Face à la surdité de la FEI, les cavaliers haussent encore le ton concernant les formats olympiques

Entre colère, tristesse et lassitude, les cavaliers ne digèrent pas le maintien du principe des équipes de trois, testé l’été dernier à Tokyo, aux Jeux olympiques de Paris 2024. Réuni en assemblée générale ce matin à Genève, le Club des cavaliers internationaux de saut d’obstacles, qui a reconduit Kevin Staut à sa présidence, a martelé son opposition à cette décision de la Fédération équestre internationale, dont la surdité des dirigeants et l’iniquité du système démocratique ont été pilonnés par les plus grands champions, soutenus par les propriétaires et des sélectionneurs nationaux… Morceaux choisis.



Marco Fusté a vécu une matinée particulièrement éprouvante aujourd’hui à Genève, où il a représenté la Fédération équestre internationale (FEI) lors de l’assemblée générale du Club des cavaliers internationaux de saut d’obstacles (IJRC). Un bizutage en règle pour l’Espagnol, nommé directeur du service jumping il y a un peu moins d’un an, après le départ anticipé de l’Irlandais John Roche. Même si l’Allemand Stephan Ellenbruch, président (élu) du comité technique de saut, était présent en visio… mais silencieux, on peut regretter que l’organisation mondiale, dont le siège se situe à Lausanne, à soixante kilomètres à l’est de là, n’ait pas dépêché son président exécutif, le Belge Ingmar de Vos, ou sa secrétaire générale, l’Américaine Sabrina Ibáñez. En effet, en dehors de quelques questions techniques, auxquelles il a presque toujours répondu avec précision, l’ancien sélectionneur de l’équipe d’Espagne s’est naturellement abstenu, devoir de réserve oblige, de toute déclaration politique. Rien de tel pour accentuer l’impression de dialogue de sourds qui se dégage des relations entre cavaliers et dirigeants depuis déjà six ans, au sujet des très controversés formats des compétitions olympiques.

Car oui, après quelques formalités administratives, la réélection sans surprise de Kevin Staut, seul candidat volontaire, à la présidence, l’élection au bureau de l’Italien Emilio Bicocchi et du Brésilien Pedro Veniss, représentant des cavaliers au sein des instances de la FEI, remplaçant le Suédois Peder Fredricson, et la validation des comptes de 2020 et 2021, exercice déficitaire marqué par les contributions du Club à l’élan de solidarité né lors de l’épizootie d’herpèsvirose équine de type 1 et à l’organisation des championnats d’Europe Longines de Riesenbeck, et enfin une présentation de quelques évolutions réglementaires, il a encore et toujours été question de ces fichus formats olympiques. Le 17 novembre à Anvers, lors de l’assemblée générale de la FEI, les fédérations nationales ont voté à soixante-dix voix contre trente en faveur du maintien des équipes de trois, dispositif décrié avant, pendant et après les Jeux de Tokyo, où il a été testé sans filet et sans succès cet été. Invité à s’exprimer en Belgique par la Fédération équestre européenne, Steve Guerdat en avait posément et profondément analysé les failles. Cette semaine, sous la plume d’Eleonora Ottaviani, sa directrice, l’IJRC avait planté le décor de cette assemblée, qui s’annonçait offensive. Elle le fut.

Exprimant tantôt leur colère, tantôt leur lassitude, tantôt une lucidité teintée de tristesse, tous les intervenants, à commencer par les cavaliers, ont désapprouvé cette décision totalement incompréhensible à leur yeux… et adoptée en très grande partie grâce aux voix de nations absentes à Tokyo, non concernées par les JO et qui souvent ne comptent pas ou extrêmement peu de chevaux et cavaliers concourant au niveau international. “Ce problème de gouvernance ne date pas d’hier”, a relevé Laura Kraut. “Si des fédérations internationales comme celles de tennis ou de natation, ont su faire évoluer leurs statuts pour le bien du sport, je ne comprends pourquoi nous en sommes encore là. Nous devons veiller au bien-être des chevaux. En cela, notre sport est différent de tous les autres. Je suis déçue que cette spécificité ne soit pas prise en compte aux JO. Il est grand temps que les choses changent à la FEI, qui ne nous représente pas aussi bien qu’elle le pourrait”, regrette la championne américaine, soutenue en cela par Michael Blake, sélectionneur de l’équipe d’Irlande, qui réclame que les questions touchant à des sujets aussi cruciaux que les JO et le bien-être animal soient tranchées par les seules nations concernées par le grand sport. Pour pondérer les voix des fédérations en fonction de leur importance, il faudrait modifier les statuts de la FEI, ce qui requiert une majorité des trois quarts en assemblée générale extraordinaire. Une barrière très élevée…



“Tant que le système de vote ou le président ne changeront pas, c’est inutile”, Steve Guerdat

“Le message est très clair”, reprend le Brésilien Rodrigo Pessoa. “La FEI devrait représenter notre sport, et plus que tout défendre le bien-être de nos chevaux. Or, ces formats vont à l’encontre de cela. Tous les gens véritablement impliqués dans ce sport (à tout le moins une très grande majorité, ndlr) partagent ce constat. Les dirigeants de la FEI sont-ils trop fiers pour reconnaître que ce qui a été essayé ne fonctionne pas? Il leur suffirait de l’admettre et de reprendre le travail pour trouver une meilleure solution. C’est pourquoi nous sommes si frustrés.”

Dans un long exposé, le Grec George Dimaras, premier vice-président de la Fédération européenne (EEF), a apporté son soutien à cette cause. Malgré le report d’un an des JO, “la FEI nous avait promis que nous pourrions analyser ce qui s’est passé à Tokyo. Or, dès juin, soit un mois et demi avant les JO, le conseil d’administration a approuvé le projet de système de qualification pour les Jeux de 2024… Donc sans attendre de voir ce qui se passerait à Tokyo! Juste après les Jeux, le groupe de travail de l’EEF consacré au jumping s’est réuni, de même que d’autres parties prenantes, et des conclusions ont été transmises à la FEI. On nous a répondu que nous pourrions tranquillement discuter de tout cela ‘en famille’ et que mieux valait ne pas exprimer nos opinions dans la presse, pour ne pas nuire à l’image de l’équitation. Et en septembre, comme si de rien n’était, le projet de système de qualification a été présenté aux fédérations en vue de l’assemblée générale, avec seulement un mois pour s’exprimer. L’EEF a proposé un contre-projet… Nous avons tout tenté à Anvers. […] Avant de voter le système de qualification, nous aurions dû parler du niveau technique, du sport et du bien-être des chevaux.”

Pourtant, la FEI, qui se dit pieds et poings liés par le Comité international olympique, a précisément fait le contraire…“Réduire à des fins politiques la discussion à la seule question des équipes de trois ou de quatre ne reflète pas la qualité de réflexions menées au sein de notre communauté. Hélas, nous avons perdu une bataille pour les Jeux de Paris, mais ce n’est pas fini. Il nous reste à discuter des règlements des épreuves olympiques (et des minima individuels d’éligibilité, ndlr). Je ne sais pas à quel point nous pouvons contribuer à cela, pour le bien du sport et de nos chevaux, mais nous devons tous nous remobiliser et travailler pour défendre nos vues. Et vous, cavaliers, partagez vos idées avec vos fédérations nationales”, conclut le Grec.

Steve Guerdat a bien compris le message, mais dans son esprit, la lassitude semble avoir pris le dessus sur le volontarisme. “Honnêtement, ce que nous faisons ici est inutile. La FEI procède toujours de la même manière avec nous: elle nous donne quelque chose d’une main, et la reprend de l’autre. Maintenant, elle nous demande à nous, cavaliers, propriétaires et grandes fédérations, de trouver la meilleure formule à partir d’un concept que nous désapprouvons et qui a été adopté par des fédérations qui n’y connaissent rien au sport. Je refuse d’être mis face à cela. La FEI n’a qu’à demander aux fédérations qui ont voté pour les équipes de trois ce qui est le meilleur pour notre sport. Ne nous consultez pas, cela ne sert plus à rien. Tant que le système de vote ou le président ne changeront pas, c’est inutile”, a conclu le Suisse, dont on sent alors poindre la colère. “Voir un champion olympique et ancien numéro un mondial plaider simplement pour être entendu des dirigeants de notre fédération n’est rien d’autre qu’une tragédie!”, est venu l’appuyer l’Israélien Daniel Bluman. “Nous devons rétablir avec la FEI une communication sans ego ni politique mais avec le sport et le cheval chevillés au corps.”



“Nous perdons à chaque fois de toute façon…”, Ludger Beerbaum

Dominique Mégret, président du Club des propriétaires de chevaux de jumping (JOC), a rappelé une fois encore que son organisation partage pleinement les combats des cavaliers. “Comme vous, nous envoyons des lettres qui restent sans réponse, ce qui ne peut plus durer. Pour autant, Steve, même si je comprends votre réaction, parce que vous vivez tout cela de façon passionnée, ce qui est bien normal, nous devons continuer à nous battre, tous ensemble. Des choses doivent changer, et il n’y a pas de raison qu’elles ne changent pas. Nous devons reprendre espoir, nous nourrir de notre passion, et travailler en famille. Nous finirons bien par obtenir des résultats”, a promis le Français. Au nom des chefs d’équipe, le Suisse Michel Sorg a pris le micro à son tour. “Je suis très déçu de voir à quel point on ignore la parole des cavaliers et propriétaires. Quand j’écoute parler les personnes ici présentes et celles qui se sont exprimées dans la presse, je me dis que la FEI ne devrait pas oublier que sans elles, sans les grandes fédérations, et sans les organisateurs, il n’y aurait pas de sport, et nous ne serions pas là à en discuter tous ensemble.”

Symbolisant l’avenir, la Britannique Jodie Hall McAteer, vingt et un ans, sociétaire de la Young Riders Academy, a livré un discours tout aussi juste. “On nous demande à nous, jeunes, d’être ouverts au changement et de penser différemment, mais il est difficile d’imaginer notre avenir avec ces nouveaux formats car les sélectionneurs, confrontés à l’absence de droit à l’erreur, sont encore moins enclins à faire confiance à des cavaliers moins expérimentés. Par ailleurs, plus les années passent, plus le bien-être animal devient une question cruciale. Or, cette réalité me semble avoir sous-estimée dans la décision qui a été prise. Il faut continuer à se battre pour cela, mais aussi pour le format des Coupes des nations et tout ce qui permet aux jeunes de se faire une place à haut niveau.”

Pour sa part, notre confrère Xavier Libbrecht, ancien directeur de L’Éperon et retraité toujours aussi passionné, impliqué notamment au sein de la Fédération mondiale de l’élevage de chevaux de sport (WBFSH), se veut plus radical, invitant les cavaliers à envisager un boycott des prochaines Coupes des nations. “Si vous voulez être entendus de tous, il faut un geste fort!” Kevin Staut ne semble pas, en tout cas pour le moment, prêt à un telle action. “Les Coupes des nations et autres championnats continueront à se courir en équipes de quatre, alors les boycotter me semble extrême, et un peu en contradiction avec notre attachement à ces épreuves, mais nous en discuterons au sein de l’IJRC.”

En fin de réunion, le Belge François Mathy Jr a dû rappeler à Marco Fusté que les Jeux de Tokyo, particulièrement à cause de ces formats, appliqués uniquement aux JO, avaient donné lieu à des images qu’on ne voudrait pas voir. Dans la foulée, Max Kühner a invité la FEI à durcir les minima individuels d’éligibilité des couples et à renoncer aux facilités telles que celle qui avait permis la présence d’une équipe de Chine à Tokyo. “Chaque couple engagé aux JO doit avoir fait ses preuves à de nombreuses reprises au plus haut niveau”, a dit l’Autrichien. Cette question sera justement sur la table des négociations en 2022, comme l’a rappelé le directeur du saut de la FEI. Pedro Veniss y contribuera au sein du comité de saut, lui qui s’est également dit “triste et frustré” par la tournure des événements. 

À son tour, l’Allemand Ludger Beerbaum, qui s’est exprimé en visio depuis Riesenbeck, a livré des mots aussi puissants qu’émouvants. “Honnêtement, j’ai le sentiment d’un déjà-vu, et pas qu’une fois depuis vingt-cinq ans. Marco, quand je t’entends, j’ai le sentiment qu’on t’a dit de t’en tenir à cette philosophie. Mais en ton for intérieur, je suis sûr que tu n’y crois pas vraiment et que tu connais les difficultés qui ont été soulevées par tous mes collègues. Franchement, c’est frustrant de se dire que nous connaissons tous les problèmes dans lesquels nous a plongés la situation actuelle. Nous pouvons toujours nous dire que nous ferons au mieux et améliorerons de petites choses en restant unis, mais franchement, l’âge et l’expérience aidant, j’en arrive à me dire que si nous ne sommes pas capables de faire entendre à la FEI des vues qu’elle devrait vraiment considérer, et de faire bouger les choses maintenant, alors nous devrions arrêter là. Nous perdons à chaque fois de toute façon…”

On peut enfin se reposer la question sous-jacente, édictée par Eleonora Ottaviani plus tôt dans la semaine:“Sommes-nous vraiment sûrs de vouloir devenir, comme la boxe, le basket et le tennis, un sport dont les athlètes et supporters ne considèrent plus les JO comme le mythe et le rêve de tous?” Quoi qu’en dise Ingmar de Vos, c’est bien le risque encouru avec ces nouveaux formats. “Si elle prend ce chemin, l’équitation tournera le dos à plus de cent ans d’histoire olympique”, résume notre estimé confrère suisse Alban Poudret, directeur sportif du CHI de Genève et directeur du Cavalier Romand. Espérons qu’il ne soit pas trop tard…



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