La France devra se passer de Kevin Staut et Julien Épaillard aux JO de Tokyo…
Compte tenu des blessures et méformes de leurs chevaux de tête, Kevin Staut et Julien Épaillard ne feront pas partie de l’équipe de France de saut d’obstacles aux Jeux olympiques de Tokyo. Un coup très dur pour le premier, qui a été de tous les grands championnats depuis 2007. Une situation moins douloureuse de l’aveu du second, meilleur Français au classement mondial Longines, n’ayant jamais été sélectionné pour un tel rendez-vous et assurant que celui-ci n’a jamais vraiment été un objectif à ses yeux. Sauf nouveau coup du sort, l’équipe de France envoyée au Japon pourrait ressembler très fortement à celle attendue vendredi à La Baule.
Vendredi après-midi à La Baule, on le sait, Pénélope Leprevost, Nicolas Delmotte, Olivier Robert et Mathieu Billot représenteront la France dans la Coupe des nations Longines de l’Officiel de France, l’une des plus des attendues de l’année, associés à Excalibur de la Tour Vidal*GFE, Urvoso du Roch, Vivaldi des Meneaux et Quel Filou 13. Désormais, sauf nouveau coup du sort, ce sont bel et bien ces quatre cavaliers qui tiennent la corde en vue de la sélection pour les Jeux olympiques de Tokyo. On parle bien ici de cavaliers et non de couples dans la mesure où la Normande et le Nordiste disposent chacun de deux chevaux en forme: Excalibur et Vancouver de Lanlore pour la première; Urvoso et Ilex VP pour le second.
On imagine la pression qui pèsera sur leurs épaules vendredi, au-delà de l’honneur et du plaisir de monter une telle Coupe devant un public, ce dont nos grands cavaliers ont été privés pendant plus d’un an et demi… “Aujourd’hui, La Baule est incontournable dans la procédure de sélection”, déclare Sophie Dubourg, directrice technique nationale de la Fédération française d’équitation (FFE). “Nous devons proposer une liste de douze couples le 12 juin au Comité national olympique et sportif français, puis la liste des quatre couples sélectionnés le 1er juillet. Le circuit des Coupes des nations étant très restreint cette année, nous n’avons donc que les CSIO 5* de La Baule et Sopot (après celui de Rome, ndlr) pour affiner nos choix.”
“Il faut du temps par bâtir un système sûr et viable”, Kevin Staut
Malheureusement, dans cette course à étapes, à Rome, la France a perdu un atout de taille: Scuderia 1918 Viking d’la Rousserie, que Kevin Staut est parvenu à conserver sous sa selle au mérite de gros efforts de persuasion et grâce au soutien de plusieurs investisseurs. Il y a dix jours, le hongre alezan s’est donné un coup à un antérieur quelques heures avant la Coupe des nations de l’Officiel d’Italie. Et malheureusement, les examens complémentaires menés à son retour en Normandie ont rincé les espoirs du champion olympique par équipes de Rio 2016 de pouvoir défendre ce titre suprême à Tokyo. “Au regard des résultats de l’IRM, Viking doit rester trois semaines sans sauter. Il peut simplement marcher et trotter. De mon côté, j’estimais qu’il avait besoin de monter en puissance en vue des Jeux, ce qui devait se traduire par l’enchaînement des CSIO 5* de Rome et La Baule, où il devait sauter la Coupe et le Grand Prix à chaque fois. Si une période de trois semaines sans sauter était intervenue une fois le pic atteint, je pense que nous aurions pu aller aux JO, mais là c’est impossible. Je ne veux pas prendre de risque pour Viking, qui a récemment été racheté par un groupe d’investisseurs ayant choisi de m’accompagner à moyen ou long terme, en pensant aussi aux JO de Paris 2024 et aux échéances intermédiaires (les Mondiaux de Herning prévus l’an prochain et les Européens de 2023, ndlr). Son intégrité physique prime avant tout”, assure Kevin Staut, interrogé hier après sa très belle deuxième place dans le Grand Prix CSI 3* de Cabourg Classic.
Un coup très dur pour l’ancien numéro un mondial, également sacré champion d’Europe individuel en 2009 et médaillé d’argent par équipes aux Jeux équestres mondiaux de 2010 et 2014 ainsi qu’aux Européens de 2011. De fait, depuis 2007, il n’a raté aucune grande campagne menée par l’équipe de France, dont il s’est rapidement forgé le profil de leader. Et un terrible constat d’injustice quand on se souvient que l’exceptionnelle Cheppetta avait elle aussi été acquise en vue des Jeux, et qu’elle est elle aussi arrêtée, même si le bout du tunnel semble proche. “Bien sûr, c’est une grande déception pour moi, mais cela montre aussi qu’il faut du temps par bâtir un système sûr et viable. Je ne suis installé dans mes écuries familiales que depuis début 2019, et ces deux super chevaux m’ont rejoint assez récemment. Malgré tous mes efforts, je ne suis pas en mesure de former un couple compétitif pour les Jeux. C’est pourquoi je dois continuer à développer de nouvelles collaborations, comme celle que nous avons récemment retissée avec Bruno Rocuet, où celles que j’ai entamées avec Jean-Louis Roudaut, Julie Ulrich ou le haras de Riverland, par exemple. Tout cela demande du temps. Et même si je suis un éternel impatient, je dois accepter l’idée que je n’irai pas à Tokyo… Au-delà de cela, à quarante ans, j’espère redevenir un incontournable au niveau mondial dans les mois et années à venir.” En attendant, il vise les championnats d’Europe de Riesenbeck avec Tolède de Mescam*Harcour, que l’on suivra en individuel à La Baule puis en équipe au CSIO 5* de Sopot la semaine suivante, où Kevin fera équipe avec Julien Anquetin, Grégory Cottard et Laurent Goffinet.
“Tokyo n’a jamais vraiment été un objectif pour moi”, Julien Épaillard
Outre son charismatique taulier, la France ne pourra pas non plus compter sur son meilleur cavalier au classement mondial Longines, Julien Épaillard, douzième en juin, qui vit pourtant la période la plus faste de sa carrière, ayant gagné plus de cent épreuves depuis le 1er janvier 2019, dont des Grands Prix à 1,60m avec Toupie de la Roque, Usual Suspect d’Auge et Queeletta, sans oublier ses excellents classements à ce niveau avec Alibi de la Roque, Virtuose Champeix et Kosmo van Hof ter Boone, cinquième du Grand Prix CSI 5* de Grimaud début mai. Et pourtant, le Normand ne dispose plus lui non plus de cheval prêt à relever un premier défi olympique, lui qui n’a jamais été sélectionné pour un grand championnat Seniors. Ainsi, Toupie, propriété de ses naisseurs, Alexandrine et Michel Hécart, évolue depuis peu sous la selle du Luxembourgeois Victor Bettendorf, compagnon de leur fille Adeline. Depuis un an, Virtuose Champeix est devenu le cheval de tête de la jeune et talentueuse Nina Mallevaey, entraînée par Julien dans le cadre de son partenariat avec l’écurie Chev’el, de la famille Sadran. Alibi a été vendu à la Norvégienne Ingrid Gjelsten, et Usual Suspect n’aime pas les obstacles d’eau.
Restaient donc Queeletta et Kosmo. Seulement, la première est au repos et le second arrêté après s’être lui aussi donné un coup. “Queeletta a beaucoup sauté et nous a donné beaucoup de bonheur en deux ans. Depuis quelque temps (sa dernière grande performance remonte à sa victoire dans le Grand Prix CSI 4* de Saint-Lô, en octobre 2020, ndlr), même s’il n’y avait aucun problème physique, elle montrait un peu moins d’envie. Nous lui avions donné un peu de repos, mais elle n’a pas très bien sauté à Doha et Bois-le-Duc, alors j’ai préféré lui offrir une longue pause. Elle devrait revenir d’ici quelques semaines, mais elle ne sera pas opérationnelle pour les Jeux”, a expliqué Julien la semaine dernière. “Il en sera de même pour Kosmo, qui s’est donné un petit coup sans gravité, mais qui ne pourra pas sauter pendant quelques semaines. L’échéance des championnats d’Europe serait peut-être une option pour lui, mais je ne vois jamais si loin. Je ne suis pas du genre à établir à des plans longtemps à l’avance. Je préfère évoluer comme je le sens, en restant à l’écoute de l’état de forme de mes chevaux. De fait, ces Jeux de Tokyo n’ont jamais vraiment été un objectif pour moi.”
“Rester calmes, observer et trancher le moment venu”, Thierry Pomel
Si jamais le chemin vers le Japon était pavé de nouvelles embuches, sur quels autres couples la France pourrait-elle compter? S’appuyant sur la liste JOP Tokyo 2021, mise à jour pour la dernière fois par la FFE le 18 mai, il n’en resterait que deux, formés par Roger-Yves Bost et Sangria du Coty, ainsi que Simon Delestre et Berlux. Étant déferrée, Sangria ne concourt plus que sur des terrains en sable, si bien qu’après son passage ce week-end à Cabourg, où elle a sauté des parcours à 1,40m et 1,45m, on la retrouvera dans deux semaines à Grimaud, où se disputera un nouveau CSI 5*, puis au Longines Paris Eiffel Jumping une semaine plus tard. Quant à Berlux, qui reste sur une dixième place encourageante dans le Grand Prix CSI 5* de Valkenswaard, il sera présent à La Baule, puis à Grimaud. Si les cavaliers sélectionnés à La Baule tiennent bien évidemment la corde, les Jeux ne sont pas encore faits, à entendre le sélectionneur. “Nous attendons de voir comment nos couples se comporteront à La Baule, puis à Sopot, Grimaud et Paris. Nous devons poursuivre notre travail de sélection et de préparation, pour les Jeux comme pour les championnats d’Europe, en composant avec les aléas de notre sport, rester calmes, observer et trancher le moment venu”, déclare Thierry Pomel, qui compte toujours privilégier le critère de l’expérience à Tokyo, où les Jeux se tiendront des conditions difficiles à tout point de vue et où les scores de tous les couples compteront dans l’épreuve par équipes, laquelle se disputera après l’individuelle…
“Les cavaliers sont parfois un peu perdus dans leur préparation”, Sophie Dubourg
Après une année 2020 quasiment “blanche”, cette saison 2021 s’avère elle aussi particulière avec assez peu de concours de niveau 5* pour préparer les JO. “Les cavaliers sont parfois un peu perdus dans leur préparation”, reprend Sophie Dubourg. “Le staff fédéral a donc fortement mis l’accent sur les regroupements et bilans vétérinaires et médicaux. Les performances sont importantes bien sûr, mais la santé des chevaux et des cavaliers l’est encore plus. L’alimentation et l’hydratation seront des éléments capitaux. D’ailleurs, les cavaliers verront un médecin et un kinésithérapeute de l’équipe de France à La Baule. Nous avons aussi programmé plusieurs jours de mise en condition climatique pour les chevaux et cavaliers courant juin, dans un manège fermé. Ces Jeux olympiques seront évidemment particuliers, mais ils représentent un défi auquel cavaliers et propriétaires adhèrent totalement. Ils prennent une autre valeur qui allie le sport et la santé, ce qui est très important à nos yeux.”
Pour Serge Lecomte, président récemment réélu à la tête de la Fédération française d’équitation, les Jeux olympiques de Tokyo auront un double enjeu: sportif bien sûr, mais aussi stratégique avant de se focaliser sur ceux de 2024. “Conformément aux priorités définies dans notre projet sportif 2021-2024, ces JO vont nous permettre d’évaluer et d’affiner les actions de la fédération au service de la réussite des équipes de France. Dans ce cadre, le staff fédéral devra sélectionner et fédérer les meilleurs couples. À seulement trois ans de Paris 2024, la priorité de la FFE est, plus que jamais, d’accompagner au plus près les propriétaires de chevaux et la préparation des couples pour qu’ils puissent décrocher les médailles tant attendues sur notre territoire”, conclut Serge Lecomte.