (Z, Elvis ter Putte x Landetto) et Fight 4U (Holst, Colman x Calido I). Êtes-vous à la recherche de nouveaux chevaux? 

Pas forcément à court terme. Liron a été le premier à partir. En octobre, il m’a permis d’honorer une sélection au CSIO 3* de Vejer de la Frontera. Il a été vendu la veille du Grand Prix, mais j’ai quand même pu y participer, et tout s’est très bien déroulé (le couple a terminé sixième, ndlr). Elvic van het Hoeve Terras, qui était détenu par deux investisseurs, est parti en décembre, et Fight 4U, qui m’appartenait, peu de temps après. Avec la vente de celle-ci, j’ai racheté dix jeunes chevaux en qui je crois: deux de cinq ans, quatre de quatre ans et trois de trois ans et un poulain d’un an, frère de Honduras La Silla (ex-Honduras d’Aubigny, SF, Mylord Carthago x Corrado I). Et grâce à la vente d’Elvic et Liron, trois chevaux ont été rachetés: deux de huit ans et un de neuf ans, qui ne sont donc pas à moi. Je suis aidée par quelqu’un que nous avons missionné pour en trouver de jeunes à former dans les petits concours nationaux. 

Fight tenait une place importante dans votre cœur. Sa vente n’a pas été trop douloureuse? 

Cela n’a effectivement pas été facile. Avant elle, j’avais monté sa grand-mère, V Love U (Holst, Cassini I x Sandro), sur le circuit Jeunes Cavaliers. Hélas, en 2016, elle avait souffert de coliques qui s’étaient avérées plus graves que prévu et nous avions dû l’endormir… Peu de temps après, j’avais eu la chance de trouver Fight. Elle est arrivée en même temps que Vitto. Elle avait trois ans et je l’ai formée pendant six saisons. À Vilamoura, on m’a fait une proposition que je ne pouvais pas refuser, même s’il me semblait impossible de me séparer d’elle. C’est encore très dur. Elle vient juste d’arriver dans sa nouvelle maison (acquise par Starlight Farms, elle devrait poursuivre sa carrière avec Adrienne Sternlicht, ndlr). Je me console en sachant qu’elle est tombée dans une bonne famille. J’espère pouvoir la récupérer quand elle aura fini sa carrière sportive. En tout cas, je ferai tout pour. Et j’ai donc fait en sorte que le produit de cette vente soit mis à bon profit, en investissant dans de jeunes chevaux. J’ai ainsi pu renvoyer l’ascenseur à ma famille.  

Début janvier, vous vous êtes installée aux Pays-Bas. Comment s’organise votre nouveau système de travail? 

Avec mon coach, Rodrigo Giesteira Almeida (cavalier portugais sélectionné aux Jeux équestres mondiaux de Tryon, en 2018, ndlr), nous avons déménagé près d’Eindhoven, au sud-ouest des Pays-Bas. Mon compagnon et moi avons loué un appartement et une écurie proche. Il y a vingt-quatre boxes. Rodrigo et moi sommes associés au projet Pegasus. Lui aussi monte des chevaux du fond d’investissement. Je travaille avec Equestrian Capital Partners (ECP), une société missionnée par Pegasus et existant depuis un an. Nous travaillons à quatre et gérons une dizaine de chevaux. Certains appartiennent à Pegasus, d’autres comme Celine, à d’autres investisseurs, et d’autres encore sont à nous, comme Vitto et mes jeunes chevaux. Au quotidien, je travaille avec Rodrigo et mon papa, qui viendra une fois par mois aux Pays-Bas. Depuis toute petite, je travaille aussi avec François Fontaine, un instructeur de Saumur. Là, par exemple, pendant que je suis aux Émirats, il est allé monter mes chevaux en Hollande. Il m’assure un très bon suivi de sa part. Pour le reste, mon père débourre et forme nos jeunes chevaux en France, et va les lancer en concours avec ma maman et mes petites sœurs. Ma sœur cadette, Flora, qui a dix-sept ans, concourra peut-être avec les jeunes, que je récupèrerai alors à cinq ou six ans. Quoi qu’il en soit, l’organisation reste très familiale, et je me sens plutôt bien entourée. Nous ferons le bilan en fin de saison, mais le but est de nous établir durablement aux Pays-Bas. 

Inès Joly et Fight 4 U à Kronenberg en mai 2022

Inès Joly et Fight 4 U à Kronenberg en mai 2022

© Sportfot



“Franchement, Marcus Ehning est trop fort. C’est une légende”

La région stéphanoise ne vous manquera-t-elle pas? 

Si, et c’est le côté difficile de cette belle aventure, parce que j’ai toujours vécu avec mes parents et mes sœurs, et travaillé en famille. De fait, ils me manquent, mais je devais sortir de ma zone de confort pour progresser. À ce titre, s’installer aux Pays-Bas, et plus largement au Bénélux, permet de se rapprocher du cœur de l’action. Tout se passe là-bas. 

Quelles sont vos prochaines échéances? 

Après trois semaines sur le site d’Al Forsan, à Abou Dabi, nous nous rendons cette semaine à Charjah, près de Dubaï, où sont organisés un CSIO 4*, puis un CSI 2*, où j’engagerai surtout Vitto, puis un CSI 5*-W. L’objectif est de sauter mon premier Grand Prix de niveau 5* là-bas.  

Quels sont vos autres objectifs pour l’année 2023? 

Je vise les championnats de France Seniors, qui sont désormais programmés tôt dans l’année (fin avril à Fontainebleau, dans le cadre du Printemps des sports équestres, ndlr). J’ai vraiment envie de disputer le championnat Pro Élite avec Caliope. Je pense que ce sera mon premier objectif. Pour cela, je dois être performante en 1,55m, donc il me faut encore travailler. Si tout se passe bien, j’espère obtenir d'autres sélections en CSIO 3*. J’aimerais vraiment renouer avec les Coupes de nations. J’ai des souvenirs inoubliables dans ces épreuves quand je concourais en Poneys. Plus la pression est grande, plus je suis motivée – j’adore ça! Par exemple, quand Liron a été vendu, j’ai pris part à ma première épreuve à 1,55m. En plus, je passais en numéro 4, donc j’étais vraiment très stressée, et c’est là où j’ai été la plus performante. Les coupes des nations sont de compétitions qui me transcendent. 

La Global Champions League (GCL) fait donc aussi partie de vos objectifs? Comment s’organisent les choses? 

Pegasus finance ce projet. Comme je l’ai dit, je vais d’abord me faire la main dans les CSI 2* de la série, tandis que Rodrigo va monter les CSI 5*. L’objectif est de mettre en avant nos chevaux, afin de faire connaître le fond d’investissement auprès de deux clientèles: celle d’élite avec les chevaux de Rodrigo et celle des CSI 2* avec des chevaux prêts à être compétents à ce niveau. Je pense évidemment à Celine, mais aussi à nos trois nouveaux chevaux. Ils n’ont encore jamais concouru à 1,45m, mais ils seront rapidement compétitifs. Quand je serai prête, comme je l’ai dit, je me lancerai dans les CSI 5* de la série. Si tout va bien, ce sera probablement au milieu de l’année au sein des Mexico Amigos. C’est une nouvelle équipe qui existait auparavant mais qui n’a pas concouru depuis quelque temps. Cette année, Rodrigo y fera notamment équipe avec le jeune Japonais Mike Kawai et l’Allemand Hans-Dieter Dreher. La composition n’est encore tout à fait pas finalisée. Me concernant, encore une fois, la perspective qui m’est offerte me semble un bon compromis, à condition que je sois prête. 

Inès Joly et Celine à Abou Dabi

Inès Joly et Celine à Abou Dabi

© Graham Kearney



“Infirmière, c’est un super métier, mais ma passion, c’est l’équitation”

Inès Joly et sa ponette Jamaïque au Jumping de Bordeaux en 2012

Inès Joly et sa ponette Jamaïque au Jumping de Bordeaux en 2012

© Scoopdyga

Comprenez-vous les détracteurs de la GCL, qui considèrent que cette série met en péril le principe de méritocratie? 

Oui, tout à fait, dans le sens où cette série permet à des cavaliers qui peuvent financièrement se le permettre de concourir en CSI 5*. En France, il faut être plus que performant pour accéder à ces concours. Oui, la méritocratie est mise à mal. Pour autant, les équipes demeurent essentiellement composées de cavaliers très bien classés, les plus aptes à apporter des points au collectif. De plus, chaque team doit recruter un cavalier de moins de vingt-cinq ans. D’une certaine manière, ces deux éléments participent d’une certaine méritocratie. Pour ma part, j’espère rejoindre cette élite, et me donne les moyens d’y parvenir. Comme tant d’autres, je rêve d’équipe de France, des Jeux olympiques et de médailles. 

Quels cavaliers considérez-vous comme des modèles? 

À Prague, j’ai pris du temps à regarder travailler Marcus Ehning. Franchement, il est trop fort. C’est une légende. Je citerai aussi Julien Épaillard pour une sorte de chic à la française. Il est vraiment impressionnant. Sa manière d’aborder les compétitions a quelque chose de très motivant. Il m’inspire au quotidien: j’essaie de monter mes chevaux comme lui, au feeling, à l’instinct. Du côté des cavalières, je dirai volontiers Malin Baryard-Johnsson. 

Avec le recul, quel regard portez-vous sur vos années Poneys? 

C’était vraiment génial. J’en garde de très bons souvenirs. Cela m’a apporté le sens du rythme. Quand j’étais petite, je n’ai jamais eu de groom. Mes parents m’ont responsabilisée. J’avais de nombreux poneys qui, le plus souvent, avaient connu des mésaventures avec des clients. Mes parents me laissaient pas mal d’autonomie dans le travail, ce qui m’a conféré mes premières responsabilités, jusqu’à porter la veste de l’équipe de France. Ce furent de belles années, qui m’ont donné envie de continuer à cheval. Ce n’était pas facile parce que mes parents n’avaient pas les moyens de m’acheter un poney d’élite. Quand nous en trouvions un bon, nous devions le louer. Par exemple, je n’ai pas eu une bonne expérience avec Jamaïque, la ponette avec laquelle j’ai été sélectionnée aux championnats d’Europe de Fontainebleau, en 2012. Nous devions la louer pendant trois ans. Au bout de la deuxième année, après les championnats d’Europe, sa propriétaire a décidé de tripler le prix de la location… Nous avons alors dû nous en séparer parce que ce n’était plus possible financièrement. Du coup, durant ma dernière année, je n’ai pu compter sur mon mérite. Pour le circuit Juniors, j’ai monté une jument que mes parents avaient acheté à six mois. Ce ne sont que des histoires qui marquent. J’essaie désormais de reproduire ce schéma avec mes jeunes chevaux. 

Vous avez suivi une formation pour devenir infirmière. Que cela vous a-t-il appris? 

Après mon bac ES, j’ai étudié deux ans en IUT technique de commercialisation puis quatre ans en Institut de formation en soins infirmiers. J’adore tout ce qui touche à la médecine. J’aurai voulu être médecin, mais cela aurait été un peu trop compliqué. Il aurait fallu que j’arrête de monter… Je me suis inscrite dans une classe préparatoire comprenant des stages. J’ai vraiment accroché, surtout les blocs opératoires et l’anesthésie, et je me suis lancée. Ce sont des études très intéressantes que j’ai adoré suivre. Pour autant, c’était très dur, et je ne m’attendais pas à ça. Ils nous donnaient une partie des cours de médecine. Nous devions apprendre à connaître le corps humain de A à Z. J’ai réussi à continuer un peu les concours, mais les deux ne sont pas compatibles, car il s’agit de cours en présentiel. En 2019, j’ai cru que j’allais me faire virer avant la fin de ma première année. Je voulais concourir à Stockholm avec Vitto, où l’on m’a finalement laissé aller… Ce fut une expérience géniale, d’autant que nous avons gagné le Grand Prix à 1,50m du CSIU25. Pour autant, j’ai quand même dû privilégier mes études pendant ces années. À la sortie, j’ai exercé un petit peu là où j’avais effectué mon dernier stage. Je travaillais en salle de réveil et au bloc opératoire, où je me sentais bien. Malheureusement ou heureusement pour moi, quand la personne que je remplaçais est revenue de son congé maternité, ils n’y avait plus de place pour moi, donc je me suis à nouveau consacrée au cheval. Tout s’est déroulé assez naturellement. Infirmière, c’est un super métier, mais ma passion, c’est l’équitation. Si jamais je ne réussis pas dans ce sport, j’aurai au moins un autre bagage, et j’en suis très contente.  



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