Berlux, la comète olympique de l’année 2021

Sélectionné aux Jeux olympiques sans jamais avoir représenté la France en Coupes des nations, Berlux n’en a pas moins été l’une des plus belles surprises de Tokyo, signant deux impeccables tours à un point dans l’épreuve par équipes avec Simon Delestre. Auteur d’une montée en puissance parfaitement orchestrée par le Lorrain, le gris, alors propriété de Nicholas Hochstadter, n’aura toutefois évolué sous le tapis tricolore qu’au Japon, puisqu’il a été vendu à la riche famille Wachman dès son retour en France. Depuis, la suite de sa prometteuse carrière s’écrit avec un jeune Irlandais de dix-huit ans.



Qui aurait imaginé voici un an que Thierry Pomel et le staff de la Fédération française d’équitation intégreraient Simon Delestre et Berlux dans le trio appelé à représenter le Coq aux Jeux olympiques de Tokyo? Peu de connaisseurs et observateurs du saut d’obstacles auraient miser sur ce couple. Nul ne doutait, malgré son histoire personnelle complexe avec les JO, des capacités du Lorrain, victime d’une rupture d’un ardillon en piste en 2012 à Londres avec Napoli du Ry puis du forfait de dernière minute de Hermès Ryan des Hayettes en 2016 à Rio en raison d’une microfracture survenue dans les écuries brésiliennes. Médaillé d’argent par équipes aux Jeux équestres mondiaux de Normandie 2014 avec Qlassic Bois Margot et de bronze en individuel aux Européens d’Aix-la-Chapelle en 2015 avec Ryan, le jeune quadragénaire a du sang-froid à revendre et un vrai sens de la gagne. En revanche, il faut bien avouer que Berlux semblait encore loin du niveau d’un tel événement.

Voici un aperçu des talents de sauteur de Berlux, ici à trois ans au haras des Hayes

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“À l’origine, Berlux m’était destiné”, Nicholas Hochstadter

Passé sous la selle de Simon fin 2019, ce gris inscrit au stud-book Zangersheide et issu du croisement de Berlin (ex-Caspar, Holst, Cassini I x Caretino) et Dame de la Cour (BWP, Major de la Cour x Almé) est né chez Laveco NV à Poeke, à mi-chemin entre Gand et Bruges, en Belgique. Vite importé en France par le haras sarthois des Hayes, il a effectué toute sa formation dans l’Hexagone, sous la houlette de Lysa Doerr à quatre ans, puis de Félicie Bertrand à cinq ans, avant d’écumer les concours Amateurs de Normandie, Île-de-France et Picardie pendant vingt-sept mois avec Julie Simone. Repéré par Simon Delestre, le hongre a été acquis en septembre 2018 par Nicholas Hochstadter, amateur passionné concourant sous les couleurs du Liechtenstein, discrète principauté alémanique nichée entre l’Autriche et la Suisse. “À l’origine, Berlux m’était destiné. J’étais coaché par le père de Simon (Marcel Delestre, ndlr). Nous l’avons acheté ensemble, puis j’ai annoncé à Simon que j’arrêtais de monter”, raconte Nicholas, gestionnaire de fortune établi à Morges, près de Lausanne. En 2018, “Simon l’a monté au Morocco Royal Tour, où tout s’est bien passé, puis ma fille Jennifer l’a récupéré. Elle a monté Berlux aux championnats d’Europe Juniors de Zuidwolde (en juillet 2019, dont le couple a été éliminé lors de son troisième parcours, ndlr) et jusqu’à ce qu’elle décide de mettre l’équitation entre parenthèses pour se concentrer sur ses études.”



Le Lorrain reprend le relais à l’automne 2019. Il entend alors profiter de l’année 2020 pour endurcir ce cheval très talentueux mais n’ayant encore jamais concouru durablement à haut niveau. Peut-être a-t-il déjà les JO de Tokyo dans un coin de l’esprit, mais ceux-ci sont rapidement remis à 2021 et l’annulation d’un très grand nombre de concours ne lui permet guère d’accomplir son objectif. En mars 2021, au retour des deux CSI 5* disputés à Doha, il ne s’en cache pas. “Pour un cheval comme lui, des concours comme celui-ci permettent d’avancer. L’an dernier, il était un peu tendu à Doha. Cette année, il s’y est senti beaucoup mieux. Il s’est plutôt bien comporté pendant deux semaines (le couple a pris la deuxième place de la première manche de la Global Champions League la deuxième semaine, ndlr), mais il lui faudrait pouvoir enchaîner les concours. […] C’est un cheval de dix ans qui a de gros moyens et un bon tempérament – il n’est pas très anxieux – mais il a besoin de prendre de l’expérience en piste. J’ai toujours dit qu’il n’était pas en retard, mais j’aimerais pouvoir faire le point et savoir où il en est réellement. […] Des concours comme ceux de l’Hubside Jumping de Grimaud, qui se déroulent sur une grande piste, nous aident vraiment à faire progresser tous nos chevaux. Les conditions y sont idéales et c’est une vraie chance pour nous d’avoir ces installations en France. Cependant, pour les chevaux de pointe, il faudrait davantage de gros concours. J’espère que le CSIO 5* de La Baule pourra avoir lieu dans de bonnes conditions, et que les autres concours pourront ensuite repartir petit à petit.”

Bien que reculé d’un mois, l’Officiel de France a bien lieu. Et comme au CSI 5* de Valkenswaard huit jours plus tôt, le couple signe un très prometteur Grand Prix à quatre points, le 13 juin au stade François-André. Pour autant, on ne parle pas encore d’une sélection olympique. Une semaine plus tard, la paire se classe septième d’un Grand Prix CSI 5* de l’Hubside Jumping à Grimaud, ce qui finit vraisemblablement de convaincre Thierry Pomel, sélectionneur national, Henk Nooren, formateur, et Sophie Dubourg, directrice technique nationale de la FFE. La décision tombe le 2 juillet: Simon et Berlux accompagneront Pénélope Leprevost et Vancouver de Lanlore, Nicolas Delmotte et Urvoso du Roch ainsi que Mathieu Billot et Quel Filou 13. “Je suis évidemment ravi d’être sélectionné aux JO pour la troisième fois consécutive. Berlux a très bien sauté dans toutes les dernières épreuves. La saison passée a été compliquée, car il n’a pas réellement pu suivre une saison classique pour un cheval de neuf ans en raison des perturbations liées à la pandémie de Covid-19. Nous avons repris sérieusement la compétition à Doha en février, puis nous avons à nouveau été freinés par l’épizootie de rhinopneumonie quelques semaines plus tard. Cela a perturbé nos plans, mais ces derniers mois nous ont permis d’effectuer les réglages nécessaires et au cheval de s’aguerrir.”

Revivez le barrage de Simon et Berlux lors du Grand Prix CSI 5* Hubside disputé le 20 juin à Grimaud



“C’est exceptionnel de réussir deux tours à ce niveau-là avec un cheval encore peu expérimenté”, Simon Delestre

Reste à savoir Simon Delestre parviendra enfin à vaincre son signe indien olympique. “Je l’espère! (Rires) Ce sont des chevaux et des contextes différents, mais il est vrai que j’ai manqué de chance lors de mes deux premières participations aux Jeux. Désormais, il faut laisser cela de côté et passer à autre chose.” Après le tour d’échauffement, l’encadrement fédéral décide de préserver Berlux pour l’épreuve par équipes, qui se tient après l’individuelle, comme autrefois. “Pour beaucoup de nations, la compétition va reposer sur la stratégie et, en ce qui nous concerne, sur la meilleure tactique possible pour nous permettre de décrocher une médaille par équipes, d’autant que nous rivalisons sur un format inhabituel. Le couple formé par Simon et Berlux a été préservé quoiqu’il arrive pour l’épreuve par équipes, notamment parce que techniquement, la première manche sera moins difficile et que Berlux est encore jeune”, détaille Sophie Dubourg le 3 août depuis le Japon.

Une stratégie payante puisque Berlux est pile à l’heure au rendez-vous de la qualificative, qu’il dispute dans le costume d’ouvreur, Simon Delestre signant une prestation pénalisée seulement d’un point. La meilleure pour la France. Le lendemain, sur un parcours autrement plus corsé, rebelote pour ce couple dont la fraîcheur et le sang-froid font figures d’atouts maîtres. Parfaitement lancée en ce 7 août 2021, la France peut rêver de conserver son titre olympique, comme les États-Unis avaient su le faire en 2008 à Hong Kong. On s’en souviendra longtemps, ce rêve est renforcé par le tour à un point de Mathieu Billot et Quel Filou… puis brisé de façon brutale après l’inimaginable élimination de Pénélope Leprevost et Vancouver. Au-delà de la déception vis-à-vis du résultat collectif, Nicholas Hochstadter apprécie avec fierté le chemin parcouru par son gris. “Quand Berlux a été sélectionné en équipe de France, j’étais vraiment heureux car il est encore jeune. Dès le début, nous étions tous d’accord avec le staff qu’il ne concourrait qu’en équipe. C’est fantastique de l’avoir vu évoluer aux JO. Pour Simon et moi, Berlux est une vraie révélation. Les parcours ont semblé si faciles pour lui. Même si je suis déçu pour l’équipe, je suis ravi pour notre cheval.” Pour se consoler de la huitième place des Bleus, on se dit alors que la France tient au moins un crack, un diamant brut à polir et maintenir en éclat, en vue des Jeux olympiques de Paris 2024. “C’est exceptionnel de réussir deux tours à ce niveau-là avec un cheval encore peu expérimenté. C’est son premier championnat, et il l’a sauté de façon remarquable, avec un peu plus de relâchement aujourd’hui qu’hier. J’ai ressenti beaucoup d’émotions et eu de bonnes sensations”, analyse Simon Delestre à Tokyo. “Berlux est un cheval d’exception que je compte bien préserver pour Paris 2024.”



L’émotion laisse place à la raison

Après ce vœu exprimé sur le vif, l’émotion laisse place à la raison. Le 16 août, le cavalier confirme la vente de Berlux, dont la probabilité animait les conversations depuis plusieurs jours. “Il y a des destins, comme celui d’un cheval et d’un cavalier, qui se rencontrent. On ne sait jamais quel en sera le résultat. Pour ma part, j’avais déjà eu la chance de croiser de nombreux talents. Les deux années partagées avec Berlux ont été exceptionnelles. Il a connu une évolution incroyable pour arriver aux Jeux olympiques et sauter de façon exemplaire. Cependant, nos chemins vont maintenant se séparer. Ce sont des moments très difficiles qui font aussi partie du sport de haut niveau. Merci à la famille Hochstadter pour sa confiance depuis de si nombreuses années. Nous allons d’ailleurs continuer de construire le futur ensemble. Merci à toi Berlux pour tout ce que tu as su me donner. Je te souhaite la même complicité avec ton prochain cavalier. Au revoir et bonne route mon ami!”

En quelque sorte, le chef d’entreprise a repris le dessus sur l’athlète de haut niveau. “Ces ventes font partie de notre job de cavalier et celle-ci va me permettre de faire perdurer mon écurie en conservant un modèle économique fondé sur une grande indépendance, et de réinvestir dans de nouveaux chevaux”, argue Simon. “Si j’avais conservé Berlux, j’aurais dû tout construire autour de lui, avec l’ensemble des risques que cela comporte. Tant de choses peuvent se passer en trois ans… Je préfère me donner davantage de chances d’être présent et performant aux Jeux de Paris. Si je me retrouve avec quatre chevaux de ce niveau-là, il me semble impossible qu’il n’y en ait pas un qui soit prêt et en pleine forme le jour J. Jusqu’à présent, j’ai toujours adopté cette stratégie, et elle s’est avérée payante, donc il n’y a pas de raison d’en changer”, ajoute-t-il, misant sur un excellent lot de montures de huit ans.

Comme Urvoso du Roch, autre crack olympique français, Berlux est acquis par Coolmore Showjumping, la structure créée par la famille Wachman, très célèbre dans l’univers des courses de plat, via le champion irlandais Cian O’Connor. Urvoso passe sous la selle de Tom, le cadet de la fratrie, et le puissant gris échoit à Max, l’aîné, qui a fêté ses dix-huit ans le 2 décembre! Le nouveau couple se lance en compétition dans le cadre du Sunshine Tour d’automne, à Vejer de la Frontera, en Espagne. Son premier Grand Prix s’achève sur un sans-faute et un barrage tranquille, lui offrant une onzième place. Suivent un Grand Prix CSI 3* à huit points, une première Coupe des nations en CSIO 3* (huit puis quatre points), puis deux tours à six et cinq points fin novembre à Prague, lors des play-offs de la Global Champions League. Quel sera l’objectif de la paire en 2022? Les championnats du monde de Herning semblent prématurés, d’autant que l’Irlande dispose d’un sérieux réservoir de couples pouvant s’illustrer à 1,60m, mais sait-on jamais? Berlux est peut-être destiné à déjouer d’autres pronostics! 

Revivez le premier Grand Prix CSI 2* de Max Wachman et Berlux à Vejer de la Frontera





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