À Deauville, les Franciscaines célèbrent le cheval

Depuis mai 2021, l’ancien orphelinat Saint-Joseph de la congrégation des soeurs Franciscaines est devenu un lieu incontournable de Deauville. À la fois musée, salle de spectacles et médiathèque, il fait notamment la part belle au cheval, élément inconditionnel de l’identité de la petite station balnéaire de Normandie. Visite guidée.



Pour les amoureux des chevaux, impossible de s’identifier aux strophes de la chanson de Vincent Delerm: “Elle a raté son dimanche, À Deauville sur les planches ; Il a raté sa vie, À Deauville sous la pluie.”* Et pour cause! Aux amateurs de frissons, de vitesse, de paris et de Pur-sang, les hippodromes (de la Touques depuis 1864 et de Clairefontaine depuis 1928) dominent la ville et se font les rendez-vous de sensations fortes, à l’instar des désormais célèbres ventes de yearlings d’Arqana. Aux amoureux des sports équestres, et notamment de saut d’obstacles, le Pôle hippique international de Deauville et les équipes de GRANDPRIX Events proposent du très grand sport plusieurs week-ends par an – notamment du 20 au 23 juin pour le Sotheby’s International Realty CSIO Deauville, et du 8 au 11 août pour le Longines Deauville Classic –, devenant autant de dates incontournables pour quelques-uns des meilleurs cavaliers du circuit. Les passionnés de polo se donnent rendez-vous chaque année dans cette cité du cheval lors des grands meetings de la discipline. Pour les cavaliers fous de grands espaces, la plage s’offre en terrain de galopade, le nez dans les embruns. Enfin, pour ceux qui nourrissent leur passion équestre de culture, le centre des Franciscaines s’impose comme le temple des délices et invite à la flânerie.



Du côté médiathèque…

Le Haras du Pin, Raoul Dufy, vers 1930

Le Haras du Pin, Raoul Dufy, vers 1930

© Les Franciscaines

Outre un espace dédié à la jeunesse, la médiathèque des lieux se décline en quatre “univers”: Deauville, Spectacles, Art de vivre et, bien sûr, Cheval. Pour la partie dédiée à cette thématique, le visiteur évolue dans un cadre feutré aux couleurs chaudes qui ne sont pas sans rappeler le cuir, le cuivré des robes chevalines, le moelleux des matières. C’est élégant, chaleureux, et l’on s’attendrait presque à entendre le bruissement d’un cheval mangeant son foin. À pas feutrés, le visiteur baguenaude dans ces rayonnages, compartimentés d’espaces de travail avec bureaux et ordinateurs, mais également de coins lecture avec canapés et fauteuils confortables, comme autant de petites alcôves où chacun pourra lire, s’instruire ou travailler de la meilleure des manières. Car, sur les étagères, les titres ne manquent pas et s’adressent à tous les publics. “Aujourd’hui, nous dénombrons à peu près 1 300 références, dont 1 200 ouvrages littéraires et près de cent magazines. Nous avons des livres très généraux, comme des encyclopédies sur le cheval, par exemple, mais aussi des titres plus pointus comme des traités d’ostéopathie ou d’ophtalmologie équine. Nos ouvrages s’adressent donc à un public assez large, du cavalier débutant à des étudiants en école vétérinaire”, mentionne Lola Petin, chargée des fonds spécialisés, et notamment du fonds cheval depuis 2021. Pour organiser cette offre, la médiathèque regroupe au sein même de son “univers Cheval” trois grandes thématiques: “Une première concernant le cheval en tant qu’être vivant: anatomie, santé, pathologie; une deuxième qui s’articule autour du lien cheval-homme avec l’appréhension des peuples cavaliers, mais aussi les sports équestres, les courses, ou encore la préparation physique et mentale du cavalier; enfin, la troisième partie évoque le cheval dans l’art avec les métiers d’artisanat autour du cheval, mais également le cheval dans la sculpture, la peinture, la littérature, etc.” De fait, l’intégralité des ouvrages présents dans cet espace est consultable par le public, comme dans n’importe quelle bibliothèque.

Mais ce n’est pas tout! Le visiteur peut aussi, en s’installant devant l’un des ordinateurs des lieux, prendre connaissance de l’ensemble des documents référencés et présents dans les réserves des Franciscaines, fermées au public. “À la demande des visiteurs, je peux sortir un ouvrage s’ils souhaitent le consulter sur place pour des recherches personnelles, universitaires ou autres. Dans nos réserves, nous disposons d’environ vingt mille documents. Cela va de la carte postale à la photographie d’époque, en passant par des traités d’équitation en grand format ou des ouvrages plus rares.” Il existe ainsi quelques trésors entre ces murs, à l’image d’une acquisition réalisée par la médiathèque en 2019: une édition de 1666 de “L’instruction du Roy en l’exercice de monter à cheval” d’Antoine de Pluvinel, Grand Écuyer du roi qui apprit à monter à Louis XIII; dont la première édition date de 1620. “Cet ouvrage est aussi magnifique que précieux. Nous sommes sur un document d’exception, tant par son ancienneté que par son apport à l’équitation de manière générale”,s’enthousiasme la chargée des fonds spéciaux. Pour réunir tant de documents, la médiathèque a non seulement acquis un fonds, mais également profité de généreuses donations – à l’image de celles, entre autres, de Louis Romanet, ancien président de France Galop, ou encore de la bibliothèque personnelle de près de 2 000 ouvrages ayant trait au cheval de Jean-Louis Gouraud – et d’un impressionnant dépôt des archives de France Galop, comptant plusieurs milliers de références. “Tout le travail de catalogage qui a été mené pendant des années pour créer ce fonds est impressionnant. Chaque document est référencé dans notre base de données. C’est un travail qui s’est fait sur presque vingt ans, car il existe une volonté de créer un fonds cheval à la médiathèque depuis 2005 à peu près. C’est donc un travail de très longue haleine”,explique Lola Petin. Forte de cette collection, la médiathèque est désormais reconnue d’intérêt national par la Bibliothèque nationale de France (BNF). De plus, les ouvrages présents aux Franciscaines sont recensés à la Bibliothèque mondiale du cheval de Caen.

Enfin, chaque année, le service culturel des Franciscaines organise une dizaine de rencontres sous l’appellation des “Franciscaines au galop”. “Nous y accueillons des auteurs, des photographes, ou de grands noms de l’équitation. Ces moments donnent lieu à une conférence suivie d’un temps d’échange avec le public. Il y a deux ans, Gaspard Koening était venu présenter ‘Notre vagabonde liberté’, par exemple. Cet hiver, c’est la cavalière de dressage Maxime Collard qui est venue. Nous avons un public de passionnés”, se félicite Lola Petin.



…au côté musée

Si la volonté de créer un musée aux Franciscaines est apparue plus tardivement que celle de développer une médiathèque dédiée au cheval, les dons conséquents de quelques personnalités ont naturellement modifié le projet originel. “En 2011, nous avons effectivement bénéficié d’une donation de Nicole Hambourg, qui a constitué le fonds André Hambourg (1909-1999) avec 650 tableaux et plus de 3 000 dessins signés de sa main, et qui permet d’avoir un espace qui lui est consacré en permanence. Lui-même s’est beaucoup intéressé au cheval, et nous utilisons donc très régulièrement nombre de ses œuvres dans le fonds cheval, entre autres. Mais lors de cette donation, Nicole Hambourg nous a également offert une grande partie de sa collection privée, comptant, entre autres, un tableau de Marie Laurencin (1883-1956), un d’Utrillo (1883-1955) et plusieurs de Tsugouharu Foujita (1886-1968). Ces dons ont modifié le projet initial et engendré la volonté de créer un musée, ce qui a sans doute conforter Louis Romanet dans sa volonté de nous confier son importante collection d’œuvres d’art. Enfin, les collections se fortifient également par des achats que nous menons par le biais de ventes publiques, auprès des particuliers et aussi avec de nouveaux dons”, explique Annie Madet-Vache, directrice du musée des Franciscaines depuis 2022, mais également présente de 2012 à 2017 lors de la création de l’institution. Aujourd’hui, le musée compte environ 4 000 oeuvres, parmi lesquelles plus de 600 sont liées au cheval. “Aux Franciscaines, nos collections sont essentiellement composées de pièces en 2D: peintures, photographies, dessins, estampes. Mais l’exception qui confirme la règle est justement dans le domaine du cheval, puisque nous avons également quelques objets d’art et des sculptures”, complète la directrice. Parmi ce fonds cheval, sa préférence se porte sur l’une de ses premières acquisitions pour le musée: une aquarelle de Raoul Dufy (1877-1953) représentant l’entrée du Haras du Pin. “C’était la première fois que je faisais rentrer un Dufy dans les collections des Franciscaines. Je peux d’ailleurs vous annoncer que cette œuvre sera présentée lors d’une exposition à l’été 2026 dans le cadre d’un partenariat que nous avons signé avec le centre Georges Pompidou à Paris, musée national d’art contemporain. Pendant sa fermeture pour travaux, nous accueillerons en effet deux de ses expositions hors les murs, et la première sera consacrée à Raoul Dufy! Il va falloir être encore un peu patient”, s’enthousiasme-t-elle déjà.

En attendant, l’univers Cheval de la médiathèque est également un espace muséal à lui seul, qui présente en continu des pièces appartenant au fonds cheval des collections muséographiques des Franciscaines. “Les univers de la médiathèque présentent annuellement des œuvres appartenant à nos collections qui répondent à une thématique générale. L’an dernier, il s’agissait de la thématique du corps. Dans l’univers Cheval, le visiteur pouvait admirer des photographies, dessins ou tableaux portant sur le corps du cheval: corps en morceaux, en mouvement, en course, etc. Cette année, nous avons choisi le prisme de l’architecture. Nous présentons donc des pièces représentant des carrières, hippodromes, écuries, etc.”, conclut Annie Madet-Vache.